Depuis l’Antiquité, pouvoir et animaux de compagnie, de ferme, dits « sauvages » ou exotiques font bon ménage. Pour des raisons, politiques, sociales, économiques ou scientifiques, les puissants s’en sont souvent entourés. Le Grand Siècle, celui des Lumières, vit dans les ménageries, matière au roi à montrer sa magnificence, aux scientifiques, matière à leurs études et quant aux fabulistes et écrivains, ils y puisèrent motifs à expliquer, étudier ou vilipender les puissants et les nobles en andromorphisant les animaux selon leurs caractères ou caractéristiques. Le château de Versailles et celui de Chantilly nous présentent chacun leur ménagerie aménagée au temps de leur splendeur et regorgeant d’animaux communs, de compagnie et exotiques. Deux belles balades d’automne ! Tandis que le musée Gustave Moreau nous présente la vision que le peintre symboliste avait des Fables de la Fontaine.
Posté le 28 novembre 2021.
Vue in-situ d’une des salles de l’exposition Les Animaux du roi © Château de Versailles / Didier Saulnier
En cette période de débat sur la condition animale, trois expositions mettent à l’honneur – pas toujours dans le sens aujourd’hui accepté – nos amis à deux ou quatre pattes. Au château de Versailles, on nous fait revivre l’impressionnant bestiaire qui peuplait le château et le parc. Autre château et même thématique, à Chantilly on nous convie à découvrir cette ménagerie que l’on disait « digne de celle de Versailles » et enfin, le musée Gustave Moreau nous présente la traduction en images, par le peintre symboliste, de certaines Fables de La Fontaine, lui qui sut si bien andromorphiser nos amis les bêtes pour dire beaucoup des travers humains.
Adam Perelle. « Veüe et perspective de la Menagerie de Versaille du costé de la porte Royale » © Château de Versailles

Attribué à Jean Nocret, Louis XIV, roi de France, vers 1653 © Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Marie Leszczyńska, Une Ferme, (copie d’après Jean-Baptiste Oudry), 1753 © Château de Versailles

Nicasius Bernaerts (1620-1678), Autruche, 1664-1668 © Montbéliard, Musées de la Ville de Montbéliard

Pierre Legros et Benoît Massou, Singe chevauchant un bouc et regardant à senestre (Fontaine 12 Le Combat des animaux), 1673-1674 © Château de Versailles

François Desportes (1661-1743), Chevreuil gardé par les chiens, vers 1702-1703 © Château de Versailles

Les Animaux du Roi au Château de Versailles
On s’imagine toujours le château de Louis XIV peuplé d’une foule de nobles, de courtisans et de serviteurs, ce qu’il était. Mais ce que l’on connaît moins c’est que les nombreuses pièces du château abritaient aussi une foule d’animaux de compagnie comme de divertissement qui se comptaient par dizaines. Au gré des salons, au détour d’une chambre, d’un appartement ou d’une antichambre il n’était pas rare de voir ou de croiser chiens, perroquets, chats, oiseaux et même des singes !
Quant à la ménagerie, aujourd’hui disparue, elle abritait les animaux des plus rares, comme des coatis, sorte de raton-laveur en provenance d’Amérique, des autruches, des paons, des grues couronnées et autres animaux exotiques rapportés de pays lointains. Ces animaux servent avant tout le prestige du roi et inscrivent la cour dans le merveilleux tout en attestant de son intérêt pour la science. Et des mises en scène, rapportée par des mémorialistes, décrivent aussi les comportements, jeux et facéties de ces drôles de pensionnaires.
Le parc et les bois attenants, abritaient, eux, un gibier important qui assouvissait la passion royale pour la chasse et qui dit chasse dit chevaux et chiens. Sans oublier les nombreux poissons qui frétillent dans le Grand canal dont des carpes pour lesquelles, nous apprend-t-on, Louis XV avait une particulière tendresse ! Et naturellement sans oublier la Ferme dans laquelle Marie-Antoinette aimait à se rêver en fermière au milieu d’animaux comme des vaches, moutons, chèvres, poules etc…
Les écuries royales, ces bâtiments qui font face au château sur la place de la « patte d’oie » abritaient, elles, 2 000 chevaux, tandis que 300 chiens de chasse logeaient dans le grand chenil.
