Confiné dans une longère normande depuis plus de deux ans, David Hockney, le plus grand peintre anglais vivant, a ausculté les saisons avec toujours la même joie de vivre colorée, pimpante et se servant, pour ce faire, d’une tablette numérique qu’il utilise depuis plus de dix ans ! Aujourd’hui il nous accroche, au musée de l’Orangerie, ses vues d’une campagne qui, sous son stylet, respire la joie, la couleur et le bonheur… Ses crédos.
Exposition « David Hockney. A Year in Normandie » au musée de l’Orangerie jusqu’au 14 février 2022.
Posté le 15 novembre 2021.
Un panorama long de 90m réunissant les œuvres de l’exposition David Hockney a year in Normandie © David Hockney / Ph.: Sophie Crepy Musée de l’Orangerie
David Hockney (né en 1937), est aujourd’hui le plus important artiste anglais vivant maintenant que les Francis Bacon, Lucian Freud, Patrick Heron, Frank Auerbach, Leon Kossoff et autre Henry Moore ont quitté le navire. Il est aussi actuellement le peintre anglais vivant le plus cher. Sa toile Portrait of an Artist (Pool with two figures) de 1972, a été adjugée en novembre 2018 pour la somme astronomique de… plus de 90 millions de dollars ! Le niveau des Picasso et Basquiat. Pendant le confinement, installé en plein pays d’Auge, il a profité du retour du printemps pour brosser une centaine d’œuvres, gaies, pimpantes, éclatantes de couleurs à son habitude. La galerie Lelong & Co nous en avait déjà présenté une sélection fin 2020. La suite à contempler ici. Du pur bonheur !
Petite remarque toutefois : pourquoi ce titre de l’exposition en anglais ? Pour bien nous faire comprendre qu’Hockney est un citoyen britannique ? Alors qu’il y avait surement de beaux titres à faire sur ce confinement normand. C’est d’autant plus consternant venant d’une institution nationale ! Après l’on s’étonnera que l’usage de notre (belle) langue périclite…
En 2019, après avoir été célébré en Angleterre suite à l’installation d’un vitrail dans l’austère abbaye de Westminster et avant de retrouver cette Californie d’élection qu’il a quitté il y a plus de quatre ans, David Hockney débarque à Bayeux pour revoir l’icône du lieu : la tapisserie de la Reine Mathilde qui le fascine par sa graphie narrative. Là, il fait part de son désir de renouveler en Normandie son expérience faite dix ans plus tôt en peignant la campagne de son Yorkshire natal. Pour ce faire, il demande à ses assistants de lui dénicher une maison en pleine nature, au milieu du verdoyant bocage normand. La maison est vite trouvée et acquise. Une longère ancienne de plusieurs siècles assortie d’un tout aussi ancien pressoir à cidre qui, une fois aménagé, sera un atelier parfait.
Jean Frémon, qui préside aux destinées de la galerie Lelong, nous l’avait alors décrite : « Il s’agit d’une maison dans la campagne bien isolée, au milieu d’un vaste terrain que traverse un cours d’eau. Une rangée de hauts peupliers borde la rivière, Monet n’est pas loin. Au-delà s’élèvent des collines où paissent
David Hockney in Normandie, avril 2021 © David Hockney / Ph.: Jean-Pierre Gonçalves de Lima
des chevaux. Un ancien pressoir tout encombré de vieilles poutres fera, au prix de quelques travaux, un parfait atelier à quelques dizaines de mètres de la maison. La décision est prise sans hésiter, Hockney sait qu’il a trouvé là un sujet, un nouveau motif qui va renouveler son travail. »
Lui qui a passé sa vie à trimballer son atelier d’un continent l’autre aurait-il trouvé là, à Beuvron-en-Auge, son Giverny situé non loin du reste ? Il parlait même alors d’y rester à l’année pour suivre les saisons ! Ce qu’il a fait. Monet n’est vraiment pas loin.
