Helena Rubinstein, né à Cracovie dans une famille des plus modeste qui, en quelques décennies, a créé un empire de la beauté, fut l’une des plus grandes collectionneuses d’art africain et océanien. Après que le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous ait conté son histoire, le Musée du Quai Branly / Jacques Chirac nous présente sa passion pour les arts premiers au travers des pièces les plus iconiques de sa collection, surement l’une des plus belles jamais constituée.
Posté le 20 janvier 2020
Exposition à visiter jusqu’au 28 juin 2020
On l’appelait « madame » elle le voulait ainsi en opposition à Coco Chanel qui elle se faisait appeler « mademoiselle ». Madame Helena Rubinstein (1872-1965), dont le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous avait conté l’histoire, fait de nouveau l’objet d’une exposition consacrée à sa passion pour les arts premiers. Son histoire ? Presque un conte de fées que celui d’une femme née le 25 décembre 1872 à Cracovie alors dans le vaste empire austro-hongrois, d’une fratrie de huit filles issues d’une modeste famille juive orthodoxe. Prénommée Chaja, elle change son prénom en Helena et émigre à Melbourne en 1890 après s’être s’opposé à un mariage arrangé par ses parents. Elle y ouvre un salon de beauté et y invente sa première crème, première pierre de ce qui allait devenir un empire. En 1908, elle inaugure à Londres son deuxième institut et part à la conquête de l’Amérique en 1915, le reste est du domaine des grandes légendes du XXe siècle.
Petit « bout de femme » d’à peine plus d’un mètre cinquante elle va fonder un véritable empire auquel elle a donné son nom. Helena Rubinstein a réinventé la culture de la beauté en l’adaptant à la modernité. Chez elle, la modernité se conjugue sur tous les terrains. Elle collectionne les arts de son temps : l’École de Paris et aussi, sur les murs de ses résidences, on voit accrochés Pablo Picasso, Fernand Léger, Brancusi, Chagall, Modigliani, Miró, George Braque ! Elle pose aussi pour certains comme Dufy et Dalí entre autres. S’habille chez les pionniers de la mode que sont Poiret, Balenciaga, Chanel, Dior et vit entre New York, Londres et Paris – où elle fera construire deux immeubles ! – dans des appartements décorés par les grands décorateurs du moment…
Toutes les étapes de cette vie nous furent contées au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Le musée du Quai Branly, quant à lui, fidèle à sa vocation, évoque la collectionneuse d’arts premiers en réussissant à rassembler 65 pièces des 400 que comptait sa collection.
Une acheteuse boulimique
Très tôt, par l’intermédiaire du sculpteur Jacob Epstein, elle s’intéresse aux arts africains et océaniens. Nous sommes en 1908-1909, à Londres, et l’intérêt pour cette forme d’art n’a pas encore touché Paris. Son ami Epstein lui demande d’acquérir pour lui, dans des ventes parisiennes, des pièces qu’il a repéré. Elle se prend au jeu et surtout elle est vite séduite par cet art alors quasiment inconnu et commence à acheter pour son
Figure féminine du lefem Bamiléké, chefferie bangwa, Cameroun, région du Grassland, Fontem Avant 1897 © Fondation Dapper, Paris. / Photo Hughes Dubois
Madame voyageant en bateau avec ses objets, un masque gouro et un masque fang © Paris, archives Helena Rubinstein - L’Oréal

Masque de protection Dan-Ngere Côte d’Ivoire, région de Danané, 19e siècle © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Pauline Guyon

Étrier de poulie de métier à tisser, Baoulé, Côte d’Ivoire, xixe siècle © Collection privée

Masque-heaume ngontang Fang, Gabon, région du fleuve Komo xixe siècle © Detroit Institute of Arts, Founders Society Purchase

Cimier sogoni koun, Bamana, Mali, région du Wassoulou, xixe-début du xxe siècle © Courtesy of Arman Trust, Corice Arman Trustee/Photo Musée du Quai Branly - Jacques Chirac/Pauline Shapiro

