La mise en vente, le 25 mars par Sotheby’s, d’une rare œuvre parisienne de van Gogh nous permet une excursion dans le Montmartre de la fin du XIXe siècle lorsque, dans ce bout de campagne, quelques moulins transformés en guinguettes élançaient leur silhouette sur la Butte au nord de Paris. Une œuvre magnifique qui devrait déchainer les enchères.
Vente chez Sotheby’s le 25 mars à Paris
Vincent van Gogh, Scène de rue à Montmartre (Impasse des Deux Frères et le Moulin à Poivre), 1887 © Sotheby’s/ArtDigital Studio
Si les musées restent encore clos et pour combien de temps encore, si les galeries tentent de combler ce vide avec des accrochages furtifs, les ventes aux enchères, en revanche, dopées par l’habitude qui commence à être prise des ventes dites « online » ou « live » (ces anglicismes !!!), se portent fort bien. Si les temps pour les maisons d’enchères étaient moroses, aucune ne tenterait de mettre à l’encan de si belles pièces avec en point d’orgue de la saison ce Van Gogh qui fait sa réapparition chez Sotheby’s (associé pour l’occasion à la maison Mirabaud-Mercier). Une œuvre connue, souvent reproduite mais jamais exposée au public !
Mais ce qui rend cette vente exceptionnelle c’est qu’il s’agit là sûrement d’un des tous derniers Van Gogh de cette importance encore en main privée et resté, de plus, dans la même famille depuis un siècle ! Un fait qui devrait nous valoir une belle bataille d’enchères !
Il ne s’agit pas aussi, et c’est ce qui rend cette découverte exceptionnelle, d’une petite œuvre un peu oubliée, ni d’un dessin de faible importance, mais d’une belle huile sur toile de 1887, de la période parisienne du peintre, période charnière entre son arrivée des Pays-Bas et avant son départ pour la Provence. Cette œuvre fait partie d’une série sur les moulins de la Butte que le hollandais a peint lors de ce bref séjour à Paris, et est à rapprocher d’une œuvre quasi similaire conservée au Rijksmuseum d’Amsterdam (Coin à Montmartre, le moulin à Poivre, printemps 1887. Illustration ci-dessous).
Il découvre la couleur !
C’est en mars 1886 que Vincent van Gogh débarque à Paris en provenance d’Anvers. C’est le départ pour une nouvelle vie dans cette parenthèse parisienne qui ne durera qu’à peine deux ans (il part pour Arles en février 1888). Il a rejoint à Paris son frère Théo, gérant de la galerie Boussod, Valadon & Cie. Il s’installe chez ce dernier, rue de Laval (aujourd’hui rue Victor-Massé) dans le bas de Montmartre, puis quelques mois plus tard dans le nouvel appartement loué par son frère au 54 rue Lepic.
E. Gaillard, Impasse des Deux-Frères, Montmartre Paris. 1904. L’endroit exact tel qu’il était lorsque van Gogh l’a peint © Paris Musées / musée Carnavalet
Vincent van Gogh, Le Blute-fin : Le Moulin de la Galette. Mars 1887 © Pittsburgh, Carnegie Institut, Art Museum
Hippolyte Bayard. Moulins à Montmartre. vers 1842 © D.R.
Montmartre alors présente le paysage d’une banlieue encore très peu peuplée avec son maquis, entre jardinets et terrain vague, dans lequel des cabanes construites de bric et de broc hébergent une foule miséreuse et bigarrée et d’où émergeaient encore trois moulins rescapés des nombreux qui peuplaient encore la butte à la fin du XVIIIe siècle. Ces trois rescapés ont été achetés en 1809 par un certain Debray pour y produire de la farine et y vendre de petits pains de seigle en forme de « galette ». Le mot restera et sera donné de manière générique aux trois moulins (le Radet, le Blute-fin et le Moulin à Poivre) de Moulin de la Galette. Très vite, abandonnant la minoterie, Debray fit de l’endroit un espace de guinguettes et de bals populaires. C’est le Moulin à Poivre, détruit en 1911 lors du percement de l’avenue Junot, qu’a peint ici van Gogh. D’où le titre : Scène de rue à Montmartre (Impasse des Deux Frères et le Moulin à Poivre).
Une œuvre rare
Les commissaires-priseurs naturellement ne tarissent pas d’éloge sur la chance de pouvoir proposer – à un rare public d’acheteurs – cette œuvre importante dans le corpus de l’œuvre de van Gogh et de préciser : « Très rares sont les tableaux de la période de Montmartre encore en mains privées, la plupart étant désormais conservés dans les plus prestigieux musées du monde. La présentation sur le marché d’un tableau provenant de cette série iconique sera par conséquent à n’en pas douter un
Vincent van Gogh, Coin à Montmartre, le Moulin à Poivre, printemps 1887 © Amsterdam Rijksmuseum
événement majeur pour les collectionneurs de Van Gogh et pour le marché de l’art en général »
Sa manière se métamorphose
Le tableau nous présente donc l’entrée de la guinguette sur l’impasse des Deux-Frères. Impasse disparue avec le percement de l’avenue Junot mais dont subsiste un « chemin » qui traverse, de nos jours, la propriété privée du 1 avenue Junot et menant au Blute-Fin toujours existant. Montmartre alors est une zone entre chien et loup, entre la ville grouillante et la campagne qui était encore aux portes de Paris avec ses petits villages. L’art de Van Gogh est lui aussi entre chien et loup. Son arrivée à Paris lui a permis de découvrir l’art de son temps et, abandonnant sa touche lourde, sombre et grasse de ses œuvres hollandaise, il découvre non seulement la lumière et la couleur mais il donne de la légèreté à son pinceau qui semblent survoler la toile pour y déposer par fines touches ses couleurs qui modèlent son paysage. Son départ pour Arles en 1888 lui permettra, après cette transition parisienne, d’entamer son vrai œuvre.
Vincent van Gogh, Jardins potagers à Montmartre, la butte Montmartre, juillet 1887 © Amsterdam Stedelijk Museum
Tout est là, souvent à peine esquissé comme la gamine qui croise ce couple endimanché, les arbres lançant vers le ciel leurs branches dénudées ou encore cette palissade faite de traits verticaux et cette rue, encore un chemin, que le peintre esquisse avec un camaïeu de couleurs ocre. Le résultat : une évocation tranquille d’un moment, pris sur le vif, baignant dans une douce et champêtre quiétude. Un instantané serein de vie… Lui qui pourtant, déjà, ressentait les atteintes de la folie qui l’emportera trois années plus tard.
Cette vente nous donnera, lors de sa présentation avant vente, une occasion rare de contempler une œuvre jamais vue d’un des plus grands génies du XXe siècle, avant de rejoindre le salon feutré d’un richissime collectionneur, ou d’un musée. D’autant que ce tableau ayant
obtenu son passeport d’exportation, il pourrait faire le bonheur d’un collectionneur ou d’un musée étranger… On ne peut que regretter qu’il ait obtenu ce « laissez-partir ». Mais sans ce passeport à l’exportation sa valeur sur le marché seulement hexagonal serait sans doute moindre. Estimé entre 5 et 8 millions d’euros, sa rareté devrait voir cette estimation s’envoler. Espéreront qu’un musée français le préemptera lors de sa mise aux enchères…
Sous l’égide de Sotheby’s et Mirabaud Mercier, cette œuvre sera incluse dans la vente d’Art Impressionniste et Moderne le 25 mars à Paris à 16h00 chez Sotheby’s, 76 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
Exposition publique : du 19 au 23 mars chez Sotheby’s
Site de la vente : Sotheby’s et Mirabeaud Mercier