L’arrivée du printemps
Dans son havre normand, les travaux à peine terminés, il entame sa résidence d’artiste. Et c’est là que va le surprendre le confinement dû à la pandémie. Le lieu idéal alors que beaucoup fuient les villes pour la campagne. Une maison isolée, une envie jamais rassasiée de peindre et un nouveau terrain de jeu dans une province et une nature qui lui rappelle Woldgate dans l’East Yorshire qui avait donné les œuvres magistrales vues à Beaubourg courant 2017. Il va célébrer à sa manière si joyeuse, l’arrivée du printemps que ne vont pas obscurcir les nuages du moment… « Remember that they cannot cancel spring » (Souvenez-vous qu’ils ne peuvent pas annuler le printemps !) concède cet indécrottable optimiste ! L’iPad à la main, ce boulimique tranquille et appliqué achèvera plus d’une centaine d’œuvres dont l’ensemble fit d’abord l’objet d’une grande exposition qui vient de se terminer à la Royal Academy de Londres puis d’être remontée ici au musée de l’Orangerie à Paris.
David Hockney « A Year in Normandie » 2020-2021 (detail) © David Hockney
Ces saisons normandes donnent ici un bouquet changeant de joyeuses œuvres aux pimpantes couleurs avec leurs pommiers et autres poiriers en fleur, ces vues de sa campagne normande sont d’une claire et charmante naïveté dans son absence de perspective, le vert tendre de l’herbe, le toit brique de la maison, le bleu du ciel, le jaune des fleurs, jusqu’aux bruns et orangés de
l’automne, au blanc de la neige et gris des nuages, tout le spectre lumineux concourt à faire de ces paysages banals une explosion de gaieté et de poésie.
L’exposition se déroule sur deux niveaux ; dans le premier, les images peintes sur iPad ont été composées puis imprimées sur papier et assemblées en une frise longue de 90 m – réminiscence de sa fascination pour de la tapisserie de Bayeux, voire un clin d’œil au panorama du Cycle des Nymphéas de Monet gardé en ce même lieu ? – en vision à 360° de l’univers normand d’Hockney. À l’étage ce sont des images assemblées ou simples, comme des panoramas vus d’une fenêtre ouverte sur sa campagne en une veine classique mâtinée d’une étonnante juvénilité.
Le bonheur en quelque sorte
Ces paysages qui ne sont pas sans nous rappeler ceux de son Angleterre natale avec ses chemins creux et sa nature généreuse et grasse. Confiné dans sa Normandie d’élection, tournant autour de sa longère aux colombages apparents, il est « sur le motif » pour reprendre le crédo des Impressionnistes. Là, il semble, tel un Voltaire cultivant son jardin, n’être jamais rassasié de cette simplicité. Une maison, un jardin, des arbres et le retour implacable des saisons qui égrènent un paysage toujours le même et pourtant jamais pareil. Le bonheur en quelque sorte.
Un bonheur apaisé qui revient à l’essentiel pour lui qui avait bousculé le Swinging London dans les 60s, puis enflammé la Californie et le Grand Canyon, terre luxuriante entre maison blanche, piscine bleue, plantations exotiques et terres rougeoyantes. Ces années d’un art fringant. Et l’âge venant, il revient vers cette Europe, ce vieux continent de ses racines. Une terre
David Hockney « A Year in Normandie » 2020-2021 (detail) © David Hockney
calme certes, mais pas dans un registre terne, froid, ante-mortem mais avec toujours, comme chevillé au corps, une débauche de couleurs, la gaieté toujours au bout du pinceau, lui qui ose autant dans son habillement que dans ses œuvres marier ensemble des tons improbables qui se fondent en un joyeux patchwork comme ce vitrail avec lequel il a fait rentrer dernièrement le soleil dans l’austère abbaye de Westminster.
Il fait indubitablement penser à cet autre amoureux de la vie que fut Jacques-Henri Lartigue ! « C’est un homme qui aime la vie, qui sait la voir avec émerveillement, avec des yeux d’enfant souvent et une grande fraîcheur… » constate Jean Frémon. À 83 ans, Hockney est comme Benjamin Button : plus le temps avance, plus il semble rajeunir…
Orangerie
Musée de l’Orangerie, Jardins des Tuileries (côté Seine), Place de la Concorde (1er)
À voir jusqu’au 14 février 2022
Ouvert de 9h à 18h tous les jours sauf le mardi
Dernières entrées à 17h15 Début de fermeture des salles à 17h45
Accès
Métro : lignes 1, 8, 12, station Concorde
Bus : lignes 42, 45, 52, 72, 73, 84, 94, arrêt Concorde
Site de l’exposition : ici
Catalogue
David Hockney. A year in Normandie
Éditions Musée de l’Orangerie / RMN Grand Palais.
164 pages. 35 €