Masque d’initiation féminin, Dan, Côte d’Ivoire, région de Man, xixe siècle © Photo Hughes Dubois

propre compte lors de ventes et aussi dans les rares galeries qui en font commerce. Dès lors, elle est à considérer, aux côtés des Derain, Matisse et Picasso, de ceux qui firent évoluer le regard et permis la prise en considération, en tant qu’art, de ces « objets » qui jusqu’alors étaient le plus souvent regardés sous l’angle ethnographique voire exotique.
En 1931 elle acquiert des objets lors des ventes aux enchères organisées à l’hôtel Drouot, des collections André Breton – Paul Éluard et Georges de Miré, dont les experts sont Charles Ratton, l’un des plus grands marchands historiques des arts africains et le galeriste Louis Carré. Charles Ratton est de nouveau expert lors de la dispersion de la collection Félix Fénéon (évoquée ici même en 2019, voir notre article) en 1947 et y fait de nouveau quelques acquisitions.
Ses prêts dans de grandes expositions, dont African Negro Art, présentée au MoMA de New York en 1935 firent beaucoup dans la valorisation des arts africains et permirent à beaucoup d’entrevoir les trésors de sa collection, comme ces masques baoulé, dan, wè et gouro de Côte-d’Ivoire ou d’autres des ethnies fang, kota et punu du Gabon. À côté de ces classiques elle s’éprend de pièces plus inattendues, issues du Nigeria, du Cameroun et de République démocratique du Congo.
Figure d’ancêtre, gardien de reliquaire Kota, Gabon, XIXe siècle © Collection privée / Christie’s LTD/Photo Visko Hatfield
Une vie entourée par ses achats
Après 1935, l’acquisition d’une partie des objets réunis par F.-H. Lem, collecteur et historien de l’art, enrichit sa collection, déjà très originale, de nombreuses pièces bamana et senoufo du Mali, mossi et bobo en provenance du Burkina Faso, et d’un ensemble important de têtes et de bustes funéraires en terre cuite agni collectés en Côte-d’Ivoire par le Dr Lheureux.
Toutes ces pièces rejoignent les étagères et vitrines de ses appartements et certaines la suivent même pendant ses voyages ! Elle vit entourée de ses acquisitions, dont le meilleur orne le « salon africain » et le « salon de musique » de son duplex de… 50 pièces (et une immense terrasse) de l’immeuble qu’elle avait fait construire en 1932 au 24 du Quai de Béthune. Là, elle avait aménagé un spectaculaire mur présentant 56 pièces dont l’accumulation rendait compte de la variété de ses achats. Clous de sa collection, sans conteste cette statue dansante de la « reine » bangwa, immortalisée par Man Ray, devenue dès lors une icône du mouvement moderniste ou encore ce reliquaire kota acquis en 1931 à la vente de la collection Georges de Miré, qui passa en 1981 dans les mains de William Rubin, conservateur au MoMA, qui en fit une icône du primitivisme. La médiatisation de cette collection, étroitement associée à l’image et à la personnalité de sa propriétaire, popularisa un ensemble de chefs-d’œuvre absolus consacrés par l’épreuve du temps.
Helena Rubinstein. La collection de Madame
Musée du Quai Branly / Jacques Chirac, 37 quai Branly (7e).
À voir jusqu’au 28 juin 2020
Du mardi au samedi et dimanche 10h30 – 19h00. Le jeudi 10h30 – 22h00
Accès :
Métro : ligne 9 : Alma-Marceau ou Iéna. Ligne 8 : Ecole Militaire. Ligne 6 : Bir Hakeim
RER C : Pont de l’Alma ou Champ de Mars Tour Eiffel
Bus : 42 : Tour Eiffel ou Bosquet-Rapp. 63, 80 et 92 : arrêt Bosquet-Rapp. 69 : arrêt Champ de Mars. 72 : arrêt Musée d’Art Moderne – Palais de Tokyo ou Alma Marceau. 82 : arrêt Varsovie ou Champ de mars. 87 : arrêt Rapp – La Bourdonnais
Site de l’exposition : www.quaibranly.fr/
Catalogue
Helena Rubinstein. La collection de Madame
Coédition Skira/Musée du Quai Branly. 240 p. 39 €