Chez Christie’s les 2, 3 et 4 février.
Une 3ème vente comprenant 502 lots dont cette Boîte alerte. Missives lascives, 1959. Édité par la galerie Daniel Cordier pour son l’Exposition internationale du Surréalisme. Édition originale tiré à 250 exemplaires. Celui-ci est l’un des 20 « de grand luxe » contenant le couple de tabliers signé Marcel Duchamp ainsi que les lithographies originales sur Japon dues à de nombreux grands artistes. (Est. : 40/60 000 €) © Photo : Courtesy Christie’s
Bellmer et Éluard. Les Jeux de la Poupée. 1949. Un des 15 exemplaires de tête, avec 4 tirages supplémentaires, et une gravure originale (Est. : 40/60 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Jean Dubuffet. LeR DLa CaNpaNe paR DUBUFe J, 1948. Un des 15 exemplaires du tirage total dit « de luxe ». 12 gravures originales plus 5. (Est. : 10/15 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Joan Miró et Tristan Tzara. Parler seul, Maeght éditeur, 1948-1950. Un des 30 exemplaires sur vélin. (Est. : 15/20 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Jean Dubuffet. Labonfam Abeber par inbo nom. Chez l'auteur, 1950. Un des 50 exemplaires sur papier d'Indochine. (Est. : 10/15 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Jean-Clarence Lambert et Gianni Bertini. Les Folies françaises d’après « Elle ». 1964-1966. (Est. : 5/7 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Walasse Ting. One ¢ Life. E.Kornfeld Berne, 1964. Un des 40 exemplaires réservés aux artistes. (Est. : 20/30 000 €) © Photo : Courtesy Christie's

Il faudra donc encore – et l’on ne s’en plaindra pas ! – trois vacations fortes de 502 lots, étalées sur trois jours, pour finir de mettre en vente, toujours chez Christie’s, cette extraordinaire bibliothèque, l’œuvre d’une vie de Paul Destribats. Un homme au parcours étonnant (voir notre premier article consacré à la vente de sa bibliothèque) et qui va se révéler l’un des plus importants collectionneurs d’ouvrages consacrés aux avant-gardes du XXe siècle avec, toutefois, une prédilection évidente pour le surréalisme qui reste, au siècle dernier, le grand mouvement autant littéraire qu’artistique. En cela, il rejoint Daniel Filipacchi, l’autre grand collectionneur sur ce thème.
Cette troisième vacation ne fait en rien « les fonds de tiroirs » de la collection, et soyons reconnaissant à l’auctioneer d’avoir parfaitement géré et réparti, sur l’ensemble de ces vacations, des pièces maîtresses qui confèrent à cet ultime rendez-vous tout autant d’attrait que lors des deux ventes précédentes. D’autant que l’on notera dans ces trois dernières vacations une ouverture vers les années 70 et l’apport d’écrivains, poètes et artistes de la scène de ces années-là.
Le grand intérêt de la bibliothèque Destribats est d’évidence lié à sa grande culture, cette intelligence qui fait la grandeur d’un collectionneur : le choix éclairé de ses emplettes. Car, somme toute, il est « facile » d’acquérir tout ce qui fait le dessus du panier d’un thème et d’amasser – ce qui nécessite il est vrai, de grands moyens – le meilleur dans ce qu’il a de plus désirable. Cela donnerait une belle collection, mais sans réelle âme. Dans le cas de Paul Destribats on sent qu’il a acquis de grandes pièces (on a pu s’en rendre compte dans les deux premières vacations), sûrement aussi à une époque où celles-ci étaient encore abordables, mais que ses choix se sont aussi portés avec discernement sur des ouvrages moins recherchés d’un aussi grand intérêt.
Une quête qui lui a fait dénicher des auteurs moins collectionnés, des ouvrages alliant, avec recherche, un auteur à un illustrateur plus confidentiel. Des textes, dont certains sont marginaux, mais signent parfaitement une époque, une école, un état d’esprit. On l’avait déjà ressenti dans la seconde vacation qui laissait grand place à Pierre-André Benoît, PAB, l’éditeur de ces petits ouvrages qui respirent tant l’amour du livre.
Tout cela donne à cet ensemble une cohérence et une âme qui ne doit rien à l’épate mais tout à l’amour de ces auteurs et artistes qui souvent, révolutionnèrent le regard et l’esprit.
