Le musée Marmottan Monet met en regard l’œuvre de Cézanne face à certains grands maîtres italiens, du XVIe au XXe siècle, à la recherche de liens entre eux. Son iconique Montagne Sainte-Victoire, et autres portraits, Pastorale et natures mortes, se voient confrontés à un rare ensemble de peintures anciennes et modernes. Mais on peut se demander ce que tous ont à voir avec le maître d’Aix sauf à être ici conviés à jouer au jeu des 7 ressemblances.
Exposition « Cézanne et les Maîtres. Rêve d’Italie. » au Musée Marmottan jusqu’au 3 janvier 2021.
Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire, vers 1890 © Paris, musée d’Orsay / Ph. : RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Paul Cézanne, La Femme étranglée, entre 1875 et 1876 © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Jacopo Robusti, dit le Tintoret, La Descente de croix, 1580 © Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola

Paul Cézanne, Cinq baigneurs, 1900-1904 © Paris, Musée d’Orsay / RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Adrien Didierjean

Nicolas Poussin, Paysage avec Bacchus et Cérès vers 1625-1628 © National Museums Liverpool, Walker Art Gallery

Mario Sironi, Ritratto del fratello Ettore, vers 1910 © Archivio Mario Sironi di Romana Sironi

Giorgio Morandi, Nature morte, 1960 © Bologne, musée Morandi / Bridgeman Images /

