Si Picasso ne fut jamais naturalisé, malgré sa demande, c’est qu’un rapport le qualifiant d’anarchiste, rédigé en 1901, fit de lui « l’étranger » et le suivit une bonne partie de sa vie. Cette facette de la vie du peintre, occultée par lui-même, refait surface aujourd’hui. Retracée dans une exposition par Annie Cohen-Solal dont l’ouvrage, sur ce sujet, a été couronné du Prix Femina cette année. Une autre tranche de la vie de Picasso, pourtant déjà très connue, explorée et… exploitée, que l’on nous propose de découvrir ici.
Exposition « Picasso l’étranger » au Musée national de l’Histoire de l’immigration jusqu’au 13 février 2022.
Posté le 19 novembre 2021.
Si l’art de Picasso, le démiurge du siècle passé, n’a pas fini d’être exploré, sa vie l’est moins et pourtant, les deux sont étroitement liés. Ses amours (compliqués) se lisent souvent dans son travail, mais aussi ses prises de position – lui qui était très regardé et écouté – et, ce que nous relate cette exposition : sa condition d’éternel émigré. Le musée de l’Immigration se penche donc sur cette facette inédite (nous dit-on) de sa vie. Inédite ? Pas vraiment, car ce que ne dit pas cette exposition, pas plus que le livre et le catalogue qui lui servent de support, c’est que cette page de son histoire, l’origine des documents présentés et de leur étrange destinée n’est nullement une révélation. Car tout cela fit, il y a pourtant peu de temps (en 2004), l’objet d’une première exposition… confidentielle certes, mais étonnement jamais mentionnée ici !
Cette histoire fut mise à jour par Pierre Daix – ami et plus important biographe du peintre – aidé alors par Armand Israël. Les démêlés de Picasso avec la police et l’État firent même l’objet d’un ouvrage (Pablo Picasso Dossier de la préfecture de police (1901-1940)) aux Éditions des Catalogues raisonnés/Acatos, (ouvrage épuisé mais trouvable d’occasion), paru en 2004 et présenté lors d’une exposition en avril de la même année.
Et quand il est écrit, dans le catalogue du musée de l’Immigration, par Mercedes Erra – qui préside le dit musée – que « cette facette du personnage n’avait jamais été explorée » c’est faire abstraction du travail du duo Daix / Israël. Et sans
Anonyme. Pablo Picasso, place Ravignan, à Montmartre, en 1904 © Musée national Picasso-Paris / Succession Picasso 2021
Pablo Picasso, Pablo Picasso et Jaume Andreu Bonsons arrivant à Paris. 1901 © Coll. Part. / Succession Picasso 2021

Pablo Picasso, La Lecture de la Lettre, 1921 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau / Succession Picasso 2021

Récépissé de demande de carte d’identité datant de 1935 © Archives de la Préfecture de Police de Paris / Succession Picasso 2021

Picasso Pablo, Minotaure aveugle devant la mer, conduit par une petite fille, 1934 © Musée national Picasso-Paris / Ph. : RMN-Grand Palais / B. Hatala / Succession Picasso 2021

Lettre envoyée au Garde des sceaux pour une demande de naturalisation, 1940. © Archives de la Préfecture de Police de Paris / Succession Picasso 2021

Pablo Picasso, Coq tricolore à la croix de Lorraine, 1945 © Paris, musée national Picasso – Paris. Ph. : RMN-Grand Palais / Succession Picasso 2021

Cliquez sur les vignettes pour les agrandir
vouloir minimiser le travail de madame Cohen-Solal, qui signe par ailleurs sur cette thématique du Picasso émigré, un fort volume (Un étranger nommé Picasso, 2021 aux éditions Fayard, justement couronné du Prix Fémina) qui reprend en partie, avec, il est vrai, un réel travail de recherches et d’études complémentaires, mais qui déroule surtout une biographie – une de plus ! – de la vie de Picasso.
