La galerie Lelong nous propose pour sa réouverture deux voyages dans lesquels, peinture et photographie, se répondent et se conjuguent. L’un, dû au photographe Frank Horvat, nous propose une magnifique série de portraits adaptés de tableaux célèbres. Des revisites d’une perfection aboutie plus que de serviles copies. Et l’autre, nous entraine sur les pas de Marc Desgrandchamps, qui, à l’instar des peintres-voyageurs, nous offre une belle série d’aquarelles faites d’après photos prises sur le motif à Barcelone. Pour réconcilier deux médias trop souvent considérés comme concurrents ?
Posté le 10 juillet 2020 / Accrochages à voir à la galerie Lelong jusqu’au 24 juillet puis reprise le 3 septembre 2020
De cette période bénie pendant laquelle la photo de mode sortait des studios pour s’émanciper et s’évader dans la rue, on aime à citer Avedon comme le précurseur de cette nouvelle façon de voir. C’est un peu court : il faut aussi et surtout regarder chez nous Maywald par exemple et rendre surtout à Frank Horvat une grande part de cette petite révolution de l’image. Révolution qui passe d’un Horst à Sieff puis à tous les grands d’après, comme Lindbergh, Ritts et autre Roversi qui doivent tant à Richard Avedon et à Frank Horvat. Ce dernier qui, à 92 ans, garde bon pied et surtout bon œil, reste le dernier grand de l’image argentique en sa période des plus prolifiques. Mais ce n’est pas aujourd’hui son merveilleux travail sur la mode que vient nous présenter, là où on ne l’attendait pas, la galerie Lelong mais une série comme un véritable chaînon manquant entre la peinture et la photographie : une revisite de tableaux célèbres, de portraits plus exactement, pour laquelle, au-delà d’un simple « copié-collé » plastique, il a su leur insuffler ce supplément qui fait œuvre entière tout en gardant intact leur pouvoir émotionnel. Du grand art.
Le mariage, le « je t’aime moi non plus » plus exactement, entre photo et peinture ne date pas d’hier et fut enfanté dans la méfiance. Et ce, dès la présentation, en 1839, de cette invention devant l’Académie des Sciences par François Arago. Effectivement, les tenants de l’art institutionnel virent d’un sale œil l’arrivée de ce petit frère que lui amenaient science et progrès ; et surtout un réalisme alors jamais atteint. Fustigée, la photo n’en avait pas moins ses adorateurs émerveillés, et certains peintres eux-mêmes – dans la quiétude de leur atelier – utilisèrent sa capacité à figer une scène ou un mouvement qu’ensuite ils pouvaient à loisir travailler sur leur chevalet. Degas ou Delacroix, par exemple, se firent les chantes des deux arts qu’ils utilisèrent sans s’en cacher.
Une série inédite
En se réappropriant des œuvres célèbres et en les réinterprétant en photo, Frank Horvat fait œuvre complète et non un simple plagiat qui n’aurait d’intérêt que d’en faire un « jeu des 7 ressemblances ». Et il est stupéfiant de voir comment il a su retrouver l’essence de chaque œuvre avec, au delà de l’interprétation, une émotion et une appropriation qui transcendent la simple prouesse technique. Cette série, apparemment jamais exposée, fit pourtant l’objet d’un ouvrage édité dans de nombreux pays d’Europe* mais étonnement pas en France. Nul n’est prophète en son pays…
Un travail élaboré par le photographe au milieu des années 80 et semble être resté depuis dans ses cartons. Une démarche plus que personnelle fait, semble-t-il en dehors de son activité professionnelle, durant l’atonie du marché de la photo au milieu des années 60. « Pour une fois j’ai été mon client » justifiait-il ces recherches faites alors en vue d’expositions ou d’ouvrages.
Claude, 1984 (d’après Picasso) © Frank Horvat / Courtesy Galerie Lelong & Co.
Sandrine X (d’après Degas), 1983 © Frank Horvat / Courtesy Galerie Lelong & Co.
