Du travail d’un artiste, il y a les œuvres connues et les autres, celles perdues, détruites, disparues ou ignorées dans des collections privées. La Fondation Giacometti a décidé, elle, d’aller à la recherche de ces œuvres, connues seulement par des croquis, photos ou témoignages. Un vrai travail de détective dont elle nous présente les résultats.
Posté le 30 novembre 2019
Exposition à la Fondation Giacometti jusqu’au 12 avril 2020.
Vue in-situ de l’exposition. : au premier plan : reconstitution documentaire du Mannequin (1932-1933), réalisé en trois dimensions d’après photographies. Au second plan, Femme qui marche I (1932-1936) © Photo Institut Giacometti, Paris
Alberto Giacometti et Petit Homme en plâtre, 1926-1927 © Photo anonyme, Archives de la Fondation Giacometti, Paris

Alberto Giacometti, Composition en plâtre, 1926-1927 © Photo anonyme, Archives de la Fondation Giacometti, Paris

Alberto Giacometti, Reconstitution documentaire de Oiseau Silence (1930-1933) réalisée en trois dimensions d'après photographie 3D © Documentation de la Fondation Giacometti

Alberto Giacometti, Oiseau Silence au VIe Salon des Surindépendants, publié dans le magazine VU de novembre 1933 © Fondation Giacometti, Paris

Buñuel et Giacometti posant avec Girafe dans le jardin de la villa Noailles © Photo anonyme, 1932, Archives de la Fondation Giacometti, Paris

Alberto Giacometti, Objet surréaliste, 1932-2015 (oeuvre complétée par Martial Raysse avec la collaboration de Francis Garcia) © Fondation Giacometti, Paris

