Le Musée de Montmartre nous entraîne dans le Paris léger, et festif de Raoul Dufy, chantre de la couleur. Touche-à-tout, on lui doit une œuvre peinte, mais aussi des créations textiles, des tapisseries et des céramiques. Une foison de motifs dans lesquels s’entremêlent tous les univers qui font la capitale.
Exposition Le Paris de Dufy à visiter jusqu’en septembre 2021.
Posté le 20 mai 2021.
Vue in-situ de l’exposition au Musée de Montmartre © Œuvres Adagp, Paris 2021 / Ph.: Julien Knaub
Il est toujours ardu aux musées thématiques de trouver des expositions en rapport avec leur thème, leur vocation. Si on excepte des musées ou lieux d’exposition au sujet très porteur, comme le Musée Picasso ou celui d’Orsay au champ exploratoire très large, c’est par contre beaucoup plus difficile quand la destinée est plutôt niche. C’est le cas par exemple de cet adorable Musée de Montmartre, consacré à ce lieu qui, de la fin du XIXe siècle aux premières années du XXe, vit affluer bon nombre d’artistes et de rapins.
Un adorable musée, niché dans une maison autrefois cadre de vie et de travail du trio infernal Utrillo, Valadon et Utter. Une grande maison perchée sur les hauteurs de la butte et entourée d’un très provincial jardin de curé dont le dépliant s’enorgueillit d’être « certainement le musée le plus charmant de Paris » ! Pour notre part nous ajouterons qu’il l’est assurément avec celui du Musée de la Vie Romantique à une encablure de là.
Vue de Montmartre, 1902 © Coll. part. / Adagp Paris, 2021
L’Atelier de l’impasse Guelma, 1935-1952 © Paris, Centre Pompidou, MNAM / Adagp Paris, 2021,
Le Moulin de la Galette, 1939 © Paris, Musée d’art moderne de Paris / Adagp Paris 2021
Leur thème du musée est décrit dans son appellation : Montmartre. Et donc aux animateurs du lieu de chercher, et jusqu’ici de trouver avec bonheur, des thèmes d’expositions en relation avec la Butte. Après la très remarquée exposition consacrée à Otto Freundlich qui avait comme relation au lieu d’avoir habité à Montmartre, c’est Raoul Dufy qui s’y colle, avec cette exposition qui vient nous parler de la relation du peintre avec Paris. Élargissant donc le cadre puisqu’au pied de la Butte s’étend effectivement toute la ville qui fait que ce charmant musée pourrait devenir celui de la vie artistique et bohème de la capitale.
Paris le fascine
Raoul Dufy (1877-1953) fut incontestablement, au tournant du siècle, un fauve majeur qui devient, les années qui suivirent, le peintre léger que l’on connaît avec une manière reconnaissable entre toutes. Son œuvre flirte, par moment, avec la décoration, mais ne boudons pas notre plaisir, surtout en ce moment, pour y voir le peintre de la joie de vivre, de la couleur et qui réussit même la gageure de rendre légère et printanière en diable l’histoire de… l’électricité en une magistrale fresque à voir au Musée d’Art moderne de Paris.
Natif du Havre, il fait ses premières humanités chez Charles Lhuillier, à l’école municipale des Beaux-arts du Havre. Il y a pour condisciple Emile Othon Friesz avec lequel il noue une belle amitié. Il quitte le grand port pour Paris en octobre 1899. D’évidence, et on le verra dans ses œuvres tout au long de sa vie, Paris le fascine. Il semble avoir la naïveté des yeux du provincial pour la beauté de la capitale. « Mais de Paris ce n’est pas qu’une vision monumentale et urbaine qui le passionne. C’est tout ce milieu parisien unique qui permet à un peintre de rencontrer tous les acteurs de la scène artistique et littéraire » précise Sophie Krebs dans son essai Dufy et Paris.