En vedette Breton et Éluard
Dans ces trois dernières vacations, sont d’évidence en vedette l’incontournable pape du surréalisme, André Breton et son alter ego le poète Paul Éluard, mais aussi les artistes illustrateurs Max Ernst, Miró, Giacometti, Dubuffet, l’incontournable Bellmer
Écrits sur la peinture1942-1953. Ensemble de manuscrits autographes pour la plupart des versions de travail abondamment corrigées. Reliure de Daniel Mercher en box rouille, le plat supérieur mosaïqué d’un grand portrait de Breton par Man Ray en noir et blanc reproduit et imprimé sur toile, la signature de l’écrivain reproduite huit fois en cuivre sur l’image et en noir sur le box. (Est. : 15/20 000 €) © Photo : Courtesy Christie’s
et nombreux autres comme André Masson, Raoul Ubac, Wilfredo Lam ou Fernand Léger. Il serait long et fastidieux d’énumérer ici tous les trésors de cette vente sur trois jours et on ne peut qu’enjoindre à consulter les catalogues en ligne sur le site de Christie’s (lien ci-dessous).
Toutefois, on ne résiste pas à commenter quelques-unes des grandes pièces présentées. Commençons déjà par Breton qui est surtout ici représenté par bon nombre de documents, lettres, photos, écrits, manuscrits comme celui complet de son Ode à Charles Fourier complet des textes et dessins – sous une reliure de Monique Mathieu – et accompagné de la maquette de l’ouvrage le tout sous un double emboîtage de Daniel-Henri Mercher. On voit là, qu’à l’habitude, Paul Destribats a su réunir des ensembles d’exception : texte, illustrations et reliure concourent à en faire des ensembles parfaits.
Du même Breton, accompagné ici de toute sa « bande », cette mythique Boîte alerte. Missives lascives, que le galeriste Daniel Cordier édita pour son Exposition internationale du Surréalisme en 1959.
Il s’agit là d’un rare exemplaire de grand luxe enrichi de l’édition originale tiré à 250 exemplaires et, de plus, celui-ci est l’un des 20 « de grand luxe » contenant le couple de tabliers signé Marcel Duchamp ainsi que les lithographies originales sur Japon dues à de nombreux grands artistes d’alors. Exemplaire truffé de documents, photos, lettres et autres. On ne peut rêver exemplaire plus enviable.
Édition originale du poème Liberté (1953) de Paul Éluard. Pochoirs par Fernand Léger. Un des 200 exemplaires sur papier Auvergne. (Est. : 8/12 000 €) © Photo : Courtesy Christie’s
On notera aussi le manuscrit autographe associé à de nombreux documents de ses Écrits sur la peinture1942-1953. Fascinant ensemble de manuscrits autographes, pour la plupart des versions de travail abondamment corrigées. Le tout dans une magnifique reliure de Daniel Mercher en box rouille, le plat supérieur mosaïqué d’un grand portrait de Breton par Man Ray en noir et blanc reproduit et imprimé sur toile, la signature de l’écrivain reproduite huit fois en cuivre sur l’image et en noir sur
le box. Ce qui démontre que pour cette grande bibliothèque les plus grands relieurs furent, sûrement avec enthousiasme, mis à contribution.
Dubuffet et son jargon
Dubuffet, lui, est largement représenté par divers lots desquels on peut citer Matière et mémoire ou les lithographes à l’école édité par Fernand Mourlot en 1945. Il s’agit là de l’édition originale du premier livre illustré de Dubuffet comportant 34 lithographies originales dans une étrange « reliure parlante » de Monique Mathieu. Du même on retrouvera avec bonheur ces petits opuscules calligraphiés comme illustrés, des farces en phonétique (en jargon selon la dénomination de l’auteur), à commencer par le premier LeR DLa CaNpaNe paR DUBUFe J., édité en 1948.
Naturellement un des 15 exemplaires du tirage total et celui-ci dit « de luxe » avec au total 12 gravures originales de Dubuffet dont cinq réservées au tirage de luxe et relié par Jean de Gonet. « LER DLA CANPANE fut tiré par moi avec l’aide de ma femme, page après page, sur la table de la salle à manger prestement débarrassée après les repas (.) sans autre machine que le plat de la main pour les gravures, et, pour les pages de texte, un rudimentaire stencil (fine grille de soie tendue dans un petit cadre) sur lequel j’écrivais avec une pointe. D’où une impression, comme on peut penser, assez barbare. » expliquait-il à l’époque. On ne peut passer sous silence ce grand moment qu’est, dans la même veine « jargon », l’iconique Labonfam Abeber par inbo nom, délire érotico-comique, voire même salace, édité par lui-même à 50 exemplaires (« tiré a sinkant eg zampler » comme le précise le colophon), exemplaire assorti d’un envoi signé et le tout emballé dans une reliure signée Leroux. Dubuffet enfin, avec cet exemplaire de tête de son La Métromanie ou les dessous de la capitale, daté 1949 dans sa reliure originelle en toile écrue et assorti de quelques documents
Éluard, l’ami-poète
Éluard naturellement, indissociable de la planète surréaliste, est bien présent. À commencer par cette préparation d’un ouvrage de poèmes, jamais paru, titré Pour 12 poèmes d’Éluard. 11 pastels qui comprend le manuscrit autographe de Paul Éluard, la maquette de l’ouvrage illustrée de pastels originaux de Jean Fautrier !