Et si on se replonge dans l’ouvrage Daix-Israël de 2004, tout était presque entièrement là concernant les démêlés du peintre avec la police, histoire et documents à l’appui. Et quand on lit sous sa plume de Madame Cohen-Solal : « C’est alors que j’ai souhaité faire une exposition pour dévoiler la condition étrangère de Picasso. ». Le terme « dévoilé » semble inconvenu, d’autant qu’une petite référence note le travail de Daix et Israël, dans l’interview qui ouvre le catalogue. Ce qui prouve donc que le travail de nos deux compères n’était pas inconnu de la commissaire de l’exposition, mais dont, ce qui est naturel, elle a dû se servir et peut-être même lui donner l’idée d’explorer cette facette de la vie du peintre. Le reconnaître simplement, ouvertement dans les remerciements aurait été la moindre des politesses. Sur cette base, l’exposition construit une vision de l’œuvre et de la vie du peintre vue au travers du prisme de ce paramètre, il est vrai, peu exploité jusqu’alors. D’où tout l’intérêt toutefois de cette présentation.
Paris, Berlin, Moscou, Paris… Le parcours des documents
En revanche, ce qui n’est pas abordé ici – hors sujet sûrement – mais l’est dans l’ouvrage de Daix et Israël, c’est l’incroyable saga de ces documents qui dévoilent les déboires du peintre avec la police française. Le « dossier Picasso » faisait partie de documents – contenues dans 120 cartons ! – qui furent probablement saisis à la préfecture de police en juin 40 par les Allemands lors de la signature de l’armistice et de l’occupation de Paris par les troupes nazies. Ces dernières mirent la main sur de nombreuses archives afin, surtout, de pouvoir identifier les sujets allemands fuyant le régime hitlérien et refugiés à Paris. Ces archives furent ensuite rapportées d’Allemagne vers l’URSS par les troupes soviétiques lors de la chute de Berlin à l’été 1945. D’autres hypothèses ont été envisagées – comme d’avoir été interceptées lors de leur déménagement vers Montauban, alors en « zone non occupée » pour expliquer que ces cartons se soient retrouvés en Allemagne.
Dans ces cartons, le « dossier Picasso » était des plus sensibles. Déjà, à l’époque, il était un peintre mondialement reconnu, ardent antifasciste, et surtout, qu’il avait dénoncé le bombardement de Guernica, en 1937, dans une toile présentée dans le Pavillon de l’Espagne républicaine lors de l’Exposition universelle à Paris en 1937… Un pavillon à quelques pas de celui du IIIe Reich !
Pablo Picasso, Baraque de foire, Paris, automne 1900 © Barcelone, Museo Picasso / Succession Picasso 2021
En 1945 le « dossier Picasso » quitte ensuite les caves où il était entreposé avec les autres saisis, pour être conservé dans les archives des services d’espionnage de l’URSS à Moscou ! À quelle fin ? Peut se poser la question d’une utilisation afin de propagande ? D’autant, qu’à cette époque Picasso, était un « compagnon de route » du PC français (il avait adhéré en octobre 1944) et que l’URSS cherchait alors à imposer au mieux son influence en Europe. Picasso était une recrue de choix d’un parti qui se targuait alors d’être celui « des fusillés » et qui visait les plus hautes destinées.
C’est seulement en 2001 qu’un accord, signé entre la France et la Russie, permirent à ces archives de revenir à Paris. Parmi elles se trouvait donc le fameux dossier, constitué dès 1901 – et qui le suivra une bonne partie de sa vie. Il semblerait même que Picasso n’en avait jamais fait état à personne, ni famille, ni amis, ni biographes ! Cette histoire, mise à jour donc par Daix et Israël, reprise et travaillée par Mme Cohen-Solal est, il est vrai,
peu connue et que l’intérêt premier de cette exposition, comme le souligne Bernard Stora dans le catalogue « est aussi de toucher un autre public qui est peut-être moins averti de Picasso que le monde de l’art. ». D’autant à notre époque où les phénomènes d’émigration et d’intégration sont sur le devant de la scène. Une exposition donc bienvenue, indispensable et révélatrice des errements d’une administration animée alors par des relents xénophobes, racistes et une paperasserie bêtement administrative.
Un espagnol… donc un anarchiste !
