Dès 1908, Picasso s’intéresse au thème emblématique des baigneuses, un sujet récurrent dans l’histoire de l’art. Chez lui, cette exploration va se plier à toutes ses manières et courir tout au long de sa vie. Le musée des Beaux-Arts de Lyon nous expose une centaine d’œuvres de l’Espagnol entourée d’autres dues à des artistes qui ont aussi exploré et pérennisé ce thème. Ingres, Renoir, Gauguin, Cézanne, Bacon, entre autres, entourent, ici et avec bonheur, baigneuses et baigneurs de Picasso.
Exposition « Picasso. Baigneuses et baigneurs » au Musée des Beaux-Arts de Lyon jusqu’au 31 janvier 2021.
Lucien Clergue, Picasso sur la plage à Cannes, été 1965 © Lucien Clergue
Pablo Picasso, Étude pour « Baigneuses dans la forêt ». Paris, printemps 1908 © Succession Picasso 2020. Photo : RMN-Grand Palais (Musée national Picasso - Paris) / Michèle Bellot

Pablo Picasso, Joueurs de ballon sur la plage, Dinard, 15 août 1928 © Succession Picasso 2020. Photo: RMN-Grand Palais (Musée national Picasso - Paris) / René-Gabriel Ojéda

Pablo Picasso, Figures au bord de la mer, Paris, 12 janvier 1931 © Succession Picasso 2020. Photo : RMN-Grand Palais (Musée national Picasso - Paris) / Mathieu Rabeau

Pablo Picasso, La Baignade, 12 février 1937 © Peggy Guggenheim Collection, Venice / Succession Picasso 2020. Image : Peggy Guggenheim Museum

Pablo Picasso, Femme nue allongée sur la plage, Cannes-Mougins, 30 mai – 5 juin 1961 © Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Museum Berggruen / Succession Picasso 2020. Photo : Dist. RMN-Grand Palais / Jens Ziehe

Pablo Picasso, Baigneur et baigneuses, 1920-1921 © Collection David et Ezra Nahmad. / Succession Picasso 2020. Courtoisie David et Ezra Nahmad

