Autour de la figure emblématique du grand Monet, un phalanstère d’artistes américains est venu à Giverny, au tournant du XXe siècle, respirer le même air que le grand impressionniste. Le Musée des impressionnismes de Giverny nous expose une sélection d’œuvres en provenance de la collection de Daniel James Terra, collectionneur et mécène de l’art de ces impressionnistes venus d’outre-Atlantique.
Exposition à visiter au Musée des Impressionnismes à Giverny jusqu’au 3 janvier 2021.
Vue in-situ de l’exposition. John Leslie Breck (1859-1899), Études d’un jour d’automne, 1891 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago
Martin Johnson Heade (1819-1904) Le Marais de Newburyport : l’approche de l’orage, vers 1871 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago

Winslow Homer (1836-1910) Nuit d'été, 1890 © Paris, musée d'Orsay / RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

John Leslie Breck (1859-1899) Études d’un jour d’automne, nº 2, 1891 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago

George Inness (1825-1894) L’Été à Montclair, 1877 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago

Robert Vonnoh (1858-1933) Coquelicots en France, 1888 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago

George Bellows (1882-1925) Les « Palisades », 1909 © Collection Daniel J. Terra / Terra Foundation for American Art, Chicago

Rappelons-nous, en 1992 l’industriel, collectionneur et mécène Daniel James Terra (décédé en 1996), féru d’impressionnisme et à la tête d’une fondation – la Terra Foundation for American Art – décide de créer à Giverny, un lieu consacré à l’impressionnisme américain, dédié à ces artistes venus d’outre-Atlantique s’installer ici, au tournant du XXe siècle, se frotter à l’air que respirait l’illustre habitant du lieu : Claude Monet. Et durant les seize années de son existence, le musée d’Art Américain Giverny a développé une programmation sans précédent d’expositions, de publications, de colloques, de conférences, de résidences d’historiens de l’art et d’artistes, consacrés à l’art et la culture américains.
En 2009, le lieu, se convertit à tous les impressionnismes. Sa création est le fruit d’une association entre différents acteurs institutionnels autour de la Terra Foundation for American Art. C’est donc tout naturellement que nous est proposé aujourd’hui une sélection d’œuvres d’impressionnistes américains ayant pour thème le paysage.
La collection de Daniel Terra, constituée en 20 ans, entre 1976 et 1996, a non seulement permis de donner un coup de projecteur sur cette interprétation américaine de ce mouvement, le premier de l’ère moderne, mouvement qui révolutionna l’art et le regard. Cette collection a par ailleurs également permis que remonte à la surface la plupart de ces artistes injustement enterrés ou oubliés. Afin d’y remédier, le catalogue donne de chacun une biographie très complète.
Cette exposition se devait de faire suite à celle avortée du printemps pour cause de pandémie et qui avait pour titre et sujet la peinture en plein air de Corot à Monet. On retrouve donc aujourd’hui son pendant américain avec cet Atelier de la nature 1860-1910.
L’intérêt premier de cet accrochage est donc de nous permettre de découvrir des artistes peu vus et rarement, sinon jamais, accrochés à nos cimaises et qui furent pourtant de ces chantres de la nature, passion qu’ils partageaient avec leurs illustres contemporains français, ce groupe novateur des impressionnistes fondé en 1874. Si on excepte Mary Cassatt, la seule américaine du groupe impressionniste – et la seule femme aussi avec Berthe Morisot – l’art américain de cette période nous est complètement étranger. Ce terme « atelier de la nature » synthétise le crédo de l’impressionnisme qui fit sortir des ateliers les chevalets pour emmener au plus près, sur « le motif », les peintres désireux de se confronter à la vie, la vraie. En parcourant ici les 90 œuvres exposées, on pourra se rendre compte de l’apport de ces artistes à un mouvement parmi les plus prisés.
L’exposition s’ouvre par des œuvres peintes aux États-Unis qui situent parfaitement la culture picturale, outre-Atlantique, et son appétence pour le paysage, de loin le sujet le plus prisé. Une
Willard Metcalf (1858-1925), Le Bassin aux nymphéas, 1887 © Collection Daniel J. Terra, 1993.5 / Terra Foundation for American Art, Chicago