Un observateur serein du monde
À son arrivée, il investit ce 12 de la rue Cortot dans un atelier qu’il partage avec Émile Othon Friesz et dès 1900 il expose au Salon des Artistes français. Contrairement à Friesz qui veut « donner de rudes secousses à l’art et ébranler les vieux principes », le sage Dufy œuvre dans une manière proche du postimpressionnisme. Lui-même n’affiche pas les allures bohèmes des artistes habitant la Butte, il est toujours bien mis « le linge toujours net, les souliers bien cirés, il portait sa misère
Raoul Dufy et André Groult, Panorama de Paris, 1933 © Paris, mobilier national et manufactures des Gobelins / Adagp Paris 2021
avec une insouciante fierté. La bohème lui faisait horreur ! » rapporte Roland Dorgelès. Dufy, et son œuvre futur le démontre, est un artiste paisible, amateur de belles harmonies, observateur serein du monde. Un sage dans le tumulte qui agite le monde de l’art d’alors. Pourtant, en 1905, il visite la « cage aux fauves » du Salon des Indépendants et est subjugué par la radicalité de ces artistes qui bousculent les codes et surtout font un usage franc de la couleur. Il opte pour cette manière en une sorte de transition vers un art plus personnel qu’il développera quelques années plus tard. Après ce passé de fauve des plus remarqués et remarquable (bien qu’occulté par les ténors du mouvement, Derain, Vlaminck et Matisse), il pousse même un peu plus loin les préceptes du mouvement comme dans cette magnifique huile de 1909 Le Bouquet dans l’atelier de la rue Séguier, aux tons sourds, à la construction aux accents cubisants qui signe aussi son admiration pour Cézanne.
Bords de Marne, les canotiers, 1925 © Paris, musée d’ Art moderne / Adagp 2021
Des arts déco à la mode
Cette parenthèse passée, il s’attelle à cette voie qui lui amènera succès, commandes et reconnaissance. Il œuvre désormais dans une figuration décorative, légère, colorée, enjouée d’une certaine élégance qui signe parfaitement les années de l’entre-deux-guerres et le retour au calme qui s’ensuivra après-guerre. Une manière quelque peu boudée par une certaine critique, absorbée et fascinée par l’émergence de nouveaux mouvements plus novateurs et qui trouvait son art par trop décoratif.
Il faut dire que ce touche-à-tout œuvra avec bonheur dans les « arts déco ». Dès 1909, il rencontre le grand couturier Paul Poiret qui l’incite à signer des dessins pour des motifs pour tissu et il montera même, avec le couturier, une petite entreprise d’impression sur tissu. Dans ses pratiques on trouve aussi des céramiques pour salons bourgeois ou des cartons pour tapisseries, comme cette série pour chaises dont chaque
dossier est constitué d’un canevas reprenant les principaux monuments de Paris. Et enfin, n’oublions pas le Dufy graveur qui donna à la bibliophilie quelques exemples de sa dextérité avec, en acmé, ses illustrations très réussies du Bestiaire ou le Cortège d’Orphée et du Poète assassiné de Guillaume Apollinaire.
Cet havrais gardera toute sa vie les yeux du touriste ébahis. Ainsi, sous son pinceau, on retrouve les monuments les plus emblématiques de la capitale avec, en point d’orgue, cette tapisserie montée sur un paravent titrée Panorama de Paris, une sorte de dépliant touristique en un survol de la capitale dans la veine de celui gravé par Mérian au XVIIe siècle.
De Paris il nous laisse aussi des instantanés de concerts et autres réceptions mondaines allant jusqu’à revisiter l’iconique Le Moulin de la Galette de Renoir comme point culminant du Paris festif.
Et enfin, revenons à ce Montmartre auquel il resta attaché toute sa vie. Il occupa donc tout d’abord l’un des ateliers du 12 rue Cortot – où se situe le Musée de Montmartre qui aujourd’hui l’accueille. Et à partir de 1911, il s’installera au 5 impasse Guelma, au pied de la Butte, atelier qu’il conservera toute sa vie et qui sera le thème central de quelques œuvres. Indéniablement, il y a une musique, une légèreté et une joie de vivre et de peindre chez ce chantre de la couleur qui voua à Paris le meilleur de son art.
Musée de Montmartre, 12/14 rue Cortot (18e).
À voir jusqu’en septembre 2021.
Accès :
Métro : station Lamarck-Caulaincourt ou Abbesses (ligne 12). Station Anvers (ligne 2)
Ouvert tous les jours de 10h à 19h.
Site du musée : museedemontmartre.fr/
Catalogue
Le Paris de Dufy
Sous la direction de Didier Schulmann et Saskia Ooms
Co-éditions Musée de Montmartre / In Fine éditions d’art. 175 p. 100 ill. 19,95 €