Ça y est ! Le projet d’un « musée Pinault » entamé il y a plus de vingt ans voit enfin le jour. Après quelques atermoiements et reports ces derniers mois dus à la pandémie, François Pinault a investi la Bourse du Commerce qui ouvre enfin ses portes. Ce monument du XVIIIe siècle a été entièrement réaménagé par l’architecte japonais Tadao Andō pour accueillir une partie de la collection du milliardaire. 200 œuvres dues à plus de 30 artistes signent un beau panorama de l’art de notre temps. Déroutante pour certains, attendue et espérée par d‘autres, cette exposition permet de bien mesurer toute l’implication de l’art contemporain dans les grands courants qui agitent notre monde.
Ouverture du musée « Bourse de commerce – Pinault Collection » dès le samedi 22 mai 2021.
Animatronic mouse, hole in a wall, 2019 © Ryan Gander / ADAGP, Paris 2021 / Courtesy Esther Schipper. Gallery / Photo Andrea Rossetti.
Alors que les institutions publiques semblent peiner et ne saurait exister aujourd’hui sans mécénat, les institutions privées, elles, prolifèrent. Dans la capitale, en quelques années, sont sorties de terre les fondations Cartier, Louis Vuitton celle de LVMH, Pernod Ricard qui vient d’investir un nouveau lieu derrière la gare Saint Lazare, celle adossée aux Galeries Lafayette, sous l’appellation Lafayette Anticipations, la Fondation Laurent Dumas qui préside le groupe Emerige, installée, elle, sur l’île Seguin (le premier lieu envisagé par François Pinault) et aujourd’hui donc celle de François Pinault qui, sans être vraiment affiliée à un groupe, ne nous fait pas oublier que son propriétaire est celui du groupe Kering, drivé aujourd’hui par son fils François-Henri.
L’ouverture… parisienne d’une collection hors pair !
Quel titre pouvait bien choisir François Pinault pour l’ouverture de ce lieu réaménagé et dans lequel il expose une (petite) partie de sa collection qui serait forte, dit-on, de 10 000 œuvres dues à 350 artistes des débuts du XXe siècle à nos jours ? On dit de lui qu’il est l’un des dix plus importants collectionneurs d’art au monde ! Un collectionneur dont les achats, et le mécénat, peuvent faire des carrières d’artistes et booster leur côte.
Mais au-delà de ces appréciations mercantiles ; et de la manière dont il parle de l’art, il est à considérer que son appétence est aussi celle d’un amateur dans le sens premier du terme. « L’une des grandes vertus de la relation à l’art réside dans les perspectives qu’elle ouvre. C’est ce qui me passionne dans la grande aventure de la création. C’est ainsi que partant des artistes de la fin du 19e siècle, je me suis intéressé aux peintres abstraits, ce qui m’a conduit rapidement vers les artistes d’après-guerre, puis vers l’art de mon temps » écrit-il en préambule à cette ouverture.
François Pinault à la Bourse du commerce © Max Têtard
Exposition « Ouverture ». Urs Fischer, Untitled, 2011-2020 © Urs Fischer, Pinault Collection / Photo Aurélien Mole.
David Hammons, Untitled, 2000 © David Hammons, Pinault Collection / Photo Aurélien Mole.
Le choix s’est donc porté sur le titre d’« Ouverture » qui semble un raccourci qui veut bien dire ce dont il s’agit. Il aurait pu assortir ce titre d’un point d’exclamation, déjà parce que ce projet qui, initialement, devait voir le jour au tout début des années 2000 sur l’île Seguin à la porte ouest de Paris, sombra d’abord pour de sombres raisons politico-municipales. Puis cette inauguration ici, dans cette Bourse du Commerce réaménagée, fut par trois fois repoussée pour cause de pandémie !
Donc, après ses deux premiers lieux à Venise – le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana – sa société, la Pinault Collection (en charge de la gestion, des achats, ventes, valorisation, prêts etc… des œuvres de la collection) a investi cette belle endormie qu’est la Bourse du Commerce, un grand bâtiment tout en rondeur, construit à la fin du XVIIIe siècle, situé entre le Centre Pompidou et le Louvre pour servir d’écrin parisien à la présentation de sa collection.
L’espace a été confié à l’architecte japonais Tadao Andō dont l’une des consignes du cahier des charges fut de respecter le bâtiment, son architecture, ses décorations et fresques datant de plus d’un siècle, le tout classé aux Monuments historiques. Donc, pas question de toucher à tout cela ! Malin, le japonais a imaginé un cylindre de béton inséré dans le bâtiment ménageant tout autour une zone de déambulation. Le tout étant d’un minimaliste extrême et d’une grande et belle rigueur qui se fait oublier pour mettre parfaitement en valeur les œuvres. À l’arrivée, une surface d’exposition de 7000 m2 répartie en dix espaces.