Pourquoi cet ostracisme concernant celui qui est de loin le plus grand peintre du XXème siècle et dont l’importance fut perçue dès les années 10 ? Lui qui ne fut non seulement jamais naturalisé (malgré sa demande), mais surveillé, rejeté, ostracisé et dont on accola à son patronyme les qualificatifs de métèque, d’anarchiste, d’étranger sans oublier les nombreuses railleries visant à dénigrer son art ? Pour bien comprendre l’époque – ce qui n’excuse rien – il faut se replonger dans l’esprit de notre pays au sortir d’une fin de XIXème siècle houleuse avec la mémoire encore vive de la guerre de 70 et du rejet des Allemands, qui engendra, en une xénophobie latente, le rejet de tout étranger. Ajouté à cela les affaires Stavisky et Dreyfus, qui attisèrent l’antisémitisme latent entretenu par de nombreuses publications et une partie de l’Église. Tout étranger donc était déjà suspect. Quand, de plus son comportement, ses idées (réelles ou supposées) ou ses actions prêtaient le flanc à le faire distinguer, il n’en fallait pas plus à la police et l’administration pour le marquer du sceau de l’opprobre. C’est ce qui est arrivé – bien malgré lui – à Picasso.
Émigré, il l’était dès les quatre séjours qu’il fit à Paris entre 1900 et 1906, attiré, comme beaucoup, par l’aura de notre capitale qui régnait alors sur le monde des arts. Des dessins qu’il fit lors de ses premiers voyages pour les relater le montrent, presque en Rastignac, débarquant à Paris avec son compagnon de visite. Dès lors il se rapproche, lui qui ne parle presque pas le français « qu’il peine à se faire comprendre », d’une joyeuse bande de catalans – dans laquelle beaucoup se disaient anarchistes –, bande qui l’entraîne dans leurs virées montmartroises.
Son erreur ? D’avoir été hébergé, lors de son second séjour au printemps 1901, chez un certain Pere Mañach, peintre qui avait un atelier au 130ter boulevard de Clichy. Picasso avait atterri là pour préparer son exposition chez Vollard qui devait s’ouvrir le 6 juin. Il apprend alors que Mañach avait, lui aussi, pour galeriste Vollard. Ce qu’ignorait par contre Picasso c’est que Mañach, soupçonné d’être anarchiste (ce qui, de plus, n’a jamais été prouvé !) était surveillé par la police. Un premier rapport en date du 18 juin 1901, signé d’un certain Rouquier, fait état de la résidence de Picasso chez Mañach, note le nombre de lettres reçues, le nombre de visites « d’individus inconnus », précise le rédacteur, et bien que celui-ci note qu’il n’a jamais vu Picasso aux « réunions anarchistes » ni proféré de propos pouvant être assimilé à des amitiés anarchistes (aux dires du concierge, apparemment mouchard de la préfecture). Le zélé fonctionnaire conclut que malgré tout « il y a lieu de le considérer comme anarchiste ».
Tout le malentendu date de ce rapport et va suivre Picasso une bonne partie de sa vie ! Un autre rapport suivra en 1905 demandant à la police de le rechercher car étant introuvable boulevard de Clichy. Et pour cause puisque depuis mai 1904, il résidait au Bateau-Lavoir, ce qu’il a malheureusement oublié de la déclarer au commissariat.
De plus, dans l’histoire du vol de la Joconde en 1911 et de statues ibériques volées – qu’il recèle à son insu – son nom est prononcé dans cette histoire tortueuse qui remet un coup de projecteur sur lui.
Six ans plus tard, en décembre 1917, un nouveau rapport
Première page du premier rapport de Police concernant Pablo Ruiz Picasso, 18 juin 1901 © Paris, archives de La Préfecture de Police
confirme qu’il est toujours sous une surveillance constante. Il habite alors à Montrouge avec Olga et « ne fait – dit le rapport – l’objet d’aucune remarque particulière dans la localité ». En septembre 1918, il obtient toutefois une carte d’identité (en tant qu’étranger) avec, mentionnés les noms de Vollard et Braque comme porte-garants. Et enfin, une nouvelle enquête en 1932, à la demande du ministère des Affaires étrangères, lui est des plus favorables mais… fait de nouveau référence au rapport de 1901 ! Sûrement une manière pour ce fonctionnaire tatillon de se « couvrir » au cas où…
Surveillé par la Gestapo
Dès 1907, il est reconnu comme un peintre d’importance, renommée qui ne fit que grandir au fil des années, ce qui le rendit peut-être aussi « intouchable ». À noter qu’il obtint, sans difficulté, sa carte d’identité en 1918 et qu’il vit « bourgeoisement » à Paris jusqu’à son départ en juillet 1944 pour la Côte d’Azur où il résidera jusqu’à sa disparition en 1973. Il déroula sa vie au gré des rencontres, « passa » la Première guerre mondiale entouré d’amis rencontrés qui l’emmenèrent à Rome dans les bagages de la troupe de Diaghilev pour travailler sur les décors des Ballets russes.
