Second couteau du surréalisme ? Absolument pas ! Victor Brauner est un des acteurs majeurs de ce courant important de l’art du XXe siècle. Le Musée d’Art moderne de Paris nous propose une rétrospective de ce peintre qui a manié tous les codes du mouvement d’André Breton, et même au-delà, avec ses figures totémiques aux accents issus de l’inconscient et du rêve. Magnifique et magique.
Exposition au Musée d’Art moderne de Paris jusqu’au 10 janvier 2021.
Vue in-situ de l’exposition. De gauche à doite : Mythologie du poète (2e naissance) (1947)Rencontre avec moi-même au quatre chats du monde (1948) et Jacqueline au grand voyage (1946) © Victor Beauner / Adagp 2020 / Ph.: D.R.
Avec des artistes d’une grande importance comme Leonora Carrington, Yves Tanguy, Wolfgang Paalen ou Toyen, Victor Brauner (1903-1966) est l’un de ceux qui a le plus conceptualisé le surréalisme en peinture. Lui qui pourtant se défendait d’être un « peintre surréaliste » assénant qu’il n’y avait pas de peinture surréaliste, « mais des peintures dans l’esprit des écrits surréalistes ». Et pourtant, si besoin était encore, avec cette rétrospective de son travail au Musée d’Art moderne de Paris, on nous apporte la preuve éclatante qu’il existe bel et bien une peinture surréaliste.
Une peinture ou un esprit, la nuance est fine, d’autant que le même esprit, semble-t-il, animait autant les écrivains, que les poètes et les peintres voire même certains rares musiciens comme Éric Satie et son ballet Parade – que l’on peut considérer comme un chaînon entre dadaïsme et surréalisme – et pour lequel fut écrit, par Apollinaire, et ce pour la première fois le mot « surréaliste ». Revenons à Brauner qui, soit dit en passant, fut – comme beaucoup – exclu du groupe surréaliste par Breton. Le pape n’admettait pas les frondeurs…
Cette rétrospective est donc une juste réparation. Victor Brauner, peintre d’origine roumaine, surréaliste (donc !) fit sa carrière presque exclusivement à Paris. Notre capitale qui lui rendit déjà hommage il y a déjà près d’un demi-siècle, en 1972 au Musée National d’Art moderne. Depuis plus rien, qui fait qu’aujourd’hui il reste encore peu connu. Brauner est, comme ceux cités plus haut, de ces artistes qui mirent toute leur énergie et leur talent à tirer les ficelles de cet étrange mouvement qui faisait autant appel à l’intellect qu’à l’âme, à l’étrange, aux théories freudiennes, aux sens, au rêve et à toutes autres pensées dérapant du cours dit normal des choses. Bref, un autre monde, celui de la pensée pure…
Né en 1903, à Piatra-Naemt, petite bourgade dans les Carpates moldave en Roumanie, la famille de Brauner, suivant les sursauts de l’histoire, émigre en Allemagne puis en Autriche avant de revenir à leur point de départ, les émeutes du lieu calmées. Victor Brauner, qui a suivi trois ans les enseignements de l’École des Beaux-Arts de Bucarest, fait
Cérémonie, mai 1947 © Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel et Hopi Lebel / Victor Brauner / Jean-Louis Losi / Adagp, Paris 2020
comme tous les rapins et s’investit, dès les années 20, dans l’effervescence des avant-gardes de la capitale Bucarest avec des œuvres un peu fourre-tout mélangeant cubisme ornemental et art pseudo-conceptuel (Portrait de Mme R.B. et Sans titre, deux œuvres de 1925 qui ouvrent l’accrochage) mais révélant déjà son appétence pour la couleur. Une constante qui ne le quittera pas.
Il séduit Breton
Attiré comme beaucoup par la luciole parisienne qui règne alors sur le monde l’art, il débarque chez nous une première fois en 1925 et se mêle à un groupe formé de Delaunay, Chagall et quelques autres. Des connaissances qui lui seront des plus utiles lorsqu’en en 1930, reculant devant la montée du fascisme en Roumanie, il part définitivement pour Paris, renoue les liens tissés auparavant et devient ami avec Yves Tanguy. Ce dernier est le chaînon qui l’amène à rencontrer André Breton séduit par son travail déjà d’une belle eau surréaliste. Il laissera de Breton – ce qui a dû le flatter – surement le plus beau portrait que l’on ait fait du pape du surréalisme (Portrait d’André Breton, 1934)
Un tableau, l’Etrange cas de M. K., grande toile qui décline dans des cases, les étranges aventures d’un homme ventripotent, un brin bourgeois et très ubuesque, ne pouvait que plaire à Breton. Dès lors, il est de beaucoup de publications et d’expositions du groupe et va développer un surréalisme onirique qui marche sur les brisées des stars du genre, comme Chirico, avec La Ville qui rêve et La Mode de 1937 ou Dalí (Sans titre et Sur le motif de 1937 ou Fascination de 1939). Des galops d’essai avant de vraiment faire du Brauner dès le tout début des années 40.