Et déjà le discours sur la sensibilité animale
La ménagerie est un projet qui voit le jour assez tôt dans la construction de Versailles. Dès 1662 le roi acquiert une ferme et commande à Le Vau – alors architecte de Versailles avant que Mansart n’en reprenne le contrôle suite à son décès – un pavillon octogonal destiné à présenter, dans une classification
Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Trois chiens et une antilope 1745 © Russborough House, Alfred Beit Foundation
des espèces, les animaux qui y sont présents. Les gouverneurs des provinces, la Compagnie des Indes orientales, les intendants de la Marine, les réseaux diplomatiques et les ambassadeurs sont sollicités pour approvisionner en animaux de toutes sortes, cette ménagerie.
Les animaux se révèlent ainsi dans de nombreuses représentations, autant à but scientifique que comme éléments de décors voire allégories à fin de morale, d’études de caractère mais peuvent aussi avoir une dimension sociale ou économique. L’anthropomorphisme sert à beaucoup – La Fontaine en est l’exemple – à parler sous couvert de certains, l’imaginaire des spectateurs y interprétant à leur bon vouloir les métaphores avancées. Se déroule ainsi souvent une histoire parallèle, une histoire permettant de dire là ce qui n’est pas imaginable d’exprimer autrement.
Mais aussi un autre aspect du rapport de la cour aux animaux réside dans cette diatribe entre « l’animal-machine », autrement dit l’animal dénué de sensibilité, de personnalité voire de raison et l’animal sensible à la personnalité affirmée. La cour, dont certaines personnes éminentes comme Élisabeth-Charlotte d’Orléans, fille de « Monsieur » le frère du roi, l’auteur Charles Perrault ou le premier peintre du roi Charles Le Brun, pensent que l’animal est un individu propre. Une vision théorisée par Charles Leroy, commandant des gardes-chasse des parcs de Versailles et de Marly, qui parcourant le domaine, observe avec attention le comportement des espèces y vivant. Pour lui, l’animal est capable de sentir, de se souvenir, de connaissances et de jugement. Cette théorie largement acceptée à Versailles se retrouve dans les peintures, dessins et sculptures dans lesquels très souvent les animaux sont représentés avec force, caractère et personnalité.
François Desportes (1661-1743), Le Combat d’animaux, 1738 © Reims, musée des Beaux-Arts, inv. 2019.1.16
D’autres en revanche, défendent l’idée de l’animal sans capacité de réfléchir et d’exprimer des sentiments comme le grand naturaliste Buffon, pour qui l’animal est un être purement matériel qui ne pense ni ne réfléchit.
Versailles a contribué à faire naître la nouvelle sensibilité au monde animal qui s’épanouit au début du XIXe siècle avec la création des premières sociétés protectrices des animaux dont la SPA, en France, en 1843.
Éléphants, lions, rhinocéros…
À Versailles les représentations animales sont pléthoriques : tableaux, dessins, sculptures, ornements, vaisselle, tapisserie sans oublier ceux présents dans la statuaire qui orne l’immense parc. Une statuaire qui donne à voir des créatures hybrides comme les sirènes et les tritons ou mythologiques tel le sphinx. Tous les média convoqués dans cette représentation de l’animal alimentent plusieurs buts : scientifique pour donner à voir des animaux soit présents dans la ménagerie soit observés lors de voyages et ce, dans un but naturaliste, symbolique, politique, mais pour aussi donner à voir certains de ces
animaux devenus célèbres comme cet éléphant africain offert à Louis XIV – un éléphant au fort appétit mais qui, paraît-il avait un goût pour le vin à en boire… 12 litres par jour (!) – ou ce rhinocéros femelle appelée Clara qui arriva à Versailles en 1749, devint la coqueluche de la cour et de Paris.
Une cour qui abritait aussi des animaux « féroces » comme des tigres ou des lions qui, eux, étaient parqués à Vincennes jusqu’en 1700 avant de l’être à Versailles dans une « maison des carnivores » ! Des combats entre les fauves et d’autres animaux – comme des éléphants – étaient même organisés !
Naturellement le bestiaire versaillais comptait également bon nombre d’animaux de compagnie dont le cheval et le chien tiennent la corde. Le cheval, animal noble est présent dans les scènes de bataille, les carrousels ou la statuaire représentant le roi ou les princes.
Concernant les chiens, on ne compte plus les scènes de chasse représentant les meutes en action ou les « portraits » des chiens royaux et autres bichons de compagnie se prélassant sur les genoux de leur propriétaire, sur de soyeux coussins quand ils ne sont pas le jouet d’enfants gâtés. On peut enfin citer dans le « bestiaire de compagnie », les chats (dont celui de Louis XV appelé « Le Général »), les singes et autres aras fort appréciés pour la couleur de leur plumage. Tous ici eurent droit au pinceau des meilleurs peintres du roi comme Bernaerts, Boel, Le Brun, Desportes ou encore Oudry, qui ont donné ses lettres de noblesse en portraiturant les animaux à l’égal des personnalités de la Cour.