Chez tout artiste on peut, sans se tromper, penser qu’il existe l’œuvre visible et celle qui ne l’est pas. Les œuvres connues, répertoriées, exposées ou collectionnées et les autres, perdues, détruites, à la localisation inconnue dont pourtant il peut rester des traces, des esquisses, des photos, des croquis ou relatées dans une correspondance ou dans un écrit. Si la remontée à la surface d’œuvres de génies de l’art font souvent les « unes » de la presse, ces redécouvertes sont souvent dues au hasard et ne doivent surtout pas occulter le travail autant scientifique qu’universitaire fait par des chercheurs et historiens pour tenter de cerner au mieux le corpus d’une œuvre et d’être le plus exhaustif possible dans la connaissance d’un artiste. Ce travail est souvent lié à l’établissement d’un « catalogue raisonné » qui va tenter de retrouver le maximum d’œuvres quitte à y inclure les œuvres perdues ou non localisées. Travail fait ici, par la fondation, sur l’œuvre de Giacometti
Alberto Giacometti (1901-1966) arrive à Paris début 1922 et s’inscrit à la Grande Chaumière dans l’atelier de Bourdelle. Il y suit un apprentissage des plus traditionnels, travaillant sur des modèles vivants. Il ne reste peu, sinon rien de cette période qui, on peut le penser, fut féconde. On ne connaît de ces premières années qu’un seul modelage et trois photos montrant des œuvres en plâtre très classiques, alors qu’on imagine qu’il a dû en produire d’autres. Disparues ? Détruites ? Ou simplement gardées dans des collections sans même se douter de leur auteur ?
Retrouver les traces de ces œuvres disparues et d’autres dans les années qui suivirent, est le sujet de cette très intéressante présentation dans ce lieu magnifique, qui fut l’ancien atelier de l’artiste-décorateur Paul Follot, un hôtel particulier classé de style Art Déco, dont les décors ont été préservés, restaurés et réaménagés. Rarement sinon jamais ce travail d’entomologiste n’est donné à voir au public. Un travail qui nous est présenté à
Man Ray et Femme angoissée dans une chambre la nuit. Vers 1933. Photo attribuée à Man Ray © Archives de la Fondation Giacometti
renfort de photos, carnets, croquis, lettres qui sont les indices de cette quête, à commencer par ce qui était au plus près du travail de Giacometti : ses carnets. Auxiliaires précieux dans cette recherche d’autant que Giacometti en avait toujours un avec lui qui lui servait non seulement à croquer une idée, dessiner une sculpture, mais aussi à y noter autant ses rendez-vous, qu’à y écrire des poèmes, réflexions ou autres.
La photo, auxiliaire précieuse
Les photos sont elles aussi des auxiliaires précieuses et encore plus car elles donnent à voir les œuvres dans leur réalisation. Pourtant, à l’aube des années vingt, la photographie était encore rare et encore plus pour son coût qui « était un luxe pour le jeune artiste en début de son aventure parisienne. Le recours à la photographie devient plus récurrent vers la fin des années 1920 quand il commence à participer aux Salons d’art et cherche à exposer dans les galeries parisiennes » nous renseigne Michèle Kieffer, commissaire de l’exposition. De plus, bien souvent ces clichés ne comportent ni date, ni titre pas plus que la localisation ou le nom du photographe ce qui n’est pas pour faciliter les choses. Mais certaines, nous le verrons, ont servies à reconstituer certaines pièces présentées ici.
On peut aussi imaginer qu’au vu de l’étroitesse de son atelier mythique de la rue Hippolyte-Maindron (14e), atelier qu’il occupe dès 1926 et dans lequel il restera jusqu’à sa mort – reconstitué au rez-de-chaussée de la fondation – que certaines pièces furent renversées, cassées, détruites voire simplement données pour désencombrer l’espace. Et comme il semble qu’il ne notait rien de cela, les recherches
Vue de l’Exposition surréaliste à la Galerie Pierre Colle. Photo Man Ray juin1933 © Archives de la Fondation Giacometti, Paris
n’en sont que plus ardues. Pourtant, sauvées de l’oubli grâce à la photo, certaines œuvres, sans faire l’objet d’une prise de vue volontaire, apparaissent en arrière-plan de photos du sculpteur et de son atelier. Là, dans l’ombre, posées au sol ou sur une sellette apparaissent quelques fois des œuvres inconnues, oubliées. À l’exemple de cette girafe, imaginée en grandeur nature dès la fin de l’année 1931, en collaboration avec Luis Buñuel, René Crevel et Salvador Dalí et destinée à être exposée lors du festival des mécènes Marie-Laure et Charles de Noailles en avril 1932. Croquée hâtivement dans un carnet elle fut effectivement fabriquée puisqu’on la retrouve sur un cliché à côté du cinéaste Luis Buñuel, mais elle aussi disparue seules ces rares traces nous en révèlent l’existence. Et cet autre
animal, une panthère adaptée d’un croquis de Delacroix, qui surgit d’un carnet de croquis et que l’on retrouve dans l’atelier posée là, à moitié cachée !
Reconstruire le détruit !
Ces recherches peuvent même titiller certains plasticiens à qui a été demandé de reconstituer certaines œuvres disparues, à l’image de cet Oiseau silence, grande réalisation des années 1930-1933, en pleine période surréaliste de Giacometti, conçue pour le Ve Salon des Surindépendants. Cette oeuvre maîtresse de cette période, mélange dans un érotisme exacerbé des éléments humains, végétales et animales, et fut, après le salon, entreposée chez Max Ernst, accidentée, puis, par manque de place – l’œuvre mesure plus d’un mètre cinquante de haut – détruite à la demande de Giacometti. Une reconstruction documentaire a été faite à partir de photographies reprises entre autres dans le magazine Vu de novembre 1933.
La pièce magnifique autant qu’étrange trône aujourd’hui au milieu de l’exposition. Il en est de même pour ce Mannequin élancé à tête en forme de volute, qui fut dans l’Exposition surréaliste à la galerie Pierre Colle et documenté par une photographie, qui permit sa reconstitution en 3D. Idem pour cet Objet surréaliste de 1932, sorte de construction mécanique tout à fait dans l’esprit du temps et, qu’en hommage à Giacometti, Martial Raysse a rendu vie à partir d’un morceau conservé par le sculpteur. Là encore la photographie sauva la mise.
On peut alors s’interroger si ces pièces reconstituées, bricolées gardent intact l’esprit de leur créateur, si l’émotion même préside toujours à leur (re)découverte ? On pourrait aussi alors se poser la question de ce qui sépare un plâtre de son moulage en bronze. Quoiqu’il en soit, retrouver ce qui a été, redonner vie à ce qui fut est un moyen de documenter au mieux l’œuvre d’un des plus grands artistes du XXe siècle.
Fondation Giacometti, 5, Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
À voir jusqu’au 12 avril 2020
Accès :
Métro ligne 4 et 6 : Raspail ou Denfert-Rochereau
RER B : Denfert-Rochereau
Bus line : 38, 59, 64, 68 ou 88
Du mardi au dimanche : 10h – 18h Fermé le lundi
Site de l’Institut : www.fondation-giacometti.fr
Catalogue
Coédition Fondation Giacometti, Paris / FAGE éditions, Lyon.
Bilingue français / anglais
192 pages / 145 ill. / 28 €