Il se coule ensuite dans le maelström des avant-gardes tant artistiques que littéraires. Il a depuis 1909 un galeriste attitré – le même que Braque et Derain – Daniel-Henry Kahnweiler et déjà des collectionneurs d’importance français, allemands, russes, américains. Ses amis se nomment Cocteau, Leiris, Aragon, Jacobs, cette nouvelle bande qui ne le protège pas mais l’entoure. L’Espagne, devenue, un court temps, républicaine, le nomme directeur honoraire du Prado, sans pour autant être inquiété pour cette nomination non dénuée de sens politique.
Pendant le second conflit mondial, dans un Paris occupé, il est cloîtré dans son atelier des Grands-Augustins – là où il peignit son mythique Guernica – et ne semble être nullement inquiété… si ce n’est à partir de 1943, une surveillance de la Gestapo contrôle qui fréquente son atelier. On lui renouvelle même sa « carte de séjour » en novembre 1942.
Anonyme. Service des étrangers de la préfecture de Police de Paris. Années 1930. À noter le mur contenant tous les dossiers des étrangers ! © Archives de la Préfecture de Police de Paris.
Mais inquiet sûrement, après ses prises de position « républicaines » et peut-être pour se rassurer, il dépose le 3 avril 1940 une demande de naturalisation soutenue par un sénateur, un haut fonctionnaire et même accompagnée d’un avis favorable d’un commissaire de police qui loue son degré d’assimilation, notant qu’il « a adopté nos usages », et même qu’il est un bon contribuable ayant « payé 700 000 F d’impôts pour l’année 1939 » ! Mais ressort des archives le fameux rapport de 1901 ! Sa demande est rejetée sur les recommandations d’un « rapport haineux du fonctionnaire des Renseignements généraux » daté de mai 1940 rapportant des ragots et des faits insignifiants, signalant aussi « qu’il affichait ouvertement ses idées communistes » et note, ce qui laisse transparaître qu’en catimini, on continue à le surveiller, qu’il « fournissait des subsides au gouvernement républicain espagnol pendant la guerre civile » et concluant « qu’il doit être considéré comme suspect au point de vue national » ! Un
tombereau de xénophobie dicté sûrement à ce fonctionnaire zélé – un certain Émile Chevalier, collabo notoire qui dû répondre de ses actes à la Libération devant le comité d’épuration – qui laisse à voir l’ambiance qui régnait alors dans une police au service de Vichy. Ce rapport et la guerre terminée mettent un point final aux démêlés de Picasso avec l’administration.
Quand d’autres, et ce dès les premières années du siècle, voyaient en son art que dégénérescence, atteinte au bon goût et à la tradition dans la roue de cette exposition jetant l’opprobre sur cet art dit « dégénéré » (Entartete Kunst), cela poussa sûrement les instances de notre pays à ne jamais faire entrer une de ses œuvres dans les collections nationales (alors qu’il était fort prisé dans beaucoup de pays notamment aux États-Unis où sa côte avait même quadruplé dans les années 20 !). Boudé par les instances, l’après-guerre change la donne : il est devenu la star de l’art ! Dès lors les institutions le courtisent et son statut est célébré partout jusqu’au Festival de Cannes qui couronne le film de Clouzot Le Mystère Picasso. Il faudra attendre cet après (seconde) guerre pour qu’une de ses œuvres soit achetée par l’État ! Xénophobie ou simplement un impardonnable manque de perspicacité des instances muséales ? Les deux peut-être.
Un art qui en dérange certains…
La présentation au Musée de l’Immigration met donc l’accent sur le « dossier Picasso » dans une chronologie qui met en regard un nombre impressionnant de documents (rapports, lettres, photos, documents administratifs, papiers d’identité en tous genres) à des œuvres en un parcours qui sont, comme toujours chez Picasso, à déchiffrer à l’aune de sa vie – quotidienne comme amoureuse, plus ici en fonction de son statut juridique – des lieux où il a vécu ou fréquentés (Montmartre, Montrouge, rue La Boétie, Boisgeloup, Royan à l’été 40, puis la Côte d’Azur : Valauris, Cannes, Vauvenargues où il est enterré) et de ses pensées ou prises de position comme Guernica ou ce coq à la croix de Lorraine sur fond tricolore.