Le but poursuivi alors, comme le rappelle Laurent Salomé le directeur du musée national des châteaux de Versailles et du Trianon, est de « Comprendre l’ordre du monde et le forger tout à la fois, contempler l’harmonie de la nature et se sentir capable d’y contribuer pour la pousser vers la perfection : tel est le projet des civilisations classiques, un idéal qui fut spécialement visible à Versailles où, autour du monarque absolu, était mis en scène jour après jour le spectacle du monde. »
Château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles
À voir jusqu’au 13 février 2021
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h à 17h30 (fermeture des caisses à 17h50).
Accès
RER C arrive en gare de Versailles Château Rive Gauche, 10 minutes à pied pour se rendre au Château.
Train depuis la gare de Paris Montparnasse, les trains SNCF arrivent en gare de Versailles Chantiers, 18 minutes à pied pour se rendre au Château.
Train depuis la gare de Paris Saint Lazare, les trains SNCF arrivent en gare de Versailles Rive Droite, 17 minutes à pied pour se rendre au Château.
Site de l’exposition : ici
La ménagerie de Chantilly
Autre lieu, autre château, autre ménagerie. Celle du château de Chantilly est antérieure à celle de Versailles puisqu’elle remonte à la fin du XVIème siècle avec, dans un premier temps dans le parc, puis dans une ménagerie des animaux courants puis exotiques. Dans le même esprit que ceux de Versailles, les animaux présents à Chantilly servent avant tout à embellir et valoriser les habitants du lieu : les familles de Montmorency puis des Bourbon-Condé.
Amateurs d’animaux rares, le connétable Anne de Montmorency (1493-1567) et son épouse Madeleine de Savoie (vers 1510-1586) sont les premiers, dès le XVIe siècle, à introduire de nombreux animaux, notamment exotiques, aux abords de leur château. Lettré, passionné par les arts, amateurs de fauves et de singes, Anne de Montmorency rénove et embellit la forteresse médiévale de Chantilly. Il y construit le premier « ménage », la première volière, et une héronnière.
Au XVIIe siècle, les successeurs des Montmorency poursuivent et accentuent l’introduction d’animaux. Leur multiplication crée une pression qui conduit les princes de Chantilly à imaginer un lieu spécifique pour les regrouper, une ménagerie inspirée par le modèle de celle de Versailles. Une ménagerie, alimentée par toutes sortes de marchands, fournisseurs ou éleveurs spécialisés, dans laquelle cohabitent dans une sorte d’arche de Noé, autruches, outardes, tadornes, oiseaux marins, vautours, buffles, castors, porcs-épics, crocodiles, lions, lynx, cygnes, civettes, rennes, biches de Guinée dont la plupart, après leur mort, finissent empaillés dans le cabinet d’histoire naturelle des princes de Condé.
Démantelé à la Révolution !
Dans les jardins, redessinés par André Le Nôtre à la fin du XVIIe siècle, la ménagerie devient un espace de fête, de curiosité et de sociabilité incontournable jusqu’à la Révolution. Une ménagerie qui, comme celle de Versailles, un lieu d’études et d’observations. Construite entre 1687 et 1689, aujourd’hui disparue mais que plans et dessins permettent de reconstituer, elle est ouverte sur le Grand Canal d’un côté, et organisée en secteurs animaliers distincts de l’autre : une ménagerie basse et une ménagerie haute. Des similitudes architecturales avec celle de Versailles sont à noter dans la disposition des volières et des enclos.
Les célèbres fables de Jean de La Fontaine y sont évoquées à travers des inscriptions en lettres dorées ou des sculptures qui ornent, par exemple, la cour du Loup et de la Chèvre ou le
Christophe Huet (1700-1759), Paysage avec ara rouge, singe macaque, grue, ibis rouge, échassier et porc-épic, 1735 © Chantilly, musée Condé / Ph.: RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
bassin du Pot de terre et du Pot de fer. Buffon y étudie, Valmont de Bomare y dispense des leçons d’histoire naturelle au XVIIIe siècle. Les bouleversements de la période révolutionnaire entraînent la lente disparition de la Ménagerie de Chantilly, abandonnée par les Condé comme l’ensemble du domaine dès le mois de juillet 1789. Les quelques animaux qui restent alors sont passés par les armes par des soldats de la Révolution venus de Paris.
En plongeant dans son immense bibliothèque, l’une des plus belles qui soit, les commissaires en ont extrait gravures, ouvrages, documents rares et dessins, augmentés de prêts en provenance de diverses institutions, et qui illustrent l’histoire de la faune du domaine.