Son art devient alors reconnaissable entre tous, explorant tous les ressorts de la palette surréaliste. Et l’on sent bien qu’il veut faire surréaliste et use de toutes les ficelles du genre : le rêve, la métaphore, l’assemblage incongru, les outils et instruments dévoyés et ses personnages, mi-homme mi-dieu ou animaux aux yeux en amande qui semblent issus des panthéons caribéens, totémiques ou précolombiens. Sa manière reconnaissable entre toutes avec sa simplification très sommaire de l’anatomie, sans perspective, rappelant autant les bas-reliefs égyptiens que les motifs ornementaux des codex précolombiens, développe aussi une évidente et symbolique dimension sexuelle et érotique. Son imaginaire est débridé mais l’application maitrisée dirige sa main.
Peinture à la cire, sa signature
Pendant la guerre, réfugié dans le sud, il tente, avec la filière Varian Fry, de passer en Amérique mais sans succès. Il rejoint le groupe (Breton, Dominguez, Ernst, Lam, Masson, Duchamp…) confiné à la villa Bel-Air puis va être balloté de cachettes en refuges. Sans ressource ni matériel, il va développer une technique qui reste encore aujourd’hui sa signature. Utilisant la cire des bougies, il en enduit des toiles, par couches qu’il colore avec des encres puis gratte ou incise. Il sort de ce bidouillage des œuvres très légères aux traits d’une grande finesse enserrant de tons pastel, ses sujets de prédilection. Dès le retour à la normale, Brauner continue sa trajectoire surréaliste. Rabiboché avec Breton, ce dernier incorpore son magnifique portrait symbolique Les Amoureux (1947) et surtout Cérémonie (1947) sa pièce maîtresse présentée dans ce dernier sursaut du groupe qu’est l’Exposition internationale du Surréalisme chez Maeght en 1947.
Pour le corpus le plus connu de son travail d’après-guerre, on retrouve toujours son travail éclatant sur la couleur appelée à foison dans ses enchevêtrements de figures, corps et animaux répondant à un personnage inventé : Victor, à qui il laisse le champ d’incarner ses délires, fantasmes et autres descriptions d’univers incantatoires. Le surréalisme est un monde, un cercle. Qui tourne sur lui-même. Si Brauner a beaucoup été exposé un peu partout – à Vienne, Londres, Milan, Genève, New York, Chicago… – en solo ou avec le groupe et été l’inspirateur de nombreux écrivains et poète du cercle de Breton, il va
Le Surréaliste, janvier 1947 © Peggy Guggenheim Collection, Venice, 1976 / Ph. : The Solomon R. Guggenheim Foundation / Adagp, Paris, 2020
cependant, une grande partie de sa vie, tirer le diable par la queue. Et ce n’est que pendant ses dernière années, lorsqu’un galeriste – Alexandre Iolas – le prend sous son aile, ainsi que le duo de sœurs Schlumberger qui s’entiche de son travail, qu’il peut enfin prétendre à une fin de vie sinon heureuse du moins désempêtrée de soucis financiers. Il décède à Paris d’une « longue maladie » le 12 mars 1966.
Rétrospective chronologique, forte de plus d’une centaine d’œuvres – toiles, peintures sur cire, sculptures et de nombreux dessins (grand dessinateur, Brauner en aurait produit plus d’un millier…) – qui donne parfaitement à voir l’œuvre singulière de ce grand du surréalisme, passé étonnement en arrière-plan d’un mouvement squatté surtout par les Dalí, Magritte et autre Max Ernst et cette rétrospective n’en est que plus justifiée et indispensable.
Musée d’Art moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson (16e).
À voir jusqu’au 10 janvier 2021
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h pour les expositions temporaires seulement.
Fermeture des caisses à 17h15 ou 21h15.
Accès :
Métro : ligne 9 – Arrêt Alma-Marceau ou Iéna
Bus : lignes 32 (Iéna), 42 (Alma-Marceau), 72 (Musée d’Art moderne), 80 (Alma-Marceau), 82 (Iéna) et 92 (Alma-Marceau)
Site de l’exposition : mam.paris.fr/victor-brauner
Catalogue
Victor Brauner. Je suis le rêve. Je suis l’inspiration
Sous la direction de Jeanne Brun, Sphie Krebs et Camille Morando
Editions Paris Musées. 312 p. 220 ill. 44,90 €