On en a donc jamais terminé avec Picasso ? Absolument ! Avec cette exposition au Musée de la Musique on nous propose d’explorer les liens qui unissent l’œuvre du génie espagnol avec la musique. Non pas la grande, mais celle qu’il affectionnait et qui accompagnait les corridas, les fêtes gitanes et autres manifestations populaires. Une facette jamais étudiée. C’est chose faite avec cette magnifique présentation.
Exposition à visiter au Musée de la musique (Philharmonie de Paris) jusqu’au 3 janvier 2021.
L’Aubade Mougins, 19-20 janvier 1965 © Petit palais Genève / Ph.: Monique Bernaz, Genève / Succession Picasso 2020
Violon et feuille de musique Paris, automne 1912 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) Ph. : Adrien Didierjean / Succession Picasso 2020

Joueur de diaule, Cannes,1954-1956 © Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte, Madrid / Ph. : Marc Domage / Succession Picasso 2020

Violon Paris, 1915 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) Ph. : Adrien Didierjean / Succession Picasso 2020

Faune blanc jouant de la diaule, Antibes, automne 1946 © Musée Picasso, Antibes Ph. : ImageArt, Claude Germain / Succession Picasso 2020

Nu couché et joueur de flûte, 1er septembre 1932 © Collection particulière / Succession Picasso 2020

La Femme au tambourin Paris, début 1939 © Musée national Picasso-Paris / RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) Ph. : Adrien Didierjean / Succession Picasso 2020

