Les Archives nationales nous propose une plongée dans la police du siècle des Lumières à la découverte de cette institution, de ses rouages et de son organisation à la veille de la Révolution. Un sujet rarement traité qui nous dévoile la mise en place d’une police moderne et plus efficace mais aussi et surtout la vie quotidienne de la population en but aux lettres de cachet, détentions arbitraires, espions et autre mouchards, elle qui ne rêvait que de justice, liberté et égalité !
Exposition aux Archives nationales jusqu’au 18 janvier 2021.
Jacques Rigaud. Vue de la Bastille de Paris, de la porte Saint-Antoine et d’une partie du faubourg au XVIIIe siècle. © Saint-Denis, musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard
Jacques-François Delyen, portrait de Nicolas-René_Berryer © Troyes, musée des Beaux-Arts

Mère maquerelle montée sur âne, 11 juillet 1750 © Archives nationales

La Désolation des filles de joie © Paris B.N.F.

Magistrats de la ville de Lille traversant la Grand-Place. 29 Septembre 1729 © Lille Bibliothèque municipale

Guillaume Desnoues. Masque mortuaire de Cartouche, 1721 © Saint-Germain-en-Laye, musée municipal

Galerie et jardins du Palais-Royal au XVIIIe siècle © Paris B.N.F.

Controversée, nécessaire, vilipendée, soutenue, applaudie comme sifflée, garante de l’ordre pour certains, fauteuse de troubles pour d’autres, la police, au long des siècles, n’a jamais laissée indifférent notre société. On se demande ce qu’elle fait quand on a besoin d’elle et ce qu’elle fout là quand elle intervient. Bref, son histoire se calque sur celle de nos sociétés et c’est ainsi depuis 1536, lorsque fut créée la maréchaussée qui devient la gendarmerie le 1er janvier 1791. En 1667, Louis XIV et Colbert, créent une lieutenance de police à Paris, ancêtre d’une police municipale dont il est fortement question d’un retour ces temps-ci. Mais cet ancêtre de notre police actuelle n’avait, on s’en doute, pas les mêmes droits hier qu’aujourd’hui. C’est ce qu’explore et retrace cette très intéressante et toujours d’actualité exposition aux Archives Nationales dont le catalogue (publié par Gallimard) se fait l’écho y apportant de très nombreux et indispensables éclaircissements et contributions.
L’exposition explore une ambigüité : comment faire coexister cet esprit des Lumières naissant et toutes les actions nécessaires à sa mission dans une société alors très inégalitaire et avec des méthodes très empiriques ? Dans des villes et surtout à Paris, sévissent des bandes criminelles très structurées qui agissent en toute impunité tuant, volant et faisant régner, dès la nuit tombée, un vent de panique dans les rues. Il s’agissait alors d’endiguer cet état de fait, d’où la volonté de Louis XIV de se doter d’un instrument répressif performant adapté aux circonstances, ce qui est fait le 15 mars 1667 en nommant Gabriel Nicolas de la Reynie lieutenant du prévôt pour la partie de la police et en lui donnant des pouvoirs étendus.
Il s’agit, dès lors, de pourchasser et d’arrêter avec des moyens
Nicolas Guérard, L’Embarras de Paris, 1710 © Paris B.N.F.
de lutte expéditifs, tous ceux qui sont considérés comme indésirables et criminels, en réprimant tous les abus, escroqueries et autres délits de toutes natures. Sous les projecteurs de cette police aux pouvoirs étendus, bon nombre de citoyens sont arrêtés et enfermés sans autre forme de procès notamment avec les très expéditives « lettres de cachet », sommet de l’arbitraire… Sans oublier surtout d’agir contre toute forme de rébellion et contre ceux qui promeuvent et répandent ces nouvelles idées qui vont amener à la Révolution, c’est-à-dire imprimeurs, écrivains, journalistes et pamphlétaires.
La police se structure
L’exposition décortique tous les éléments de ce corps chargé tout à la fois de protéger et de réprimer, credo de toutes polices. Mais il nous faut, ici, tenter de voir avec les yeux d’alors et non, naturellement, à l’aune de notre société actuelle. C’est aussi à cette époque que l’on note l’apparition de policiers professionnels et spécialisés, dont les premiers « détectives », ainsi que la création de forces dévolues à la sécurité publique dotée d’une volonté de quadrillage des territoires urbains et aussi le recours croissant à des instruments écrits de gestion des populations, ancêtre des futurs fichiers. Gabriel Nicolas de la Reynie, Nicolas René Berryer, le très médiatisé, par une série télévisée, Antoine Gabriel de Sartine et d’autres lieutenants généraux de police vont être les initiateurs de cette nouvelle bureaucratie en s’appuyant sur de nombreux collaborateurs, commis, commissaires, inspecteurs et mouchards…
Claude Duflos, L’Enlèvement de police. Vers 1756-57 © Paris B.N.F.
L’exposition embrasse aussi l’immense périmètre des « matières de police ». En effet, dans une conception très large du maintien de l’ordre, la police touche aux domaines les plus divers, des règles du travail et du marché jusqu’aux bonnes mœurs, de la lutte contre le vol à la propreté des rues, de la surveillance de l’opinion à la santé publique. Enfin, l’exposition accorde une place particulière aux gestes et aux mots des hommes et des femmes du peuple, et à leurs sentiments mêlés, entre attentes de justice, craintes et colères, à l’égard d’une police qui se veut porteuse d’ordre et de « civilisation ».
La part sombre…
Et surtout en ce siècle, de nouvelles idées circulent et s’ancrent dans l’esprit du peuple, mais aussi dans celui des administrateurs et des magistrats épris de certaines idées des Lumières. Ainsi la police se veut également une institution amélioratrice et un instrument au service du progrès et du
développement urbain. Mais l’exposition ne laisse pas pour autant dans l’ombre la part sombre de cette police répressive, et autrement que l’on ne pourrait accepter de nos jours. Chasses impitoyables aux vagabonds et autres mendiants, aux étrangers en général, mais aussi enlèvements et séquestrations des fils libertins et autres épouses débauchées et recours à toute forme d’espionnage qui alimentent tout un arbitraire dont le but est la paix et la sûreté des « bons » citoyens. Une police et ses agents d’une grande efficacité qui souvent exercent leur fonction en toute impunité nourrissant les réticences, les colères et parfois les rébellions.
Qui dit « archives » dit documents et on nous propose ici toute une multitude de gravures, textes, journaux et autres minutes d’arrestation ou de procès qui illustrent parfaitement ce que pouvait être cette institution dans ces temps qui allaient déboucher, à la fin de ce siècle dits des Lumières en une remise en cause profonde de notre pays… dans laquelle une autre forme de police allait faire son apparition.
Archives nationales Hôtel de Soubise 60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris
Horaires : du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30, le samedi et dimanche de 14 h à 17 h 30. Fermé le mardi
Accès :
Métro : ligne 1 Hôtel-de-Ville et ligne 11 Rambuteau
Bus : ligne 29 Vieille du Temple
Site de l’exposition : www.archives nationales.culture.gouv.fr
Catalogue
La Police des Lumières. Ordre et désordre dans les villes au XVIIIe siècle
Édition publiée sous la direction de Vincent Denis, Isabelle Foucher et Vincent Milliot
Coédition Gallimard / Archives nationales. 256 p. 200 ill. 35 €