Domaine de Chantilly, 7 rue Connétable, Le Château, 60500 Chantilly
À voir jusqu’au 27 février 2022
Ouvert tous les jours de 10h à 17h, sauf le mardi.
Fermeture annuelle du 3 au 21 janvier 2022 inclus
Accès :
Depuis Paris :
Autoroutes A3 et/ou A1 sortie « Chantilly » ou D316 et D317
TER : Paris-Gare du Nord, gare de Chantilly-Gouvieux
RER D Paris-Gare du Nord, station Chantilly-Gouvieux
Site de l’exposition : ici
Au musée Gustave Moreau, les Fables de La Fontaine
Les Fables de la Fontaine, quel beau terrain d’étude pour les peintres et illustrateurs ! Ces fables restent l’un des textes les plus illustrés. Beaucoup s’y essayèrent et certains ont marqués ces fables de leur empreinte de François Chauveau, graveur du Roi, le premier à qui La Fontaine lui-même fit appel en 1668 pour interpréter ses fables à Marc Chagall en passant parmi les plus illustres comme Baptiste Oudry, grand peintre animalier, dont 275 dessins servirent à illustrer la mythique édition dites des Fermiers généraux. Citons encore Grandville, Gustave Doré et plus près de nous, Boutet de Monvel, Benjamin Rabier, Samivel ou Henry Lemarie.
Publico nunc igitur hostibus quodam
Gustave Moreau, Le Rat de ville et le Rat des champs, 1881 © Collection particulièr
Publico nunc igitur hostibus quodam
Sur la demande d’Antony Roux, un collectionneur marseillais, Gustave Moreau s’essaya à l’exercice dans une veine qui lui est propre. Peu connues et jamais montrées depuis 1906, les dessins et aquarelles de Moreau nous donnent des fables un lecture naturellement plus décalée et symboliste que celles que nous connaissons. Elles ont d’intéressant, en plus de nous donner à voir l’art de Gustave Moreau, d’en approcher une relecture qui diffère de celles généralement admises. Soit très réaliste comme aux XVIIème et XVIIIème siècle, ou très naturaliste sous la plume d’un Gustave Doré ou satiriques d’un Grandville, voire enfantine sous le pinceau de Rabier ou Samivel. En cela les illustrations que nous en donne Moreau sont une expression propre fortement nourrie de ses recherches biologiques et naturalistes. Les interprétations de Moreau sont des plus inventives, baignant dans des décors crépusculaires, oniriques, orientalistes voire fantastiques qui sont dans l’air de son temps entre les délires théâtraux d’un Eugène Lami et le romantisme d’un Delacroix. Ces œuvres, au dire du peintre et dessinateur Ary Renan, « donneraient à elles seules la mesure de son génie propre et nous offrent, sous un format restreint, la pure essence de sa doctrine esthétique ».
Cette commande privée fut pour lui un long cheminement qui l’occupa pendant cinq ans, de 1879 à 1884. Il fréquenta pour cela la BNF comme le Muséum national d’Histoire naturelle, qui par ailleurs le voyait assidûment entre 1853 et 1883 comme le montre sa carte d’accès. À l’arrivée, il exécuta plus de 260 dessins et aquarelles desquels ont été choisis les 35 présentés ici. Tout ce travail devait, on s’en doutait, déboucher sur une publication en volume. Malheureusement cette belle initiative ne verra pas le jour. En 1885, Antony Roux commande au graveur Félix Bracquemond les premières transpositions gravées des Fables de La Fontaine d’après les dessins et aquarelles de Gustave Moreau. La diffusion est prévue par la galerie Boussod, Valadon et Cie avec qui le collectionneur prépare une nouvelle exposition des œuvres de Moreau. Les difficultés de la galerie mettront rapidement un point final à cette initiative. Bracquemond ne livrera que sept eaux fortes, dont six seront exposées au Salon de 1887, la dernière, La Cigale et la Fourmi, demeurant inachevée.
À découvrir donc ces œuvres rares et inédites dans ce lieu qui fut sa maison et son atelier. Un lieu qui, à lui seul, justifie une visite tant l’endroit magnifique et étonnant est à l’image de celui qui fut son occupant.
Musée Gustave Moreau, 14, rue de La Rochefoucauld 75009 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h (fermeture des salles 15 minutes avant).
Accès
Métro : Ligne 12 stations Trinité, Saint Georges ou Pigalle. Ligne 2 : station Pigalle
Bus : 21, 26, 40, 43, 68, 74
Site de l’exposition : ici