La Fondation Giacometti nous présente ce qui est sûrement l’œuvre la plus connue du sculpteur suisse et surtout, comme le titre de l’exposition l’avance avec raison, une icône du siècle dernier et de la statuaire mondiale. Pour la première fois, sont rassemblées la (presque) totalité des œuvres de Giacometti de cette thématique.
Posté le 30 novembre 2019 / Exposition à visiter à la Fondation Giacometti jusqu’au 29 novembre 2020
Vue d’une salle de l’exposition. De gauche à droite : Homme qui marche II, 1960; Homme qui marche I, 1960 et Homme qui marche, 1947 © Fondation Alberto Giacometti / Sucession Alberto Giacometti / Adagp Paris 2020
Alberto Giacometti dans l'atelier 1959 © Photo Ernst Scheidegger / Fondation Giacometti / Adagp 2020

Alberto Giacometti Femme qui marche 1932 © Fondation Alberto Giacometti / Sucession Alberto Giacometti / Adagp Paris 2020

Alberto Giacometti travaillant au plâtre de l'Homme qui marche 1959 © Photo Ernst Scheidegger / Fondation Giacometti / Succession Alberto Giacometti / Adagp 2020

Alberto Giacometti Trois hommes qui marchent 1948 © Fondation Giacometti / Succession Alberto Giacometti / Adagp 2020

Alberto Giacometti Homme traversant une place 1949 © Fondation Giacometti / Succession Alberto Giacometti / Adagp 2020

Alberto Giacometti Homme qui marche 1959-1965 © Fondation Giacometti / Succession Alberto Giacometti / Adagp 2020