Des premiers dessins anecdotiques montrant ses premiers séjours à Paris, sa bande de catalans et sa vie à Montmartre et quelques portraits-charge dont celui de son ami Apollinaire « enfant bâtard et poète apatride » dixit le catalogue, suit la période des saltimbanques mis en écho avec la misère du Bateau-Lavoir, période de vache maigre. Ici, dans un texte signé d’Emily Braun, la série des Arlequins représente pour elle l’éternel vagabond, « une lecture de la figure du saltimbanque comme alter ego de l’artiste en étranger ». Et que penser de ce chat attrapant un oiseau dans sa gueule (Chat saisissant un oiseau daté 1939) ? La métaphore est là des plus évidente ou est-ce simplement une scène de genre anecdotique ?
Même lorsque la reconnaissance commence à frapper à sa porte lors de la période cubiste, élaborée conjointement avec Braque, on trouve toujours des voix dissonantes et l’on nous rappelle ici qu’en 1912, quelques députés les attaquent, les traitant « d’ordures cubistes », de charlatans et que le critique Louis Vauxcelles (à qui l’on doit le terme de « cubisme » qu’il lança par dérision !) n’hésite pas à lancer des attaques
Pablo Picasso, Chat saisissant un oiseau, 22 avril 1939 © Paris, musée national Picasso / Ph.: RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / M. Rabeau / Succession Picasso 2021
xénophobes s’en prenant même à Daniel-Henry Kahnweiler parce qu’Allemand. Quelques voix et non l’ensemble… En revanche, beaucoup d’observateurs, collectionneurs, critiques voient vite en Picasso non l’espagnol, non l’émigré, mais le peintre génial qui bouscule l’art de son temps. « Nous marchons encore sur ce vieil alphabet c’est le seul qui ait tout traduit de l’être humain » écrit Étienne de Beaumont en 1924.
Cela dit et pour conclure, si beaucoup ont voulu voir dans cette histoire – et l’instrumentaliser – une sorte de traque envers « l’étranger » qu’il a toujours été (Libé parlant de « précarité de l’étranger »). Une traque ? Non, mais il est indéniable que jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il était surveillé. Mais il faut voir surtout que Picasso s’installe définitivement en France dès le printemps 1904 et que bien qu’il traîne avec lui ce rapport de 1901 rédigé dans une époque à forte connotation xénophobe, il n’a jamais été, dès lors, inquiété, même si son nom figurait encore dans certains fichiers et si ce rapport de 1940 l’empêcha de devenir français (une demande de naturalisation qui ne renouvellera jamais et qui, du reste, ne lui était plus utile après-guerre), il a mené une vie « normale », déménageant, s’installant, se mariant, devenant père, sortant et voyageant sans que jamais il ne soit inquiété physiquement, arrêté, « gardé à vue » ou menacé d’aucune sorte. Que Paris, comme écrit ici, fut une ville qui « se révéla tentaculaire, dangereuse et même souvent redoutable » est une pure spéculation. Les temps brumeux du début du siècle dissipés, Picasso se montra, toute son existence, heureux d’être parmi nous. Et nous de l’avoir accueilli.
Musée national de l’Immigration
Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil, 75012 Paris
Exposition à voir jusqu’au 13 février 2022
Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 17h30. Le samedi et le dimanche de 10h à 19h.
Dernier accès aux espaces 1h avant la fermeture.
Accès
Métro : ligne 8 station Porte Dorée
Bus : lignes 46, 201 station Porte Dorée
Tramway : ligne T3 station Porte Dorée
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Picasso l’étranger sous la direction d’Annie Cohen-Solal
Éditions Fayard 288 p. 300 ill. 37 €
Pour rappel
Pierre Daix et Armand Israël, Pablo Picasso Dossier de la préfecture de police (1901-1940)
Éditions des Catalogues raisonnés/Acatos 144 p. 100 ill. (épuisé)
Contient la reproduction de très nombreux documents afférents à cette « affaire »