On ne lui connaît pas d’avoir un jour pratiqué un instrument de musique et pourtant associer musique et Picasso est d’une vraie évidence et nous permet, une fois de plus, de regarder son œuvre immense et hydresque à l’aune d’une thématique qui traverse tout son travail. Est-ce dans cette musique tonitruante et un brin gitane qui résonne dans les arènes lors des fiestas tauromachiques que lui vient le fait qu’il semble avoir eu la musique, ses instruments comme ses interprètes, toujours au bout du crayon et du pinceau ?
Est-ce d’être espagnol qui fait qu’elle semble attachée à son existence ? Est-ce ses fréquentations des Ballets russes de Diaghilev et des œuvres de Satie, Stravinsky et Poulenc ? Est-ce aux accents des fêtes taurines ou autres qui de l’Espagne à cette Côte d’Azur de ses dernières années que s’est déroulé sa vie joyeuse, fêtarde et paillarde, toujours emporté par la liesse populaire ? Toutes ses raisons et chacune d’entre elles justifient cette nouvelle exploration de la vie du plus grand artiste du XXe siècle, sur laquelle se penche aujourd’hui le Musée de la musique, niché au sein de la Philharmonie de Paris.
Et pour orchestrer cela, il a été fait appel à Cécile Godefroy, historienne de l’art et surtout spécialiste de Picasso (alors que souvent beaucoup s’arroge ce titre sans raison) à qui l’on doit quelques excursions dans l’univers picassien comme commissaire d’expositions. Et pour que tout cela sonne juste elle s’est adjointe une musicologue, Élise Petit – Musée de la musique oblige – pour faire entendre une partition des plus justes et pertinentes. Alors Picasso, amateur de musique ?
L’appropriation dans des tableaux, dessins et sculptures de scènes musicales, voire simplement d’instruments est une constante de l’art et ce pour plusieurs raisons. Présentation d’un art par un autre, scène de genre codifiant une société, portraits de musiciens ou simples natures mortes dans lesquelles les instruments sont conviés symboliquement – de la flûte champêtre au violon des grandes compositions ou au tambour et clairon guerriers – et la musique et ses instruments répondent à plusieurs critères. Ici, et bien que Picasso déclarait à Hélène Parmelin – l’épouse de son ami le peintre Édouard Pignon – de la musique « qu’il ne l’aimait pas » on peut se demander si ce n’était pas là une de ces fanfaronnades dont il était friand. Ou alors, il parlait là sûrement de la musique dans son entendement classique.
Les instruments… instrumentalisés
Mais étonnement, il a tout de même prêté une grande attention à en représenter les instruments comme ceux qui en jouent et ce dans une acceptation des plus populaires ou appelée comme symbole de la joie, de la liesse, voire de la jeunesse, de l’amour, du désir ou autre.
Mais dans ce concert, les instruments sont naturellement les objets premiers représentés pour eux-mêmes. Leurs formes se prêtent aisément à des digressions plastiques ou simplement comme rappel de leur destinations, instruments de cette musique de cirque, fanfare et corrida : guitare, tambourin, flûte et autres violons gitans. Et ce dès les premières scènes gitanes
Arlequin à la guitare Paris, 1918 © Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie, Museum Berggruen / Jens Ziehe © Succession Picasso 2020
du début de sa carrière et jusqu’à la fin, il n’aura de cesse dans tous les médias qu’il maîtrise d’y incorporer ceux-ci. Et enfin, cette détestation affichée pour la musique est pourtant paradoxale quand on sait son attachement et sa proximité avec bon nombre de compositeurs, de musiciens et de chanteurs, avec lesquels l’artiste a su étroitement collaborer !
L’exposition, forte de 250 œuvres (toiles, dessins, sculptures, photos, céramiques et instruments), en provenance de grands musées et collections privées, nous offre un parcours à la fois chronologique puisqu’il commence par ces « chants du monde » des années 70, avec flûtistes empruntés à l’Antique comme un retour aux sources. Avant une plongée dans ses débuts où ces musiques espagnoles ont sûrement rythmé sa jeunesse et ses premières années à Barcelone, entre cafés-concerts comme à ce cabaret de Barcelone, Els Quatre Gats. Café où il expose pour la première fois, en janvier 1900, au son du carnaval et de quelques musiciens qui donnent là des concerts.
Nature morte à la mandoline, Juan- les-Pins, 1924 © Stedelijk Museum Amsterdam / Regnault Collection / Succession Picasso 2020
Avec Satie, Stravinski, Milhaud, Auric, Poulenc…
1901, arrivé à Paris, il s’y installe dans ce Montmartre non loin des cabarets, tavernes, cafés-concerts et salles de spectacle de la place de Clichy, de Pigalle et de ses alentours. Il fréquente surtout le Lapin agile, l’ambiance gouailleuse et fraternelle où la musique populaire est chantée, aux accents de guitares, mandolines, accordéons et même violons, cet instrument qui sait quitter les orchestres symphoniques pour s’encanailler dans les rues et les orchestres de cirque.
Emporté par ses amis d’alors, Cocteau en tête, il est introduit aux tenants d’une avant-garde musicale dans laquelle les Ballets russes de Diaghilev, la pièce musicale Parade de Satie, Le Tricorne de
Manuel de Falla ou encore Pucinella de Stravinski tiennent le haut du pavé ! Pour eux, il multiplie décors de théâtre, invente des costumes, brosse des rideaux de scène, dessine les programmes en indispensable maillon de la création de ce début de siècle. Il cultive une proximité amicale autant que professionnelle avec les plus grands compositeurs de son temps, parmi lesquels Erik Satie, Manuel de Falla, Igor Stravinski, Darius Milhaud, Georges Auric et Francis Poulenc ! La crème d’alors. Un art total qui associe musique, théâtre et art plastique.
Dans son atelier il révolutionne l’art du temps. Cette période cubiste des années 10 du XXe siècle dans laquelle il use des représentations d’instruments de musique. Guitares et violons qui, avec leur forme arrondis et féminines (cf. Le violon d’Ingres de Man Ray) sont torturés, disséqués pour se plier à sa nouvelle grammaire plastique élaborée en cordée avec Georges Braque.
Toiles, dessins, collages et sculptures façonnent un nouveau regard. Un détour par le ballet évoque naturellement sa rencontre avec l’une des danseuses de Diaghilev, Olga Khokhlova, qu’il épousera en 1918. Bourgeoisement il s’installe rue La Boétie dans un grand appartement sur deux étages. Dans le salon, Olga pianote, au mur est accrochée une mandoline.
Des aubades aux chants d’adieu
L’exposition déroule en un inventaire à la Prévert toutes les représentations d’instruments de musique dans les œuvres de Picasso avec, toutefois, une constante : celle d’associer un instrument à un personnage dans des scènes de genre comme dans ces « aubades » qui ponctuent les années 30 dans lesquelles, la sensualité des modèles et la quiétude pastorale font écho contraire aux tourments de sa vie privée. Comme toujours, la frontière entre l’homme et l’artiste est floue. Il est alors tiraillé entre une Olga qu’il délaisse, une Marie Thérèse qu’il rencontre en cachette et une Dora qui pointe déjà le bout de son nez. Ce besoin de quiétude se ressent dans les déclinaisons qu’il produit en ces années chahutées.
Autre constante, dionysiaque celle-ci, quand on connaît l’aspect faune du personnage, avec moult bacchanales, satyres et autres jeunes séducteurs musiciens qui laissent leur place dans les dernières années, alors qu’il prend conscience que sa nature
La Flûte de Pan Paris, automne 1923 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean / Succession Picasso 2020
décline, à un cortège de rêves évanouis. Bon nombre d’œuvres représentent dès lors des modèles nus se prélassant dans toute la puissance de leur beauté désirable et qu’il entoure de barbons guitaristes ou de peintres voyeurs (lui-même ?) comme un chant d’adieu, une symphonie à la beauté éternelle, constat de son désir qui s’éloigne. Dans ces dernières œuvres la musique, toujours, l’accompagne en un chant des plus funèbres. Le Minotaure est devenu le simple spectateur d’une partition qui se joue dorénavant sans lui…
La Cité de la musique / Musée de la Musique, 221, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
À voir jusqu’au 3 janvier 2021
Ouvert du mardi au vendredi de 12h à 18h et les samedi et dimanche de 10h à 18h. Fermé le lundi. Réservation conseillée sur le site du musée.
Accès :
Métro : Ligne 5 (station Porte de Pantin)
Tramway : T3b (station Porte de Pantin)
Bus : Ligne 75 (arrêt : Porte de PantinLigne 151 (arrêt : Porte de Pantin)
Site de l’exposition : philharmoniedeparis.fr/les-musiques-de-picasso
Catalogue
Les Musiques de Picasso
Sous la direction de Cécile Godefroy
Coédition Gallimard/Musée de la Musique Philarmonie de Paris. 312 p. 320 ill. 45 €