Après deux ans de travaux, la Fondation Dubuffet a rouvert ses portes avec un souffle venu de la campagne. Mais attention, la campagne vue par l’habitant du lieu, une campagne qu’il disait ennuyeuse, qu’il ne trouvait pas belle et qui pourtant alimenta une grande partie de son œuvre. Alors ? Une posture, une farce, une véritable détestation ou un amour non avoué pour la nature ? À vous de voir…
Posté le 27 janvier 2020
Exposition à visiter jusqu’au 6 mars 2020
Cycliste aux nuages à pattes, 1943 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019
Paysage marbré, 1943 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

Campagne heureuse, 1975 (Lieu abrégé) © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

Récolte des pommes de terre, 1943 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

. Campagne banale, 1975 (Lieu abrégé) © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

Lieu de campagne aux deux promeneurs, 1975 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

La Colline boisée 1977 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019

Nichée au fond d’une allée bordée de maisons et de verdure on y respirait presque l’air de la campagne, ou plus exactement Ler dla canpane pour reprendre le titre de cette exposition d’une réouverture attendue de la Fondation Dubuffet. Le titre, on l’a compris, est repris d’un des ouvrages farce que le peintre de l’Hourloupe aimait commettre en phonétique. Un ouvrage, un opuscule plus exactement, au texte manuscrit illustré de gravures sur fonds de boîtes de camembert publié en 1948. Il a commis plusieurs ouvrages tels qui font le bonheur de bibliophiles autant amoureux de son art que nantis.
La fondation est installée dans ce petit hôtel particulier en fond de jardin qu’avait acquis Dubuffet en 1962 pour y exposer sa collection d’art brut, aujourd’hui présentée dans un musée à Lausanne. Cette fondation, à contrario de beaucoup d’autres, fut créée par le peintre lui-même en 1974. Soucieux de son vivant de préserver son œuvre, d’en assurer la pérennité et de conserver, après son décès, non seulement les œuvres dont il l’avait nanti mais aussi écrits, maquettes, documents, plans, manuscrits, etc. La fondation depuis conserve, mais acquiert aussi des œuvres et tout ce qui a un intérêt pour la connaissance des travaux de Dubuffet tant plastiques que musicaux. Cette dernière étant une facette peu connue de son art.
L’exposition d’ouverture vient donc nous parler de la campagne et prend appui sur deux œuvres datées de 1943, acquises dernièrement par la fondation, à savoir : Paysage marbré et Cycliste aux nuages à pattes, tous deux datés de 1943. Il est étonnant de voir que s’il clamait haut et fort son aversion pour la campagne « La canpane iariin qi manbete comsa » écrivait-il, il y puisa pourtant sujets à de nombreuses œuvres allant de la vue classique de paysage comme cette Vue sur l’Adret (Vence) de 1961 ou cette Campagne banale de 1975 traitées, il est vrai, avec une certaine barbarie.
Et comme il le disait lui-même parlant de la nature, de cette campagne qui l’ennuie : « je ne lui trouve pas de beauté, au contraire, je dirai même qu’elle m’irrite plutôt, mais enfin ce n’est pas une raison, on peint les choses qu’on aime, les choses qu’on déteste aussi, on peut peindre une chose comme cela, ne serait-ce que pour l’exorciser (…) Je considère qu’il n’y a qu’une notion qui joue : c’est la notion de fascination » déclarait-il en 1961 lors
Vue sur l’Adret (Vence), 1961 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019
d’une interview télévisée.
Le paysage chez Dubuffet absorbe toutes les composantes de cette notion, du concret au mental. On se souvient que dès 1947, lors de ses voyages au Sahara, il se trouva devant le « rien » du désert qui lui permet d’aborder comme sur une page blanche la notion de paysage (Paysage blanc 1949). Dans la foulée il va en croquer aussi les composantes humaines avec des chameliers, arabes en burnous et autre marabouts, casbahs et palmeraies.
Le bonheur peut aussi être dans le pré !
Dans l’exposition ici, on retrouve presque les mêmes composantes. La vache remplace le chameau à l’image de cette Vache tricolore 1954 que l’on dirait atteinte d’un malfaisant prion. Le désert laisse place au brun texturé de la terre (Champs d’aise 1951), les casbahs aux maisonnettes alignées devant un champ (Paysage marbré 1943), les bédouins au Petit jardinier (1955) ou à ce Lieu de campagne aux deux promeneurs (1975 qui annonce la série des Pscho-sites à venir).
Ajoutons à cela la joie même avec cette Campagne heureuse (1975), un joyeux fouillis rose et de jaune, comme quoi le bonheur, chez Dubuffet, peut aussi être dans le pré ! Sans oublier ce Cycliste aux nuages à pattes (1943) dans lequel notre bonhomme traverse en vélo un pré dans lequel broute une vache. Pour peu on l’entendrait siffloter ! Et que dire de cette Récolte de pomme de terre (1943) que l’on dirait même louchant vers les Vendangeurs de Pignon.
Des œuvres agrestes qui donnent à voir toute la grammaire plastique du peintre alors. Peu ou carrément pas de perspective les hommes, les bêtes, les éléments naturels sont posés à plat avec, quelques fois, une bande de ciel qui couronne le tout. Une manière apparentée au dessin d’enfant et de sa filiation évidente à cet « art brut » qu’il affectionnait au point de le théoriser. Le tout pouvant être compris comme une prise de position contre cet art académique – et d’autres aussi – qu’il rejetait.
Étonnant que cet homme qui disait détester la campagne lui ait porté autant d’intérêt. Alors, est-ce une réelle détestation ou une posture ? Du farceur Dubuffet il faut s’attendre à tout.
Paysage concret et paysage mental
Et oui, la fascination semble l’emporter puisque cette campagne – et même cette terre en elle-même si on incorpore à cette notion de nature ses Matériologies, Texturologies et autres Topographies – semble faite de paysages qui oscillent entre paysage mental et paysage concret.
« En véritable archéologue des sols ruraux, il explore ainsi tous les phénomènes de la nature » nous explique-t-on. Somme toute une constante pour celui qui va dès lors dériver vers « une transposition du fonctionnement de la machinerie mentale […].
Vache tricolore (à Lili) 1954 © Fondation Dubuffet / A.D.A.G.P. Paris, 2019
C’est pourquoi je les ai dénommées Paysages mentaux. Dans de nombreux tableaux de ce groupe, j’ai par la suite, oscillé continuellement entre le paysage concret et le paysage mental, me rapprochant tantôt de l’un, tantôt de l’autre » confiait-il en 1961 dans le catalogue de sa rétrospective au MAD. Mais c’est là une autre histoire, qui nous sera sûrement un jour contée ici. Pour l’instant allons respirer chez Dubuffet cet « (L)er dla canpane », farce un brin barbare de l’un des plus importants et novateurs artistes du siècle dernier.
Fondation Dubuffet
137, rue de Sèvres (7e)
À voir jusqu’au 6 mars 2020
Du lundi au vendredi de 14h à 18h
Fermée les jours fériés
Accès
Métro : lignes 10 et 13 station Duroc
Bus : lignes 70, 82, 89 et 92
Site de la fondation : www.dubuffetfondation.com