Les problématiques de notre temps
L’intérieur de la Bourse. Imaginé par l’architecte japonais Tadao Ando, le cylindre en béton, s’insérant dans le bâtiment existant © Bourse de Commerce — Pinault Collection / Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, Agence Pierre-Antoine Gatier / Photo Marc Domage
Pour cet accrochage inaugural, le maître des lieux et ses factotums dont Jean-Jacques Aillagon, l’ancien ministre de la culture de Jacques Chirac, ont choisi dans la collection plus de 200 œuvres dues à une trentaine d’artistes. Le titre « Ouverture » n’est pas dénué de sens, car il est aussi et surtout ici question d’ouvrir une fenêtre sur notre monde. De présenter des œuvres dont le fil rouge est d’avoir une portée sociale et/ou traitant de problématiques de notre temps comme le racisme, les conflits sociaux ou sociétaux, l’humanisme, la soif de liberté, la révolte contre l’injustice ou l’acceptation de l’autre. Des vertus militantes, éclairantes qui signent bien la seconde moitié du siècle dernier et le nôtre dans un monde qui semble avoir perdu ses repères et dont l’art s’efforce et tente d’apporter toute à la fois un éclairage et une voix rédemptrice. « Ce n’est pas l’art pour l’art. Les œuvres choisies pour ce premier acte sont en prise directe avec le monde… C’est un art qui manifeste sa porosité au monde », explique Martin Bethenod, directeur général en charge du lieu.
Martial Raysse, Ici Plage, comme ici-bas (2012) © Martial Raysse / ADAGP Paris, 2021 / Courtesy de l’artiste et de Pinault Collection / Photo Aurélien Mole.
Alors oui, de par leur radicalité, leur parti pris, leur volonté d’interpeller, voire de choquer l’ensemble peut paraître déroutant, voire hors de sens pour le « grand public ». Ce à quoi le propriétaire des lieux répond : « Il y a beaucoup d’œuvres contemporaines, peut-être un peu d’avant-garde, qu’un public non averti aura du mal à saisir, mais j’espère qu’il essaiera de comprendre, qu’il essaiera d’ouvrir son esprit et ça lui permettra de voir les choses différemment de la marche du monde, de sa propre vie. C’est un remède, c’est le meilleur, je crois. ». En cela, le catalogue sera d’un grand secours.
Les « stars » de la collection
Pour bien marquer les esprits, mais aussi comme un chaînon entre les âges, la première œuvre qui se présente lorsque l’on pénètre dans cette rotonde est une monumentale sculpture du suisse Urs Fisher, une réplique grandeur nature de L’Enlèvement des Sabines du sculpteur maniériste du XVIe siècle Jean de Bologne. Une réplique… en cire, une immense « bougie » qui va lentement se consumer jusqu’à disparaître dans une dynamique de destruction créative, symbolisant le passage du temps et l’inéluctable effacement de toute choses. Une œuvre qui avait fait sensation lors de sa présentation en 2011 à la biennale de Venise et qui avait mis alors plusieurs mois pour se consumer entièrement. S’ensuivent passages et galeries jusqu’au foyer de l’auditorium et au Studio qui déroulent les œuvres, certaines attendues, d’autres surprenantes. On notera aussi beaucoup de peintures qui signent, depuis quelques années, le grand retour
de ce média dans la création contemporaine après les errements, souvent calamiteux, des décennies précédentes.
Les stars de la collection sont là, on y retrouve – excepté étonnement Jeff Koons dont la collection renferme pourtant de nombreuses œuvres, dont 19 sont actuellement prêtées au MuCem de Marseille – des grands noms de la scène contemporaine, les David Hammons avec pas moins d’une trentaine d’œuvres, Bertrand Lavier, Richard Prince, Cindy Sherman, Peter Doig, Marlene Dumas, Martin Kippenberger, Thomas Schütte, Rudolf Stingel, Luc Tuymans, Pierre Huyghe, Tatiana Trouvé, le toujours surprenant Maurizio Cattelan qui nous installe ici en hauteur une « inquiétante escadrille de pigeons empaillés » et Martial Raysse naturellement, qui nous avait été présenté il y a peu à Beaubourg, et que l’on retrouve ici avec cette grande fresque qui clôturait l’accrochage du Centre Pompidou. Et tant d’autres aussi dont certains peu vus comme Florian Krewer, Antonio Obà et la toute jeune Ser Serpas.
Déroutant pour certains, attendu et espéré pour d’autres, cet accrochage d’ouverture permettra de pénétrer dans les arcanes d’une collection assez représentative de l’art de notre temps ; une collection sûrement l’une des plus importantes au monde. De révélations en découvertes, cette exposition permettra aussi et avant tout d’avoir une vision assez complète de la scène contemporaine.
Peter Doig, Red Canoe, 2000 © Peter Doig / ADAGP, Paris 2021 / Christie’s Images Limited, 2013.
Bourse du Commerce, collection Pinault
Exposition « Ouverture »
2, rue de Viarmes (1er)Ouverture du lundi au dimanche de 11h à 19h
Fermeture le mardi
Nocturne jusqu’à 21h le vendredi
Accès
Métro
Ligne 1 : station Louvre – Rivoli
Ligne 4 : station Les Halles
Lignes 7, 11 et 14 : station Châtelet
RER
Lignes A, B et D : gare de Châtelet – Les Halles
Bus
74 et 85 :arrêt Bourse de commerce
21 et 67 : arrêt Louvre – Rivoli
70 : arrêt Pont Neuf – Quai du Louvre
69 et 72 : arrêts Louvre – Rivoli / Pont des Arts
38, 47, 58 et 76 : arrêt Châtelet
Ouverture
Coédition de la Bourse de Commerce — Pinault Collection et Dilecta Paris, 2021. 420 p. 55 €</strong
La Bourse du commerce, le nouveau musée de la collection Pinault à Paris
Coédition de la Bourse de Commerce — Pinault Collection et Dilecta Paris, 2021. 260 p. 55 €