école, dite « Hudson River School » rassemblait des peintres brossant des paysages d’un grand réalisme et sans vraiment de particularisme. Canyons, campagnes, vues marines et autres chutes du Niagara à la touche appliquée et foisonnants de détails pour plaire d’évidence à une certaine population et destinés à orner les salons de la bourgeoisie locale. Nous sommes dans la seconde moitié du XIXe siècle et cette beauté naturaliste est aussi glorifiée alors par la photographie naissante dont le réalisme œuvre de concert avec la peinture comme le prouve les photographies « vintage » mises ici en parallèle. Pourtant, une poignée de jeunots va commencer à loucher sur l’Europe, et la France plus spécialement, dont la réputation artistique alors rayonne par-delà l’océan.
Une académie à ciel ouvert
Leur nature qui, aux dires d’Asher Durand, « présente autant d’intérêt que celle de l’Europe », ne convainc pas complètement certains qui vont faire le voyage jusqu’en France et ce dès la seconde moitié du XIXe siècle, afin, non seulement de partir à la découverte des avant-gardes d’alors mais aussi de satisfaire le goût des collectionneurs américains pour l’art venu d’Europe. Et pour ce faire, ils viennent se
William Merritt Chase (1849-1916), Matin sur la digue, Shinnecock, vers 1897 © Collection Daniel J. Terra, 1993.5 / Terra Foundation for American Art, Chicago
former dans les ateliers de peintres comme Jean-Louis Gérôme ou de certains artistes naturalistes comme Jules-Bastien Lepage et chez quelques autres barbizonniens. Alors que d‘autres comme John Singer Sargent ou James Whistler s’intéressent plus spécialement à l’impressionnisme alors à son sommet. Giverny devient une Mecque, une « académie à ciel ouvert » avec Monet, installé là depuis 1883, comme figure tutélaire.
Un Monet qui pourtant, à cette époque, fait déjà cavalier seul s’étant éloigné du groupe fondateur jusqu’à ne pas être dans les dernières expositions impressionnistes. Peu importe, Monet fait de l’impressionnisme et surtout met toujours en pratique les grandes lignes fondatrices du mouvement. Et si Giverny, à peu de distance de Paris et desservi par le train, est tant prisé, c’est aussi et surtout pour cette nature autour du village, le jardin du grand Monet et son bassin aux nymphéas dont certains, comme William Metcalf (Le Bassin aux nymphéas, 1887)
semblent avoir eu accès. Ou comme Robert Vonnoh qui, avec ses Coquelicots en France (1888), donnera sa version de l’une des toiles les plus emblématiques de Monet. Tout ici les attire comme un aimant. Et certains des artistes américains qui fréquentent l’endroit verraient bien là y fonder une colonie d’artistes.
Une ode au grand Monet
Mais si Monet reste l’icône de Giverny, il semble qu’il n’était en rien un adepte du prosélytisme. Et comme le reconnaîtra un certain Karl Anderson : « Comme tout nouvel arrivant nous étions naturellement curieux de voir le grand Monet. Mais Monet est assez inabordable et l’on incline à le prendre pour un mythe après avoir tenté de l’entrevoir ». Voire même, comme John Singer Sargent, d’en faire l’objet d’une œuvre, Claude Monet peignant à l’orée d’un bois (1885) dans la plus belle eau impressionniste, comme une sorte d’image pieuse à la gloire du peintre des Nymphéas.
D’autres en revanche se penchent sur son travail à l’image de John Leslie Breck qui tente, au travers d’une série de Meules peinte à différentes heures du jour, de percer le secret de Monet et de son travail sur la lumière ou, comme William Merritt Chase, de chasser sur les terres d’Eugène Boudin, de ses ciels infinis et de ses plages animées (Matin sur la digue, 1897). Ou d’autres s’en écartent doucement pour tendre vers un modernisme qui les rattache au postimpressionnisme proche d’un Bonnard (Phlox blanc 1906 par Hugh Henry Breckenridge) voire d’un Vlaminck (Les « Palisades », 1909 par George Bellows)
Il semble que respirer le même air que le grand artiste fut suffisant puisque bon nombre de leurs œuvres épousant les mêmes lieux, retrouvent les mêmes motifs voire la même touche que celle du maître. Une belle balade d’automne…
Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude Monet, Giverny (27)
À voir jusqu’au 3 janvier 2021
Du 15 juin au 15 novembre : ouvert tous les jours, de 10h à 18h
Du 16 novembre au 20 décembre : ouvert les vendredis, samedis, dimanches, de 10h à 18h
Du 21 décembre au 03 janvier : ouvert tous les jours, de 10h à 18h
Accès :
La gare de Vernon-Giverny est sur la ligne « Paris Saint-Lazare – Rouen ». La gare « Vernon-Giverny » est située à 7 Km du musée
Des taxis, des navettes en bus ou des locations de bicyclettes sont à disposition à la gare.
Site de l’exposition : www.mdig.fr
Catalogue
L’Atelier de la nature, 1860-1910.
Introduction par Katherine Bourguignon, conservateur, Terra Foundation for American Art, commissaire de l’exposition
Coéditions musée des impressionnismes Giverny / RMN. 192 p. 130 ill. 29 €