Deux expositions viennent nous parler d’une année charnière du XXe siècle : 1940. L’une au Musée de la Libération nous raconte l’exode des Parisiens face à l’avancée des troupes allemandes. L’autre, au Musée de l’Armée, nous raconte cette année-là : de cette « drôle de guerre » qui voit la déroute de l’armée française et débouche sur l’armistice, la collaboration et la mise en place du gouvernement de Vichy. Et la réponse venue de Londres avec le général De Gaulle et les Forces françaises Libres. Aucun aspect tant politique, militaire que social n’est laissé dans l’ombre sur cette année qui va conditionner celles qui vont suivre.
Exposition à visiter au Musée de la Libération jusqu’au 13 décembre 2020 et au Musée de l’Armée jusqu’au 10 janvier 2021.
Comme en 40, vue de l’exposition © Paris, musée de l’Armée/ Ph. : Anne-Sylvaine Marre-Noël
Juin 1940, une famille quitte Paris avec des moyens de fortune. © Roger-Viollet

Gare Montparnasse à Paris, juin 1940 © Lapi / Roger-Viollet

14-15 mai 1940. Motocycliste allemand dans la région de Sedan © Photographe inconnu/ ECPAD

Mai 1940, des chars Renault D2 de la 345e Compagnie autonome de chars de combat (CACC) croisent des réfugiés sur la N2 entre Soissons et Laon, © ECPAD

Affiche « Appel aux Français de Liverpool » © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Émilie Cambier

Affiche de propagande allemande réalisée par Theo Matejko © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais

Il y a exactement 80 ans notre pays était en proie à l’une des pages les plus sombres de son histoire. Deux faits marquants, découlant l’un de l’autre, en cette année 1940 allaient bouleverser la vie de notre pays. Étonnement, cette année anniversaire les peu mis en avant, mais il est vrai que l’on préfère plus souvent commémorer les victoires que les défaites. Deux expositions, bienvenues, relèvent pourtant le défi.
En juin 40, après une guerre éclair déclarée en septembre 1939 contre l’Allemagne du chancelier Hitler, la France signe l’armistice et voit les troupes allemandes parader sur les Champs-Élysées. Conséquemment, fuyant l’occupation de la moitié de notre pays, huit millions de français – mais aussi de belges, de luxembourgeois et néerlandais occupés – sont jetés sur les routes tâchant de rejoindre la zone « nono », sous-entendu « non occupée »
Deux expositions nous rappellent à ces douloureux souvenirs. La première constitue la première exposition temporaire au tout nouveau Musée de la libération de Paris et a pour sujet l’évocation de l’Exode des Parisiens en juin 1940. Un musée qui, rappelons-le, est installé Place Denfert-Rochereau dans ce qui était un des pavillons de l’ancienne barrière de l’octroi percée dans l’enceinte ceinturant Paris au XVIIIe siècle. Lieu historique s’il en est puisque c’est là que, pendant l’Occupation, le colonel Rol Tanguy, chef des FFI de la région parisienne, avait installé son quartier général dans les profondeurs du bâtiment.
Des documents et de nombreuses photos documentent cet épisode, de l’arrivée des troupes allemandes dans la capitale, aux Parisiens sur les routes et au retour de cet exode. Un exode qui débute le 20 juin dès que l’armistice est signé et que les troupes allemandes sont déjà bien présentes à moins de 100
Parisiens fuyant la capitale, juin 1940 © LAPI/Roger-Viollet
kms de la capitale. Rassurés par les promesses du nouveau gouvernement de Vichy, présidé par le maréchal Pétain, beaucoup reprennent le chemin inverse et reviennent à Paris. Et, à la peur, cède bien souvent l’étonnement car nombre d’entre les personnes poussées à l’exode témoignent, parlant des troupes d’occupation : « qu’ils sont plutôt agréablement surpris par l’attitude des Allemands et confient que, malgré leurs pires craintes, ceux-ci ne semblent pas hostiles ; certains affirment qu’ils leur ont même donné de l’essence pour les aider regagner leur foyer, ou des rations de nourriture. Cette serviabilité caractérise les premiers contacts des soldats allemands avec les civils français. » note l’historienne Hanna Diamond. Mais il ne faut s’y tromper et y voir là une attitude empathique ou humanitaire mais un diktat imposé par le gouvernement nazi à ses soldats « ayant parfaitement conscience de l’importance de ces premières impressions, cruciales, chargées de gagner la confiance des Français en utilisant la force de sa propagande. » explique Hanna Diamond. Cet épisode, somme toute, n’aura duré qu’à peine un mois avant que ne s’abatte sur Paris quatre longues années d’occupation.
De Gaulle vs Pétain
Si l’exposition du Musée de la Libération est plutôt centrée sur le drame humain vécu par les populations jetées sur les routes face à l’avancée allemande, celle que nous propose le Musée de l’Armée, fidèle à sa mission, revient sur toute cette année 40 dans son aspect surtout militaire dans tous les sens du terme.
Y est traité non seulement cette « drôle de guerre », entamée en septembre 1939 qui verra la débâcle de notre armée et conduira à l’armistice de juin, mais aussi tous les combats de l’ombre, la vie sous ce début d’occupation, les enjeux qui agitèrent nos colonies d’alors, dans cette opposition de deux états, celui collaborationniste du Maréchal Pétain et celui de la France libre initié et organisé, depuis Londres, par le général De Gaulle.
Cette défaite éclair et la signature de l’armistice sont un véritable choc. La France est « éblouie par son malheur » écrira le grand Joseph Kessel,
Comme en 40, vue de l’exposition © Paris, musée de l’Armée/ Ph. : Anne-Sylvaine Marre-Noël
et la population prise au dépourvue comme l’écrit Robert Badinter dans la préface du catalogue (Éditions Gallimard) : « L’année 1940 demeure pour moi une période tragique parce qu’elle a emporté les deux piliers sur lesquels s’était construite la vision de la France qu’on m’avait enseignée, dans ma famille et au lycée : la certitude que l’armée française était la première du monde et la conviction que la République et ses valeurs étaient le socle inébranlable de la France, la “Grande Nation” issue de la Révolution française. De cet idéal, dans lequel j’avais été élevé avec mon frère aîné, l’année 1940 fit table rase. ». Une France qui vivait toujours sur la victoire de 1918 et se sentait à l’abri derrière cette ligne Maginot, tant glorifiée et que les armées allemandes contournèrent en si peu de temps pour ensuite mettre moins de 10 mois pour arriver à Paris !
Tous les sujets abordés
Fortement documentée l’exposition présente, dans une scénographie aussi claire que didactique, les nombreux uniformes des puissances en présence et ce dans toutes les armes, tant de terre que de mer ou de l’air ; des photos, tracts, lettres officielles, ordres de mission, lettres manuscrites de résistants, combattants et prisonniers et la vie à l’arrière. Un parcours ponctué aussi d’archives sonores
Comme en 40, vue de l’exposition © Paris, musée de l’Armée/ Ph. : Anne-Sylvaine Marre-Noël
et filmées. Le choix fait ici d’un parcours thématique permet de bien mesurer, pour chacun de ces thèmes, tant le déroulé que les enjeux et les conséquences sur le plan politique, social comme militaire. Disposé de part et d’autre d’un couloir d’accès, l’exposition présente d’un côté l’aspect militaire des premiers mois de cette année-là, de la déclaration de la guerre à l’armistice, les armées engagées, la « drôle de guerre », l’exode. Chapitre qui se clôt avec l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain et sa politique collaborationniste.
De l’autre côté nous sommes dans l’après défaite avec l’organisation de l’Occupation, les prisonniers, le
système répressif allemand, les lois de Vichy avec, entre autres, les lois dites « juives » et pour contrecarrer cette évocation sombre la mise en place de la résistance et l’action du général De Gaulle. Et comme le rappelle Emmanuel Macron qui signe la préface du catalogue : « On ne saurait réduire l’année 1940 à ce tableau des ténèbres. Dans ses ombres épaisses et ses clairs-obscurs, elle se teinta également des couleurs de la bravoure, de la lucidité et de la volonté. Peut-être quand le courage quitte les institutions, il galvanise les individus » conclut le Président.
Effectivement, ce second chapitre aborde la propagande française qui répond à celle de l’occupant, le regroupement des français libres à Londres, l’organisation d’une résistance sans oublier nos colonies d’alors dont certaines se rallient à la France de Pétain dans une volonté de continuité de la présence de l’état, alors que d’autres font le choix de se rallier à la France libre. Enfin sont abordées les relations avec nos alliés, les Britanniques en premier lieu et la position attentiste et prudente des Américains en cette année 40 – ils votent en novembre 1939 l’interdiction de la livraison d’armes aux britanniques et français, loi assouplie durant l’été 40 mais uniquement pour les britanniques ! – eux qui ne rentreront véritablement dans le conflit qu’après l’attaque de Pearl Harbour en décembre 1941.
En cette année qui commémore les 80 ans de cette année sombre, il semblait effectivement judicieux de remettre à plat cette année-là qui va conditionner les cinq années qui suivirent.
« Paroles de rebelles »
À noter enfin, dans ce même Hôtel des Invalides, dans le Musée de l’Ordre de la Libération, et dans le cadre de « l’année De Gaulle » une autre exposition titrée « 1940 ! Paroles de rebelles » qui s’interroge sur le mystère de l’engagement en donnant la parole aux pionniers de la Résistance : les Compagnons de la Libération. Centrée principalement sur leurs témoignages, l’exposition démontre comment, pourquoi, à quel moment de leur vie et au nom de quelles valeurs une poignée d’hommes et de femmes décident de prendre tous les risques, dès 1940, pour une France libre. Alors que peu d’objets et de documents peuvent illustrer un tel sujet, il existe en revanche de très nombreux témoignages écrits, enregistrés et filmés, inédits pour certains. Quelques lettres, photographies, objets personnels et vêtements sont aussi les traces de l’engagement de ces hommes et ces femmes qui, envers et contre tout, ont refusé la défaite.
LES PARISIENS DANS L’EXODE DE 1940
Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin
À voir jusqu’au 13 décembre 2020
4 avenue du Colonel Henri Rol-Tanguy (Place Denfert-Rochereau) Paris 14e
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Accès
Métro : ligne 4 et 6 station Denfert-Rochereau
Bus : ligne 38, 68, 88, 216 et Orlybus Arrêt Denfert-Rochereau
RER B station Denfert-Rochereau
Site de l’exposition : www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr
Catalogue
1940 : Les Parisiens dans l’exode
Sous la direction de Hanna Diamond et Sylvie Zaidman
Editions Paris Musées. 128 p. 24,90 €
COMME EN 40…
Musée de l’Armée, Esplanade des Invalides, 129 rue de Grenelle (7e)
À voir jusqu’au 10 janvier 2021
Tous les jours de 10h à 17h.
Accès :
Métro : Ligne 8 stations La Tour Maubourg ou Invalides. Ligne 13 : Varennes
RER C : station Invalides
Bus lignes 28, 69, 82, 92, 63, 83 ou 93
Site de l’exposition : www.musee-armee.fr
Catalogue
Comme en 40…
Sous la direction de Christophe Bertrand, Jordan Gaspin et Vincent Giraudier
Préfaces d’Emmanuel Macron et Robert Badinter
Editions Gallimard / Musée de l’Armée. 327 p. plus de 500 ill. 32 €