Christie’s met en vente la collection de Lucien Treillard, l’homme de l’ombre du grand Man Ray. Admirateur, collectionneur puis secrétaire du peintre-photographe, il sera, après la disparition de l’artiste, le gardien du temple et le promoteur d’une œuvre parmi la plus inventive et imaginative de la galaxie surréaliste.
Vente chez Christie’s Paris le 2 mars à 14h00
Lucien Treillard, né à Brive (Corrèze) le 7 décembre 1936, professeur de lettres et accessoirement aide pour un lithographe, un certain Georges Visat, va faire la connaissance de l’Américain Emmanuel Radnitsky alias Man Ray (1890-1976), en 1960, pour des raisons professionnelles. Les deux hommes se sont trouvés. À tel point que Man Ray, dans ce dialogue avec l’envoyé de son lithographe, ne veut plus avoir affaire qu’à lui ! Dès lors, tous les jours au sortir de ses cours, le professeur passe de longues heures dans le studio de l’artiste et devient tout naturellement son assistant, voire même son confident…. et son plus fervent collectionneur ! C’est cette collection qui est mise en vente le 2 mars 2021 chez Christie’s à Paris.
Man Ray. Nusch et Paul Eluard, c. 1935. Estimation : 3/4 000 € © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021
Duchamp Marcel. 12 Rotoreliefs, Paris, Rotorelief, s.d. 1935. Estimation : 6/8 000 € © Association Marcel Duchamp / Adagp, Paris 2021
Man Ray. Érotique voilée, 1933. Estimation : 50/60 000 € © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021
Très vite, il va prendre cette amitié plus qu’au sérieux, devenant même le factotum de Man Ray. Ensemble, ils réaliseront toutes les éditions des objets originaux disparus, et s’appliqueront à valoriser l’œuvre par le biais d’expositions à travers le monde (1966 à Los Angeles, 1968 à Milan, 1971 à Washington, 1972 à Paris, 1975 à Cologne, entre autres). Aidant en cela la découverte d’une œuvre alors encore très confidentielle. Ce travail de fond il le continuera après la mort de Man Ray en 1976, puis aussi après le décès de Juliet la compagne du peintre-photographe en 1991. L’épouse de Lucien Treillard reprendra le flambeau au décès de son mari en 2004, s’occupant des œuvres de la collection et ce, jusqu’à nos jours avec, en 2020, l’exposition Man Ray et la mode au musée Cantini à Marseille, puis reprise et malheureusement abrégée au musée du Luxembourg à Paris, ou encore la grande rétrospective organisée au Brésil.
Et naturellement, en tant que collectionneur – ce qui l’avait amené à côtoyer Georges Visat – il va constituer une collection d’œuvres de son mentor. Dans les 188 lots que comporte la vente – dont la provenance est, de ce fait, des plus désirables – on retrouvera quasiment tous les multiples de l’œuvre avec en pièce phare, un exemplaire de la première boîte éditée sous le pseudonyme de Rrose Sélavy (entendre Éros c’est la vie) qui se voulait l’alter ego féminin de son ami et complice Marcel Duchamp. Duo à qui l’on doit quelques réalisations d’importance dans cette période entre dadaïsme et surréalisme. On notera aussi une édition des Roto reliefs de son complice Marcel Duychamp et dont plus de la moitié de l’édition a disparu pendant la guerre. L’exemplaire présenté ici contient de plus une annotation de la main de Man Ray. Et, en point d’orgue, un des 30 exemplaires de la « boîte-en-valise » née de la complicité avec Marcel Duchamp et contenant en miniature la réplique de 68 œuvres de Duchamp.
Man Ray, un portraitiste hors norme
Bon nombre de tirages de photos nous rappellent aussi combien Man Ray fut l’un des meilleurs portraitistes de son temps. la photo il l’aborde comme un gagne-pain et en vit largement dans les années 30. Portraitiste hors pair comme nous le montre ici les photos de Brancusi, Dalí et Gala, Picasso avec sûrement le plus connu des portraits du malaguène, Giacometti, Calder, Ernst, Nusch et Éluard dans un magnifique et très amoureux portrait, l’envoûtante Lee Miller et naturellement Breton qui aimait ces séances d’auto-satisfaction. Quelques nus aussi comme cette série de neuf contacts dont l’iconique « Érotique voilée » de 1933
Man Ray. La Poire d’Erik Satie. 1969/1973 Estimation : 20/30 000 € © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021
représentant Meret Oppenheim à côté d’une presse lithographique. Photo reproduite en 1934 dans la revue surréaliste Minotaure.
Lui qui fit de son laboratoire un champ d’exploration avec ses cadrages inusités, ses solarisations et autres surimpressions va innover avec les « rayogrammes », ce procédé d’insolation directe de papiers photographiques sur lesquels il posait des objets avant de les insoler. Quelques exemples sont présents ici aussi. Et enfin des portraits de groupe avec la fine fleur des surréalistes et autres agitateurs du moment. À la fin des années 50 il plaque la photo pour se consacrer à la fabrication, au bricolage plus exactement, de bon nombre « d’objets » à partir d’éléments détournés, assemblés dans un pur esprit de la bande de Breton. Une décennie plus tard, et sûrement par manque d’argent, il reprend ses photos des années 20/30 pour les rééditer et les mettre sur le marché. Ce qui, aujourd’hui, provoque une petite bataille d’expert, à savoir si les tirages présentés ici sont « vintages » ou non.
Dans ce magnifique raccourci de l’œuvre de l’un des artistes les plus inventifs, imaginatifs et touche-à-tout de son temps, on regrettera simplement qu’il ne figure pas un tirage de son cliché le plus connu Noir et blanche et aussi un exemplaire de Facile, ce magnifique recueil de photos par Man Ray de nus de Nusch accompagné des magnifiques sonnets d’un Éluard amoureux…
Man Ray et les surréalistes, collection Lucien et Edmonde Treillard
Christie’s 9, avenue Matignon, 75008 Paris
Vente le mardi 2 mars 2021à 14h
Exposition publique : du jeudi 25 février au lundi 1er mars (sauf le dimanche 28 février) de 10h à 18h. Et le mardi 2 mars de 10h à 14h
Site de la vente : collection Lucien et Edmonde Treillard