Sans conteste, la Grèce est nation européenne à part entière et cette exposition au Louvre nous explore la période qui amena cette ancienne partie de l’Empire ottoman, à se libérer et à recouvrir son identité propre, tant artistique que politique. Nourrie d’un passé antique glorieux, cette conquête de sa liberté et de la modernité, peu connue, nous est contée dans cette importante exposition.
Exposition « Paris-Athènes Naissance de la Grèce moderne 1675 ‐ 1919 » au musée du Louvre jusqu’au 7 février 2022.
Iakovos Rizos, Soirée athénienne, Athènes, 1897 © National Gallery- Alexandros Soutsos Museum. Photo Stavros Psiroukis
Claude Bonnefond, Officier grec blessé au combat, 1826 © Lyon MBA - Alain Basset

Pascal Sebah, Athènes, temple de Jupiter Olympien et l’Acropole © Bilbliothèque nationale de France

Tête du cavalier Payne-Rampin, vers 570 avant J.-C. © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais Thierry Ollivier

Theodoros Rallis, Le Butin. 1906 © National Gallery- Alexandros Soutsos Museum Ph. Stavros Psiroukis

Reliquaire de la Vraie Croix. époque byzantine (457-1453) © RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Benoit Loviot, Coupe transversale du Parthénon, 1879 © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais

En règle générale la Grèce est regardée à l’aune de deux entités. Soit elle est antique et renvoie pour beaucoup à de longues heures scolaires où certains ahanaient sur des problèmes de thèmes et de versions d’une langue qui, de plus, n’utilise pas les mêmes caractères que la nôtre ou à l’étude de philosophes et auteurs un brin austères, voire à une histoire antique qu’elle partage avec Rome dans le cœur des historiens. L’autre facette est plus moderne, liée au tourisme (Parthénon et théâtres antiques) quand ce n’est soleil, Cyclades, sirtaki et plages estivales. Entre ces deux pôles, pas grand-chose sinon rien.
Cette exposition vient combler une partie de ce grand vide et replace la Grèce dans son histoire récente et sur l’échiquier européen en étudiant les rapports entre nos deux pays. « La renommée et la fascination pour l’antiquité grecque continuent pourtant d’occulter la connaissance de la Grèce moderne, que les Français commencent à redécouvrir à partir du XVIIe siècle, et dont la naissance en tant que nation au XIXe siècle est profondément déterminée par l’essor de l’archéologie scientifique comme par le néoclassicisme français et allemand. », justifient les commissaires de l’exposition.
Encore fallait-il trouver à cette exposition un angle et une raison. Le Louvre justifie ce choix muséal car, apprend-t-on, 2021 marque un double anniversaire : le bicentenaire des débuts de la guerre d’indépendance grecque, traditionnellement fixés au 25 mars 1821 et, le même mois de la même année, le 1er mars 1821, l’entrée au Louvre de la Vénus de Milo, découverte un an auparavant, en avril 1820. Il y a aussi et sûrement une autre raison, sinon volonté à cela, qui doit être plus politique en s’inscrivant dans un contexte diplomatique, non mise en avant. Mais qu’importe, l’exposition, d’un point de vue autant historique qu’artistique, se justifie pleinement au vu des œuvres exposées. Surtout l’exposition lève le voile sur un rapport rarement exposé dans une période rarement étudiée.
Et enfin, comme on le souligne ici, les collections du musée sont extrêmement riches d’œuvres grecques et que celles-ci – comme les antiquités romaines du reste – sont un jalon important dans la constitution de l’identité culturelle du « vieux continent ».
Comme souvent, dans un retour sur l’Histoire, on note deux regards qui s’opposent. D’un côté celui des conquérants venus soit batailler au nom de causes pas toujours très avouables et d’un autre la recherche documentaire, historique ou géographique, fruit de la curiosité pour des civilisations et contrées à explorer. De plus, ici, on confronte l’Histoire à la culture. « L’enjeu de cette exposition – souligne Jean-Luc Martinez, commissaire de l’exposition, qui dirigea le musée de 2013 à 2021 cédant sa place dernièrement à Laurence des Cars – est précisément de redire la place particulière de la Grèce dans la culture européenne, dans notre histoire, et je dirai même dans notre imaginaire ». Pour ce faire, déjà, il n’y a eu qu’à puiser dans les salles et réserves du musée pour aligner des pièces d’importance retraçant cette histoire, mais de faire aussi, à l’habitude, appel à des prêts de musées étrangers et d’institutions. Au final, un grand nombre de tableaux, statues, moulages, dessins, gravures et photos. Les artefacts ne manquent pas sur cette thématique, encore fallait-il les mettre en lumière, ce que réussit parfaitement une magnifique scénographie qui nous mélange tout cela avec grâce et dans un réel souci didactique et historique.
Se libérer du joug ottoman
Chronologique, l’exposition s’ouvre par un rappel de la découverte de la naissance de la Grèce moderne, bornée ici entre 1675 et 1919. Dans cette Grèce ottomane des XVIIe et XVIIIe siècle, des ambassadeurs – dont le marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV – font route vers Istanbul, siège de la Sublime Porte (qui ouvrait alors le siège du gouvernement de l’Empire ottoman qui avait conquis le pays dès les premières années du XIe siècle) et découvrent cette contrée du sud de
Eugène Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826 © Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Mairie de Bordeaux, photo F.
l’Europe, dont l’histoire intéresse vivement chercheurs et artistes, tandis que pour beaucoup il s’agissait là seulement « d’une province un peu endormie de l’Empire ottoman ». Il faudra attendre 1821 pour que la Grèce se révolte contre les ottomans, aidée en cela par certains pays européens. Elle recouvre la liberté de quelques provinces dès 1822, puis son entière indépendance en 1829 après une guerre acharnée dont la toile de Delacroix Massacre de Chios et La Grèce sur les ruines de Missolonghi font écho de la dureté des combats.
Dès lors, le jeune état grec va prendre conscience de son patrimoine, aidé en cela par la présence française entre autres, et qui voit la création en 1846 de l’École française d’Athènes. Il s’agit alors de se trouver une réelle identité en se débarrassant des traces laissées par de nombreux siècles d’occupation ottomane. On semble retrouver, dans ce grand engouement pour un pays au passé si riche, des accents de la campagne d’Égypte napoléonienne avec ces nouveaux émules de Vivant-Denon qui vont investir un terrain de découvertes.
L’archéologie et les traces du passé antique et glorieux, fortement présents sur le sol grec, vont permettre cette réappropriation de l’identité grecque. De nombreuses fouilles sont alors entreprises et confiées à des instituts européens – surtout français et allemands – qui remettent en lumière les sites emblématiques de Delphes et d’Olympie entre autres, le tout documenté par des photos, moulages, croquis, relevés sur place et éclairant cette histoire longtemps occultée. De tous les trésors exhumés, le Louvre possède une riche collection, dont la Vénus de Milo est le Graal absolu.
Vue in-situ de l’exposition. Au premier plan: Léonidas Drossis, Pénélope, 1873-74 © Athènes, Pinacothèque Nationale – Musée Alexandros Soutzos / Ph. D.R.
La Vénus trouvée à Milo
Pour elle, tout commence réellement lorsqu’en 1820, plusieurs navires de l’escadre française font relâche dans le un port de l’ile de Milo. Là, le commandant d’un navire va découvrir une statue « un peu mutilée aux bras cassés » tel qu’il l’a décrit à son officier supérieur. Cette statue a été déterrée quelques jours auparavant par un paysan retournant son champ. Notre officier demande s’il doit acquérir cette statue que les autorités de l’île désirent, elles, céder aux officiers ottomans présents sur place. En réponse le consul de France fait savoir qu’il désire que cette statue entre dans les collections royales. Après quelques chamailleries et rebondissements entre différents acheteurs potentiels, la Vénus de Milo arrive en France et Louis XVIII la fait entrer au Louvre.
Cette redécouverte d’une antiquité prestigieuse et la réappropriation d’un passé chrétien (cf. ce Reliquaire de la Vraie Croix porté par deux anges) avait laissé dans l’ombre –
enterrées peut-être – les traces byzantines laissées par la conquête ottomane. Pourtant ce passé, tout aussi prestigieux dans ses traces, va être de nouveau étudié à l’aube du XXe siècle avec les premières fouilles byzantines menées par la France, permettant de retrouver et rassembler toutes ces traces de l’art byzantin disséminés dans les monuments, les églises et autres.
La Grèce s’ouvre alors à l’Europe et s’affirme sur tous les plans. Les grandes fouilles archéologiques entreprises entre 1873 et 1903, accentuent la redécouverte en profondeur et la promotion de son patrimoine archéologique. Présente lors des expositions universelles de 1878, 1889 et 1900 à Paris, ses pavillons, s’ils sont encore largement inspirés de son architecture antique, exposent des artistes de leur temps qui œuvrent dans le goût d’alors à l’image de cette magnifique Soirée athénienne du peintre Iacovos Rizos. Ce dernier viendra se former chez Cabanel comme d’autres chez Rodin ou Gérôme, qui choisirent notre capitale, phare alors de la modernité artistique, délaissant Munich, Bruxelles et Londres que leurs aînés fréquentaient au milieu du XIXe siècle. Puis, la renaissance des Jeux Olympiques en 1896 sous la houlette de Pierre de Coubertin et quelques autres manifestations vont remettre la Grèce dans le concert des nations européennes.
Place qu’elle occupe entièrement dès lors.
Musée du Louvre. Hall Napoléon (1er)
À voir jusqu’au 7 février 2022
Tous les jours de 9h à 18h excepté le mardi. (fermeture des salles à partir de 17h30).
Accès :
En métro : lignes 1 et 7, station « Palais-Royal / Musée du Louvre »; ligne 14, station « Pyramides »
En bus : bus n° 21, 24, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne, 1675-1919.
Sous la direction de Jean-Luc Martinez, assisté de Débora Guillon.
Coédition : Louvre éditions/ Hazan, 504 p. 560 ill., 39 €.
Album de l’exposition
48 pages, 50 illustrations, 8 €