À la beauté de ces images on pourrait en oublier leur raison d’être. En photographiant le peuple Yanomami, cette photographe militante nous révèle l’existence et les menaces qui planent sur l’existence même de ce peuple de l’Amazonie. Des images éblouissantes à regarder à l’aune du combat exemplaire que mène, depuis des décennies, Claudia Andujar.
Posté le 18 février 2020
Exposition à visiter jusqu’au 10 mai 2020
Susi Korihana thëri au bain, pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, 1972-1974 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier
Maison collective proche de la mission catholique du rio Catrimani, Roraima, 1976 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Antônio Korihana thëri, jeune homme sous l’effet de la poudre hallucinogène yãkoana, Catrimani, Roraima, 1972-1976 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Invité orné de plumules de vautour pape ou de faucon pour une fête, photographié en surimpression, Catrimani, Roraima, 1974 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Candinha et Mariazinha Korihana thëri lavent un hocco dont les plumes seront utilisées pour empenner des flèches, Catrimani, Roraima, 1974 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Catrimani, Roraima, 1972-1976 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Davi Kopenawa, chamane et porte-parole du peuple yanomami. Le 30 janvier 2020 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier

Est-ce un constat amer ou une vision idyllique que nous propose la photographe Claudia Andujar qui expose ses photos du peuple Yanomani à la Fondation Cartier ? Les deux puisque, comme le reconnaît les organisateurs, son travail reflète « les deux versants indissociables de sa démarche, l’un artistique, l’autre politique, elle révèle à la fois la contribution majeure de Claudia Andujar à l’art photographique et le rôle essentiel qu’elle a joué – et joue encore – en faveur de la défense des droits des Indiens Yanomami et de la forêt qu’ils habitent ».
On peut effectivement se poser la question quant à savoir si sublimer artistiquement un état ne risque pas de faire passer au second plan toute démarche dénonciatrice voire militante ? Rendre magnifique, à l’image des clichés d’un Sebastião Salgado dans la même Amazonie, de peuples en but à des problèmes de déforestation de leur environnement vital voire d’élimination, ne relègue-t-il pas au second plan ce que le photographe justement est venu constater. Le piège étant de présenter des visions presque paradisiaques d’un malheur par-là occulté.
Claudia Andujar, elle, s’est penchée, à l’aube des années 70, sur le sort des Yanomani qui forment le peuple le plus important du bassin amazonien. Une bourse en 1971 lui permet de se consacrer entièrement à suivre ce peuple estimé à 38 000 membres qui occupe environ dix millions d’hectares. Un territoire qui recule de par la déforestation, les orpailleurs qui envahissent ces contrées aurifères et polluent les rivières avec
Jeune Wakatha u thëri, victime de la rougeole, soigné par des chamans et des aides-soignants de la mission catholique Catrimani, Roraima, 1976 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier
le mercure nécessaire à leur exploitation et cette route trans amazonienne qui, comme une plaie ouverte traverse la forêt au mépris des peuples comme de la végétation. Sans compter les attaques, l’alcoolisme, de l’esclavage et les maladies – dues à l’arrivée de populations exogènes – qui déciment un peuple longtemps éloigné de toutes civilisations et ne possédant aucune résistance immunitaire. Le tout enrobé par un discours politique qui se justifie en parlant de l’intégration des indigènes dans ce Brésil en pleine course à la modernisation. L’arrivée de Bolsonaro rend le travail de Claudia Andujar encore plus nécessaire, lui qui a osé déclarer que « la cavalerie brésilienne n’ait pas été aussi efficace que l’américaine, qui a exterminé les Indiens ».
Une photographe militante
Un peuple chamanique aussi qui vit en étroite communion avec la nature, une nature mise de plus en plus à mal aujourd’hui. C’est dire si le combat de Claudia Andujar est des plus importants pour faire sortir de l’ombre ce peuple menacé. Mais au-delà d’un constat par l’image, la photographe s’investit aussi complètement dans cette lutte s’acquittant de diverses fonctions, qu’il s’agisse de vacciner, de faire des examens sanguins ou de former les missionnaires et les Yanomami eux-mêmes à exercer comme agents de santé. Aidée en cela par une équipe de Médecins du monde.
Née en Suisse en 1931 puis élevée en Transylvanie, elle fuit avec sa famille pour échapper aux persécutions nazies lors de la Seconde Guerre mondiale. Son père, hongrois de confession juive, périra dans les camps avec une grande partie de sa famille. Après-guerre, elle émigre aux États Unis avant de s’établir au Brésil en 1955, à São Paulo, où elle devient photojournaliste.
Le chaman Tuxaua João souffle la yãkoana dans les narines d’un jeune homme à la fin de la fête reahu, Catrimani, Roraima, 1974. / Tomé Xaxanapi thëri inhale la yãkoana, Catrimani, Roraima, 1974 © Claudia Andujar / Courtesy Fondation Cartier
Dès sa prise de conscience des menaces pesant sur les Yanomami, et en presque une décennie, elle parcourt tout le vaste territoire Yanomami dont elle tire une somme documentaire importante sur la démographie, l’histoire, la situation sanitaire de ce peuple, un important travail autant sociologique qu’ethnographique, émaillé de nombreux interviews de chefs, missionnaires et autres leaders. Naturellement elle n’en oublie pas pour autant ses appareils afin de documenter au mieux son rapport.
Et, à partir de 1989, bon nombre de portraits, parmi le millier réalisé, prennent un autre sens avec l’installation audiovisuelle Genocídio do Yanomami: morte do Brasil, présentée pour défendre le territoire de ces
Indiens. Ils intègrent également d’autres expositions, comme la série Marcados, l’une des plus connues dans laquelle elle avait photographié, avec un numéro – les Yanomani n’ayant pas, apparemment, de patronymes – ceux qu’elle avait vaccinés.
Le constat est donc là, avec ces magnifiques clichés, il reste un constat amer, symbolique de beaucoup de combats menés de par le monde pour faire remonter à la surface les peuples indigènes sacrifiés sur les autels de la modernité, de la rentabilité, de la spéculation et ce au mépris des lois ou de la simple humanité. Attention à ce que la beauté de ces images ne cache pas la raison de leur existence et la portée de leur message.
Fondation Cartier. 261 Bd Raspail (14e)
À voir jusqu’au 22 septembre
Du mardi au dimanche de 11h00 à 20h.
Nocturne le mardi jusqu’à 22h. Fermé le lundi.
Accès :
Métro : Lignes 4 ou 6 Station Raspail ou Denfert-Rochereau
Bus : Lignes 38, 68, 88 ou 91
RER Station Denfert-Rochereau
Site de la fondation : www.fondationcartier.com
Catalogue
Claudia Andujar. La lutte Yanomani
Textes de Claudia Andujar, Thyago Nogueira et Bruce Albert
Édition Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris
Versions française, anglaise et italienne
336 pages. 300 photographies couleur et noir et blanc. Prix : 40 €