Dans son espace parisien, Antoine Laurentin nous propose une trentaine de magnifiques œuvres sur papier d’Alfred Manessier. Homme de foi, grand coloriste, Manessier transcende la nature avec ses couleurs et ses compositions qui nous offre une vision spiritualisée du monde. Intemporel, son art loin, d’être totalement abstrait, était, à ses yeux et ses dires un état « d’intériorisation du monde »
À voir à la galerie Antoine Laurentin de Paris jusqu’au 30 avril
Hiver, 1952 © Ph. : Courtesy Galerie Laurentin / Adagp, Paris 2021
Dire de Manessier qu’il est le peintre de la couleur serait comme dire de Soulages qu’il l’est du noir. La couleur, dans ces années présentées ici, est pour cet homme de foi, un devoir d’exalter la beauté du monde due au Créateur. La couleur de Manessier se fond aussi dans la mouvance de son temps aux côtés des œuvres toutes aussi colorées des Pignon, Singier, Le Moal et autres Bazaine, Estève et Lapicque dont il fut un temps proche. Ses contemporains, créateurs de cette abstraction lyrique à la française façonnée en dehors des « ismes » de leur temps, furent la plupart ses copains de cimaises dans la mythique Galerie de France. Une couleur qui signe bien l’air du temps, dans cet esprit qui animait la peinture de chevalet dans ses années qui s’étirent de l’avant-guerre jusqu’aux Trente Glorieuses. Un besoin inextensible de joie et de gaieté.
Alleluia, 1948 © Ph. : Courtesy Galerie Laurentin / Adagp, Paris 2021
Composition, 1947 © Ph. : Courtesy Galerie Laurentin / Adagp, Paris 2021
Visitation, 1947 © Ph. : Courtesy Galerie Laurentin / Adagp, Paris 2021
Et à chacun d’y mettre sa spiritualité, sa philosophie ou ses convictions. Pignon, en compagnon de route du PC, peignit les ouvriers, les paysans, les baigneurs des bords de plage. Singier, plus introspectif donna ses versions du paysage tout autant mentales qu’abstraites. Estève lui travaille une stylisation proche d’un Léger, quand à Manessier, son propos il est allé les chercher dans sa spiritualité et le monde qui l’entoure. « Manessier est un mystique par l’intensité de son tempérament et les prestiges de sa palette. » écrivait Camille Bourniquel en préface du catalogue d’une l’exposition chez Drouin en 1946 qui associait à Manessier, Le Moal et Singier.
Un retour en grâce
Une quête, sûrement longue, permet aujourd’hui à Antoine Laurentin de nous présenter une magnifique sélection d’une petite trentaine d’œuvres sur papier (plus trois huiles sur toile) de ce peintre qui signe si bien son époque et illustre parfaitement le propos de l’accrochage : la couleur.
Des œuvres des années 40 aux années 60 lorsque cette couleur construit son abstraction comme elle façonna la figuration chez Cézanne ou Bonnard. Bien que pour lui il n’usait pas là d’un langage abstrait, car jamais dénuées de références extérieures. Il se défendait de cette étiquette d’abstrait préférant parler « d’intériorisation du monde » comme il le confiait à Pierre Encrevé (Catalogue Favellas et autres œuvres monumentales Galerie Applicat Prazan 2012)
De part cette transcendance, cette intemporalité, l’art de Manessier est de ceux qui vieillissent bien, peu daté, comme est malheureusement souvent l’art de ses peintres de l’après-guerre. Des artistes assis entre une tradition issue des révolutions du tournant du siècle et les avant-gardes d’alors avec leur radicalité et leurs excès qui firent tant pour installer de nouveaux regards. On les redécouvre aujourd’hui, enfin les meilleurs, et Manessier est assurément à placer parmi ceux qui traversent le temps et les modes.
Chez Manessier, le cadre, dans ses années-là, est encore bien structuré, affichant un lyrisme contenu. Il est plus proche alors d’un Singier comme ici avec Alléluia daté de 1948 avec ses petites touches géométriques de couleur reliées par des traits sur un fond d’un gris neutre, ou encore avec ce Printemps hollandais de 1949 à la composition verticale et rigoureuse sur un fond éclatant, voire cette Composition de 1950 – travail préparatoire au grand tableau Pour les litanies du soir – dans lequel des blocs colorés structure la composition en des personnages stylisés symbolisant l’Élévation.
Composition, 1948 © Ph. : Courtesy Galerie Laurentin / Adagp, Paris 2021
À la poursuite de la lumière
Puis, l’on sent bien ce glissement vers une abstraction plus lyrique, travaillant la couleur non plus vraiment en aplats, mais en zones plus floues, qui annonce les années à venir. En ces années de transition, explique Josef Paul Hodin dans l’imposante monographie (Éditions Ides et Calendes 1972) qu’il consacra à Manessier : « ses œuvres trop géométriques témoignaient de son incertitude… Tout cela le poussa dans une nouvelle recherche tendant à une complète liberté d’expression et à l’équilibre de toutes les composantes de la peinture… » Comme nous le montre ici ce Bocage enneigé de 1958 qui préfigure parfaitement ce glissement.
Les deux décennies présentées ici sont donc une période d’une grande importance dans l’œuvre de Manessier. Sans naturellement renier la sacralité de son art qui transparaît encore et souvent dans les titres de certaines toiles voir dans une abstraction qui révèle, de façon sous-jacente son attache au sacré, à l’image de cette composition de 1947 reprenant, à l’évidence, la structure d’un édifice religieux. Mais dans la fin de ces décennies, sont, de plus en plus nombreuses les références au paysage. Le paysage, chez Manessier, sûrement considéré comme création divine. Il retrouvera son Nord, le Crotoy et poussera jusqu’en Hollande puis vers le sud suivant la course de la lumière donc de la couleur. Mais s’écrit là une autre histoire qui dépasse celle que l’on nous raconte ici. En ces temps un rien troublés en beaucoup de points, l’art de Manessier vient à point nous rappeler aux fondamentaux… La lumière, la couleur, la spiritualité. La vie.
Alfred Manessier, la couleur 1940-1960
Galerie Antoine Laurentin, 23 quai Voltaire 75007 Paris
Ouvert du mardi au vendredi 10h -13h 14h-17h30 et le samedi 11h30 – 17h30
Site de la galerie : galerie-laurentin.com