Evelyne, 1986 (d’après Vermeer) © Frank Horvat / Courtesy Galerie Lelong & Co.
Marie-Paule (d’après Rembrandt), 1984 © Frank Horvat / Courtesy Galerie Lelong & Co.
Cette magnifique série naît alors avec un extraordinaire travail sur la mise en scène mais surtout la lumière que rend parfaitement la beauté des tirages exposés. Cette série, faite à l’époque où le numérique n’était même pas envisagé, garde du grain photographique une texture qui semble se rapprocher du grain de la toile comme un chaînon manquant entre les deux médias. Poses, décors, modèles, costumes, maquillage tout est d’une perfection aboutie et fait face avec beauté, non seulement de la source inspiratrice, mais aussi et surtout d’un certain marasme de la photo contemporaine.
Marc Desgrandchamps. Barcelona, Montjuïc, 2019 © Marc Desgrandchamps / Courtesy Galerie Lelong & Co.
Desgrandchamps revient de Barcelone
A la galerie mère et historique de la rue de Téhéran, nous attendent deux accrochages, l’un avec quelques ténors de la maison qui composent une partition estivale entre « Rythmes et vibrations ». Un immense et fascinant Sean Scully fait d’un beau camaïeu de gris, noirs, bruns et ocre vibrant de la manière dont le britannique appose ses couleurs et ses fonds. Lui fait face, une œuvre de belle taille, dans des rouges profonds, due à Gunther Förg. Un triptyque coloré de Samuel Levi Jones répond à un autre, tout en rigueur et lyrisme, de Fabienne Verdier, l’une des dernières recrues de la galerie avec Marc Desgrandchamps.
C’est ce dernier qui nous attend dans un salon de la galerie pour jouer une
partition contraire à celle de Frank Horvat. À savoir que sa démarche va de la photo à la peinture. Il nous propose une bonne trentaine d’aquarelles faites suite à une demande éditoriale de la Fondation Louis Vuitton. Dans la série des ouvrages que la Fondation** édite, dont chacun est consacré à une ville, Marc Desgrandchamps a lui, arpenté Barcelone, la capitale catalane, pour nous en rapporter cette foison d’aquarelles comme le faisaient – et le font encore – les peintres voyageurs, à l’image de l’anglais Turner en son temps. Délaissant pendant cette période, ses habituels tons qui s’étagent entre bleu, vert et gris, le soleil catalan donne à son travail des airs de vacances en utilisant toute la gamme de la palette.
Armé d’un appareil photo – passant, à contrario de Frank Horvat, de la photo à la peinture – il arpenté tout Barcelone, de la Sagrada Família à la douceur des parcs de Montjuïc et Güell, sous les platanes des Ramblas ou assis à une terrasse du Barri Gòtic pour, une fois sa moisson terminée, et de retour dans son atelier, nous livrer plus de 120 aquarelles en une sorte de reportage poétique, coloré et léger qui nous restitue avec délice les ombres et les lumières de la cité où Picasso, Mirò et Tapiès imprimèrent leur marque.
Ce premier accrochage de 30 aquarelles est présenté jusqu’au 24 juillet et 30 autres le seront dès la rentrée dès le 3 septembre.
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* Vraies semblances édition italienne (Peliti, Roma) et espagnole (Fotovision, Seville) ; Very similar pour l’édition anglaise (Dewi Lewis, Manchester) et Der Wahre Schein pour l’édition allemande (Braus, Heidelberg 1999)
** Barcelona par Marc Desgrandchamps & Marie Maertens Collection Louis Vuitton Travel Book. 168 pages, 45,00 €
Frank Horvat
Galerie Lelong. 38, avenue Matignon (8e)
Ouvert du mardi au vendredi de 10h30 à 18h et le samedi des 14h à 18h30
Site de la galerie : http://www.galerie-lelong.com/fr/
Marc Desgranchamps
Galerie Lelong. 13, rue de Téhéran (8e)
Ouvert du mardi au vendredi de 10h30 à 18h et le samedi des 14h à 18h30
Site de la galerie : http://www.galerie-lelong.com/fr/