Comme un air de vacances continuerait à souffler au musée Marmottan avec cette prolongation de l’exposition sur Cézanne face aux grands maîtres italiens.
Bien que Cézanne (1839-1906) ne se soit jamais rendu en Italie, sa proximité, son félibréen pictural et sa manière de célébrer la lumière de son pays natal, on peut effectivement, y trouver quelques rapports avec certains maîtres italiens. N’oublions pas qu’il est, non seulement, né à Aix, en pleine Provence, mais surtout, à l’instar de tant d‘autres attirés par les lumières de la capitale – qu’ils soient peintres ou littérateurs comme son ami Zola – Il n’a jamais quitté son ciel, sauf pour un très court temps à la suite de Zola pour tenter d’entrer aux Beaux-Arts à Paris (examen qu’il loupe par deux fois) puis quelques années encore, afin de faire ses humanités à l’Académie Charles Suisse. Là, comme tout carabin il prend sa carte de « copiste » au Louvre. Se confronter aux anciens a toujours été d’importance pour les élèves des Beaux-Arts comme des académies.
On sait qu’il tentera de copier La Barque de Dante de Delacroix sans l’achever et Les Bergers d’Arcadie de Poussin. Mais très vite, ses années là il inscrit sa marque dès ses premières œuvres. Une pâte lourde avec laquelle il sculpte la lumière en touches grasses dans des compositions très construites. Touche qui gagnera en légèreté les années suivantes. Le passage par la case « copie » sera de courte durée. Dès avril 1866 il présente un tableau au Salon qui est refusé, l’année d’après il est accepté mais très vertement critiqué sauf par son ami Zola qui le défend. En 1870, il retrouve Aix définitivement.
Dès lors, il va partager son temps, entre le Jas de Bouffan, la maison familiale dans les faubourgs d’Aix, son atelier des Lauves construit en 1902, et une maison de vacances à l’Estaque, à arpenter la campagne environnante. Il en rapporte non seulement des paysages mais aussi des portraits et des natures mortes, et surtout une manière qui va introduire l’art du siècle à venir. De l’impressionnisme au postimpressionnisme, son art introduit les notions de ce qui sera le cubisme quelques années plus tard et beaucoup, dès lors, y feront référence. Il est, selon l’écrivain Huysmans « Le précurseur d’un autre art ».
Tel Monet son contemporain, il est l’artiste qui décline ses thèmes en séries avec, en point d’orgue les multiples versions de la Montagne Sainte Victoire – on en compte pas moins de 22 sur toile s’étendant entre 1885 et 1905 et de nombreuses aquarelles – de la carrière de Bibémus et de l’Estaque, ce village aux portes de Marseille (aujourd’hui intégré à la cité phocéenne) sans oublier ses Baigneuses et autres Joueurs de cartes et de très nombreuses natures mortes, dont ses iconiques pommes. Toutes ces œuvres s’étalant sur plus de quatre décennies montrent parfaitement l’évolution de sa grammaire stylistique.
Précurseur pas suiveur…
Revenons au musée Marmottan avec cet accrochage, en rien une confrontation, mais à en écouter les commissaires de cette exposition une recherche de parenté, d’« italianité » entre
Paul Cézanne, Homme assis, 1905-1906 © Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza
Cézanne et les maîtres exposés ici avec lui. On peut rester un peu dubitatif quant au concept sinon à y voir une idée qui relèverait plus du marketing – aligner des noms connus – qu’une réelle étude de ce qui pourrait bien relier ensemble ces peintres qui s’étalent du XVIe au XXe siècle. Sauf, peut-être, à considérer, mais ce n’est pas une découverte, de l’importance de Cézanne sur une nouvelle génération née ou active après lui. Et même Patrick de Carolis, directeur du musée, de le reconnaître à mi-mot : « L’interprétation des artistes de la péninsule Italienne diffère profondément de celle des cubistes parisiens et s’ancre dans l’ « italianité » qui a nourri Cézanne. À l’éclatement des formes voulu par les cubistes, les Italiens préfèrent la lignée métaphysique, silencieuse et classique de l’œuvre ultime du peintre d’Aix ». Et ajoutons à cela une lapalissade qu’effectivement tout artiste se nourrit de l’histoire de son art pour mieux s’en détacher.
Donc, on se voit ici, à parcourir des salles d’où ressortent les noms du Tintoret, de Bassano, le Gréco, Poussin, Rosa, Munari, Boccioni, Carrà, Rosai, Sironi, Soffici, Pirandello ou Morandi, ce qui en soi promet déjà une belle visite mais des mises en regard discutables. Mais comme toujours lorsqu’on « confronte » un ou des artistes à un autre on ne peut s’empêcher de tomber dans le jeu des « sept ressemblances » et de tenter de rapprocher, comme il est fait ici et tout au long de la visite, L’Homme assis de Cézanne du Portrait du frère Ettore de Mario Sironi ce qui n’apporte pas grand chose à l’un comme à l’autre, un portrait restant un portrait et un paysage un paysage.
Paul Cézanne, Château Noir, 1905 © Paris, Musée national Picasso-Paris. Donation Pablo Picasso, 1973/1978, Collection personnelle Pablo Picasso / RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau
Le but recherché ?
Le jeu continue donc, La Montagne Sainte-Victoire de Cézanne ferait « alors écho », selon les organisateurs, à la silhouette des monts Albains que Francisque Millet place dans son Paysage classique. Et les commissaires Marianne Mathieu et Alain Tapié d’avancer que « les nymphes du Paysage de Bacchus et Cérès et les figures du Moïse sauvé des eaux (tous deux de Poussin) préfigurent-elles les baigneuses sans que celles-ci ne les copient jamais »… Et oui ! Pour exemple les « baigneuses » sont un thème rebattu tout au long de l’Histoire et que l’on retrouve chez beaucoup de Rembrandt à Renoir.
Toutefois la confrontation peut être artificiel comme de rapprocher Une Descente de croix du Tintoret de La Femme étranglée de Cézanne au fait que, dans les deux cas, on retrouve l’idée d’un corps renversé, démonstration à l’appui (!) ou encore d’opposer le crâne d’une vanité par Cézanne à… une citrouille d’un certain Cristoforo Munari ! Il est tellement évident que la démarche ici fut telle qu’on peut se demander qu’est le véritable
but recherché et qu’on espèrerait qu’il est autre que cette simple mise en regard d’œuvres qui, en définitive, n’ont rien vraiment à voir entre elles. Mais semble que non. Et quant à trouver des ponts stylistiques entre les manières à tous, là encore rien ne résiste à cette recherche.
Comme dit plus haut, cela peut rester une agréable déambulation à la découverte d’œuvres peu vues. Une présentation qui, pourtant, voudrait nous faire accroire que le maître d’Aix eu toujours les yeux fixés sur ses prédécesseurs ? Le penser serait mal le connaître.
Musée Marmottan, 2 rue Louis Boilly (Paris16e).
À voir jusqu’au 2 janvier 2021
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Dernière entrée : 17h30
Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Dernière entrée : 20h30
Accès :
Métro : Ligne 9, arrêt : La Muette ou Ranelagh
RER : Ligne C, arrêt : Boulainvilliers
Bus : Ligne 22 (La Muette – Boulainvilliers), ligne 32 (Louis Boilly ou Ranelagh), ligne 52 (La Muette – Boulainvilliers), ligne 63 (Porte de La Muette), ligne 70 (Louis-Boilly) et ligne P.C. 1 (Ernest Hébert ou Porte de Passy)
Site de l’exposition : www.marmottan.fr/expositions
Catalogue
Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie
Editions Hazan. 192 p. 250 ill. 29,95 €