En feuilletant, dès le premier abord, ce coffret de trois volumes de la collection « Photo Poche » consacré aux femmes photographes, on peut être réjouit comme dubitatif. Réjouit qu’enfin trois ouvrages nous parlent des photographes femmes (le terme déjà n’est pas genré et qualifie autant les femmes que les hommes), d’autant qu’on apprend dans l’incipit du premier tome que cet hommage avait été proposé par l’éditeur Robert Delpire avant sa disparition en 2017 suite à la vision d’un documentaire consacré aux femmes photographes, Objectif femmes réalisé par Manuelle Blanc et Julie Martinovic. Projet repris ensuite par l’immense Sarah Moon (actuellement exposée au Musée d’Art moderne de Paris) compagne de l’éditeur.
Ce préambule aussi ne lasse pas d’être étonnant quand, faisant le constat amer du peu de femmes auxquelles cette collection a consacré un ouvrage à part entière (10 seulement sur plus de 160 que comporte à ce jour la collection), on y lit : « Ce constat reflète le manque de reconnaissance des femmes photographes… », remarque à laquelle on a envie de dire : et bien il fallait contribuer et remédier à cela ! Ou plus trivialement : « Il fallait vous y coller ! ». Donc réjouissons-nous de voir ici plus de 185 photographes femmes, pour certaines inconnues, d’autres exhumées et beaucoup évidentes avec, pour chacune, une œuvre emblématique et une courte biographie. Cela donne, toutefois, envie de creuser plus avant.
Tout choix est un renoncement…
L’aspect dubitatif réside dans le classement et le choix des impétrantes. Le classement déjà en trois catégories – L’Ouverture des possibles ; L’Envers de l’objectif et Les Voies de la reconnaissance. Un classement très subjectif qui ne permet pas de savoir où se classe qui et donne à chaque volume un aspect très abscons. Un simple classement par ordre alphabétique ou une approche chronologique aurait permis de mieux comprendre les enjeux des époques ou plus simplement de retrouver chacune. Chaque volume est précédé d’un préambule qui tente d’expliciter les raisons du contenu du volume.
Autre remarque, ce genre « documentaire » qui consiste à donner d’un ensemble une représentation la plus complète en sélectionnant des éléments divers est, on le sait, casse-gueule. Parce que d’évidence sont laissés sur le bord du chemin certaines, évidemment, et qu’en général on (vous, moi, tout le monde) trouveront toujours que certaines n’y ont pas leur place, qu’elles prennent la place d’autres, et qu’il manque X ou Y, etc. Et si ce choix « témoigne des goûts subjectifs » revendiqué des éditeurs, il y a tout de même un devoir dans pareil cas de cerner au plus juste le sujet qui se veut encyclopédique.
De grandes oubliées
Tentons tout de même l’exercice avec des arguments simples : la notoriété, l’importance de l’œuvre, l’intérêt du travail. Ne revenons pas sur les 10 qui, chacune, ont eues le droit à un volume entier. Elles le méritent toutes largement. Mais penchons-nous sur le choix effectué dans ces trois volumes. Déjà le « système » mis en place avec une page par photographe met sur un pied d’égalité des photographes et des œuvres qui n’ont pas la même importance. C’est là le reproche premier que l’on peut faire, sachant qu’en général les photographes – et les femmes photographes encore plus – sont souvent inconnu(e)s du grand public, cela revient à mettre sur le même plan une Dorothea Lange ou une Diane Arbus et quelques autres dont l’œuvre, la démarche ou le travail est d’évidence moins important.
Dans le choix fait, et celui-ci permet de découvrir beaucoup d’inconnues, on peut s’étonner de ne pas voir figurer les noms d’importance de Hannah Höch, Hilla Becher, Catherine Leroy, Graciela Iturbide, Sophie Ristelhueber ou Rineke Dijkstra. Toutes oubliées… Tout comme Bettina Rheims, par exemple, dont le travail est internationalement reconnu et exposé… mais pas ici. Pourtant, depuis des décennies, celle que l’on peut considérer comme l’une des plus importantes photographes de notre temps, qui, hormis un important travail sur la mode et la publicité (comme Dominique Isserman par exemple qui elle n’a fait que cela et est pourtant ici répertoriée) a travaillé depuis toujours sur des problèmes de société, traitant du genre avant que la société s’en inquiète, ouvrant le regard sur les minorités sexuelles, faisant un travail approfondi sur la condition féminine, donnant une image autre des textes du Livre, mettant en exergue le phénomène Femen et dernièrement posant un regard plein d’humanité sur les détenues dans les prisons. Une photographe ancrée dans son temps qui donne l’exact goût de l’époque et le tout dans une maitrise et une inventivité plastique des plus abouties… Malgré tout cela, elle n’a même pas ici une simple page ! On aurait pu faire l’exercice avec d’autres de même importance.
Cet exemple donne simplement à considérer toute la limite du propos. Dans les 180 femmes ici sélectionnées, une bonne trentaine mériterait largement d’avoir leur volume à part entière. Les Imogen Cunningham, Cindy Sherman, Annie Leibovitz, Nan Goldin, Inge Morath, Susan Meiselas, Martine Franck, Gisèle Freund, Marie-Laure De Decker, Sophie Calle, Margaret Bourke-White, Dorothea Lange, Eve Arnold, Jane Evelyn Atwood, Lisette Model, Tina Modotti, Diane Arbus, et… Bettina Rheims. Espérons donc que ces trois volumes sont l’amorce de volumes à venir consacrés à celles à qui, comme le disait le Grand Timonier, « appartient la moitié du ciel »… mais pas encore ici-bas. Malgré tout et devant le désert éditorial sur le sujet*, ce coffret est le bienvenu pour aborder le vaste continent de la photographie féminine.
Femmes photographes sous la direction de Clara Bouveresse
Coffret de 3 volumes de la collection Photo Poche (n° 160, 161 et 162)
Chaque 144 pages environ, 60 photos. Le coffret : 39 €
* sur le sujet seul l’ouvrage « Femmes photographes: Emancipation et performance (1850-1940) » (Éd. Hazan, 2019) traite du sujet et dans une approche loin d’être encyclopédique.