D’Éluard aussi l’un des mythes du livre : l’édition originale de ce poème en accordéon Liberté (1953) dont les strophes furent ahanées par des générations d’écolier. Des pochoirs de Fernand Léger sont ici liés à cet ouvrage en faisant sûrement l’un des plus célèbres livres-objets du siècle passé.
Éluard toujours avec cet « amicorum » dans lequel toutes les grandes pointures du moment, de Braque à Villon en passant par Chagall, Picasso, Miró, Tanguy, Giacometti et quelques autres ont été conviés à illustrer les poèmes d’Éluard dans cet ouvrage tiré en 1956 à 120 exemplaires et habillé d’une magnifique reliure signé Pierre-Lucien Martin.
On s’arrêtera aussi pour contempler ce À toute épreuve daté 1958, toujours dû à Éluard mais qui a convié ici Joan Miró pour vous offrir ce chef d’œuvre de joie et de couleurs, 80 gravures sur bois, le tout réuni en deux volumes, tirés à seulement 20 exemplaires.
En ce qui concerne Hans Bellmer, ici avec la complicité de Paul Éluard, on ne pourra passer à côté d’un exemplaire de l’édition originale de Les Jeux de la Poupée édité par les Éditions Premières en 1949. Il s’agit ici d’un des 15 exemplaires de tête avec 4 tirages supplémentaires et une gravure originale et augmenté de gravures originales et d’autographes le tout sous une reliure de Miguet.
Et Bellmer enfin, à signaler, Les Marionnettes, 1969, un texte de Heinrich Von Kleist illustré d’une suite de 22 gravures originales habillée par une étonnante reliure « à système » de
Heinrich Von Kleist et Hans Bellmer. Les Marionnettes, 1969. Exemplaire sur Japon illustré de 22 gravures de Bellmer. Reliure « à système » de Monique Mathieu. Faite de plusieurs pièces s’emboîtant et se déboîtant dans un ordre précis. (Est. : 8/12 000 €) © Photo : Courtesy Christie’s
Monique Mathieu faite de plusieurs pièces de chevreau rose et violine, qui s’emboîtent et se déboîtent dans un ordre précis.
Une ouverture vers les sixties
Sortant de sa zone de confort et comme un pont vers de nouvelles avant-gardes, la collection Destribats nous offre aussi une exploration des années 60-70. Comme cet ouvrage culte du critique et écrivain Jean-Clarence Lambert (qui fut en sa jeunesse compagnon de route des surréalistes) Les Folies françaises d’après « Elle » (1964-1966) qui présente, sous une étonnante reliure de Loutrel en veau sur laquelle une plaque de plexiglas peinte par Bertini, un ensemble aux allures de pop art illustré par le même Bertini et qui signe bien cette époque.
Tout comme cet autre ouvrage mythique de ces années-là, le pop One ¢ Life du poète et artiste Walasse Ting qui a ouvert les pages à tout le gratin d’alors : Jorn, Riopelle, Rauschenberg, Saura, Rosenquist, Indiana, Warhol, Mel Ramos entre autres. Ces deux ouvrages ouvrent donc la voie sur un autre regard que porta Destribats sur son temps et qui nourrit, en partie, la troisième vacation dans laquelle on trouvera aussi les noms de Matta, Camacho, Bryen, Wols, Ferrer, Alechinsky, Asse, Tal Coat entre autres.
Cette ouverture sur le temps présent appelle d’évidence une succession, à reprendre le chemin tracé par Destribats… mais il semblerait que l’époque n’est plus à ce genre d’exercice artistico-littéraire et que Paul Destribats soit l’un des derniers gardiens de ce temple.
Christie’s, 9 avenue Matignon (8e)
Exposition publique : vendredi 29 janvier, samedi 30 janvier et lundi 1er février de 10h à 18h. Mardi 2 février de 10h à 14h
Vente le2 et le 3 février à 14h30, le 4 février à 15h.
Site de la vente : www.christies.com