Le rapport que Picasso entretient avec la mer, s’il n’est inscrit dans ses gênes, l’est du moins dans son histoire. Né en 1881 à Malaga, ville portuaire située sur la Costa del Sol, il suit naturellement son père nommé professeur de dessin à la Corogne en 1891, petit port galicien au bord de l’Atlantique. Puis, ce sera Barcelone où il arrive l’année de ses 15 ans, toujours à la suite d’une nomination paternelle dans une école de la capitale de Catalogne. Chez nous, où il débarque une première fois à Paris en 1900, puis s’y installe définitivement l’année d’après, et ce, afin de se frotter aux avant-gardes mais surtout d’y trouver marchands et collectionneurs. Mais, dès qu’il peut s’échapper de la ville pour une destination maritime, il le fit. Biarritz en voyage de noces en 1918, puis Dinard en vacances dès 1922 jusqu’au tout début des années 30 avec son épouse Olga et son fils Paulo, Royan pendant la guerre, et enfin la Méditerranée où il s’installa d’abord à Cannes, à la Californie en 1955 et à Mougins, en 1961, où il mourût en 1973. La mer, toujours, comme horizon à sa vie…
La mer omniprésente amène tout naturellement dans son art, le thème des baigneuses. Thème récurrent dans le panthéon des peintres, il a inspiré de très nombreux artistes au cours des siècles. Pas toujours du reste pour des raisons artistiques, aux époques où montrer la nudité féminine était scandaleuse si elle n’avait pour raison les Écritures ou la mythologie, à l’image des sempiternels Suzanne et les vieillards et autres représentations de Vénus. L’histoire de l’art est ponctuée des scandales soulevés par le nu féminin auquel on opposait les préceptes de la morale ou le détournement des canons classiques de la beauté. Bien accepté dans la statuaire, le nu en peinture ne le fût vraiment qu’à la fin du XIXe siècle. Depuis la Bethsabée au bain de Rembrandt jusqu’aux baigneuses de Cézanne en passant par Fragonard, Courbet, Ingres, Gauguin, Renoir, Derain, Bacon dont certains – et quelques contemporains qui prouvent si besoin était, de la pérennité du thème – sont associés ici aux œuvres de Picasso pour une relecture de ce sujet emblématique.
Un thème exploratoire
Picasso n’a donc pas à se frotter aux diktats de la morale ou à subir les assauts d’une critique, tenante d’un certain bon goût, pour développer à loisir ce sujet. Le thème des baigneuses (et baigneurs) revêt chez lui une tout autre raison ou destination. Celui de lui permettre, à son habitude, de nombreuses digressions plastiques.
Pablo Picasso, Les Baigneuses, Biarritz, été 1918 © Succession Picasso 2020. Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso – Paris) / Sylvie Chan-Liat
Développé ici autour de trois grandes œuvres emblématiques et quasiment jumelles datées de 1937 – et qui furent déjà rassemblées, en 2017, pour une très courte présentation au musée Guggenheim de Venise qui en possède l’une des versions (les deux autres étant conservées, pour l’une au Musée Picasso de Paris et l’autre ici-même aux Beaux-Arts de Lyon) – l’exposition les entoure ici d’une centaine d’autres œuvres sur le même thème développées par le peintre tout au long de sa vie.
Bien qu’abordé dès 1907 dans des études proches des Demoiselles d’Avignon, le sujet du nu se confond très vite avec celui des baigneuses. Il semble que le thème – dans son développement maritime s’entend – date de son voyage de noces durant l’été 1918, avec son épouse Olga Khokhlova, qui l’entraîne à Biarritz. Il s’intéresse alors aux bains de mer. Alors qu’il aborde sa période dite ingresque qui sonne, après la parenthèse cubiste, un retour au classicisme, ses premières baigneuses adoptent des corps lestes, habillés de maillots très couvrants à la mode de l’époque et jouant ou se prélassant sur le sable dans une acceptation très réaliste.
Puis, des années Dinard à l’atelier de Cannes loué pendant l’été 1927, en pleine période des « tableaux magiques », ses baigneuses subissent des déformations dans lesquelles leur tête minuscule sont supportées par des corps exagérément allongés ou faits de volumes gonflés s’exerçant à de naïfs jeux de plages. Les années suivantes pendant lesquelles la sculpture est une activité parallèle prégnante avec son installation à Boisgeloup, Picasso introduit dans ses baigneuses sur toile, une dimension sculpturale faite d’assemblages de volumes comme polis, les seins deviennent des sphères, les langues des cônes. Peu à peu, dans les années suivantes, ces corps prennent des allures de sculptures de pierre rappelant les rochers de granit comme on en trouve tout au long de la côte bretonne, à Dinard plus particulièrement. Les trois grandes baigneuses emblématiques, peintes en dix jours en février 1937 et autour
Pablo Picasso, Deux femmes courant sur la plage (La Course), Dinard, été 1922 © Succession Picasso 2020. Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso – Paris) / Mathieu Rabeau
desquelles est développée l’exposition, présentent toutes, dans leur aspect rugueux et presque monstrueux, trois scènes banales de plages dans lesquelles elles s’adonnent à d’innocentes occupations, jouant avec un petit bateau, lisant ou semblant retirer une aiguille d’oursin de son pied.
Une image chasse l’autre…
Ces attitudes paisibles sont ici contrebalancées, par leur rugosité, voire la monstruosité de leur représentation, leur donnant une incroyable dimension tragique. Cette dimension – n’oublions pas que nous sommes alors en pleine guerre d’Espagne qui marque durement l’esprit du peintre – se ressent dans le contraste entre le sujet et son traitement. Période noire aussi dans sa vie intime, toujours très liée à son art, avec une Olga quittée quelques années avant et qui le harcèlera sans cesse,
et une Dora Maar, nouvelle égérie, qui pointe son nez et sera, ces années-là, de l’aventure de Guernica, et enfin Marie-Thérèse, mère de la petite Maya qui sent bien que Picasso s’éloigne d’elle…
Durant toutes ces années le thème est inlassablement ressassé, selon ses manières, voire son humeur, jusqu’à épuisement dans des digressions graphiques, des croquis, des sculptures aussi. À son habitude il fait œuvre de tout. Et l’on sent par endroit que le thème lui échappe, qu’il emprunte des chemins de traverse pour s’éloigner de ces baigneuses au profit de divagations graphiques. Sa main l’entraîne au loin comme on peut souvent le remarquer chez lui. Une image chasse l’autre et fait naître un autre horizon exploratoire comme dans cette série de dessins titrés Accouplements qui lui permet d’explorer, à son habitude, toute l’étendue des thèmes qu’il aborde. Souvenons-nous du film de Clouzot Le Mystère Picasso qui explicitait parfaitement cette manière de faire, construisant pour mieux détruire et reconstruire.
Le musée des Beaux-Arts de Lyon nous offre ici, non seulement une belle illustration du génie du malaguène mais aussi et surtout une large vision de ce thème emblématique et intemporel. Oui, on n’en a jamais terminé avec lui !
Musée des Beaux-Arts Lyon 20, place des Terreaux. Lyon (69)
À voir jusqu’au 31 janvier 2021
du mercredi au lundi de 10h à 18h, le vendredi de 10h30 à 18h00.
Fermetures partielles de salles entre 12h30 et 14h.
L’exposition Picasso est accessible de 13h à 20h sauf le dimanche de 10h à 18h.
En raison des mesures sanitaires en vigueur, il est demandé à tous de réserver ses billets en ligne avant d’arriver au musée.
fermeture partielle des salle entre 12h30 et 14h.
Accès :
Métro : Lignes A et C, station Hôtel de ville – Louis Pradel
Bus : Lignes C3, C5, C13, C14, C18, 9, 19, S1, S6, S12, 171
Site du musée : mba-lyon.fr
Catalogue
Picasso, baigneuses et baigneurs
Sous la direction d’Émilie Bouvard et Sylvie Ramond
Editions Musée des Beaux-arts de Lyon / Snoeck / Musée Picasso Paris. 342 p. 300 ill. environ. 39 €