Avec cet Homme qui marche et qui contient en lui toute la quintessence et l’expression de son art, Alberto Giacometti (1901-1966) tient là l’acmé de son travail comme le fût pour Pierre Puget son Milon de Croton ou Le Penseur pour Rodin. Une sculpture qu’il déclina et n’eut de cesse d’y revenir, de sa création à la fin des années quarante, jusqu’à sa disparition en 1966. Laissant même, dans son minuscule atelier de la rue Hippolyte Maindron où il travailla toute sa vie, un plâtre inachevé. Et d’entrée, dans ce bel hôtel particulier qui renferme la fondation, on est de plain-pied dans l’œuvre avec cette plongée dans son atelier sauvé de la démolition. Un atelier d’à peine 25 m2 reconstitué et qui comporte en son centre une esquisse en plâtre de cet Homme qui marche comme pour bien ancrer l’importance première que cette œuvre revêtait dans son travail et dans la statuaire de son temps.
Contrairement aux Écritures, c’est d’Ève qu’est né cet Adam de Giacometti. C’est d’une Femme qui marche élaborée dès 1932, une sculpture lisse, sans bras ni tête, aux allures de statuaire cycladique, que Giacometti se penche sur cette représentation de la figure humaine dans sa simplicité. Façonnée, alors que Giacometti était dans sa phase surréaliste, il affirmait ainsi son retour à la figuration après cette période pendant laquelle il avait perdu tout repère avec le réel dans des œuvres, à portée onirique et symbolique, qui plurent tant aux surréalistes, adeptes de la bande d’André Breton.
Retour à la figuration veut aussi dire, pour lui, retour aux origines, aux représentations premières puisque, semble-t-il, il alla chercher dans l’Antiquité cette figure emblématique de la représentation humaine : l’homme en marche. On retrouve du reste ce lien dans une esquisse qu’il fit en marge d’un ouvrage
Vue de l’atelier de Giacometti, reconstitué dans la fondation avec, entre autres, un plâtre inachevé d’un Homme qui marche © Fondation Alberto Giacometti / Sucession Alberto Giacometti
sur l’art antique à la page représentant la statue de Per-her-nofret dans l’attitude exacte d’un homme qui marche. De là, cet homme en mouvement a traversé le temps jusqu’à Rodin et son Homme qui marche daté de 1907, au futuriste Boccioni (Forme uniques de la continuité dans l’espace, 1936) qui en fit de son homme le chantre du monde moderne en mouvement sans oublier cet autre Homme qui marche de 1945, balourd aux bras ballants, dû à Germaine Richier. « Le motif de l’homme qui marche est un motif récurrent de l’histoire de l’art, traité par bien d’autres avant Giacometti, depuis les sculptures égyptiennes et grecques et ce, jusqu’au nos jours. » reconnaît Catherine Grenier, commissaire de l’exposition et qui par ailleurs dirige la fondation.
Un être à la fois conquérant et fragile
Si le fond est effectivement une constante, chez Giacometti, tout comme chez ceux qui le précédèrent, c’est la forme, son interprétation qui donnent du sens à son travail. L’homme qui marche, dans sa grande simplicité, est porteur de beaucoup de symboles et avant tout, comme le souligne Catherine Grenier, il nous « offre la vision d’un être humain à la fois conquérant et fragile ».
Figurine dans une boîte entre deux maisons,1950 © Fondation Alberto Giacometti / Sucession Alberto Giacometti / Adagp Paris 2020
Il se tient debout, marche en avant, il peut aussi être symbole de conquête, de liberté, cet état fait partie des attitudes primaires de l’homme dans son espace, qu’il marche, s’assied, s’allonge, chevauche, il est vivant et maître de ses mouvements. Giacometti accentue cette attitude, en le débarrassant du superflu ne conservant que l’ossature, il le décharne afin d’en mieux exalter la présence, la position du corps légèrement penché en avant accentue l’idée de mouvement, le mettant presque en situation de déséquilibre. Le représenter ainsi semble, non le stopper dans son élan, mais donne l’idée d’un instantané d’une action. Comme une photographie. De plus, avec une économie de moyens, en le déshabillant
de son superflu – presque de son enveloppe temporelle – Giacometti nous offre ainsi une synthèse entre abstraction et figuration, lien aussi entre les anciens et les modernes. Ici, toutes les versions nous sont proposées, en bronze, en plâtre, assemblées en « foule », sur des « places » et de toutes les tailles. De la taille réelle de l’humain à de toutes petites fontes de quelques centimètres.
Toutes ?… sauf une !
Toutes comme l’annonce le catalogue ? Non pas exactement puisque l’UNESCO, au dernier moment, refusa de se séparer, même quelques mois, de son exemplaire. Et la fondation ne pouvant, comme elle le note elle-même, « assumer le coût des conditions de prêt hors des usages et prohibitives exigées », déplore « ce manque de solidarité de la part d’une institution à laquelle Annette Giacometti (l’épouse du sculpteur ndlr) avait consenti la fonte exceptionnelle de ce tirage hors commerce ».
Déclinant son propos, Giacometti met son « homme » en situation, avec plusieurs silhouettes sur une place (La Place II, 1948), prenant des chemins inverses comme se quittant après une rencontre (Trois hommes qui marchent,1948) allant de nuit entre deux maisons représentées par deux cubes (Figure entre deux maisons, 1950) ou encore dans une action concrète de la vie (Moi me hâtant dans une rue sous la pluie,1848) réminiscence de cette photo prise par Cartier-Bresson, où l’on voit Giacometti pressant le pas sous la pluie rue d’Alésia ! Son Homme qui marche est ancré dans la vie, le temps, la société. Et en cela il est la figure rhétorique de son art et de sa pensée humaniste. « Au travers de cette sculpture emblématique, l’artiste parvient à tout dire de l’humain dans la plus grande économie de moyens et d’effets… » conclut Catherine Grenier. Dessins, esquisses, documents et photos complètent la présentation.
Fondation Giacometti, 5, Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
À voir jusqu’au 24 novembre 2020
Accès :
Métro ligne 4 et 6 : Raspail ou Denfert-Rochereau
RER B : Denfert-Rochereau
Bus line : 38, 59, 64, 68 ou 88
Du mardi au dimanche : 10h – 18h Fermé le lundi. Ouvert tout l’été
Réservation obligatoire sur le site de la fondation : fondation-giacometti.fr/
Catalogue :
Alberto Giacometti, L’Homme qui marche
Catalogue sous la direction de Catherine Grenier
Édition bilingue français/anglais
Éditions Fage, Lyon, Fondation Giacometti, Paris
160 pages, 220 ill. environ, 24 €