Ce couple, qui fit ses humanités au Bauhaus resta toute sa vie fidèle à cet esprit, est l’objet d’une exposition à quatre mains au Musée d’Art moderne de Paris. Peinture et architecture pour lui ; tissage et travail sur les matières pour elle, ils ont posé, dans l’histoire de l’art du XXème siècle, une pierre essentielle du développement du modernisme.
Exposition Josef et Anni Albers au Musée d’Art moderne de Paris jusqu’au 9 janvier 2022
Posté le 8 décembre 2021
Vue in-situ de l’exposition. Une série de l’Homage to the square de Josef Albers © 2021 The Josef and Anni AlbersFoundation/Artists Rights Society (ARS), NewYork/ADAGP, Paris, 2021 / Ph.: D.R.
À l’orée de la présentation des œuvres – quelques fois croisées – du couple d’artistes allemands Josef (1888-1976) et Anni (1899-1994) Albers, se pose la réflexion de l’égalité au sein du couple. Si intimement le duo semblait être des plus complices, il en est de même dans leurs activités artistiques et l’on peut avancer que sans l’autre, leur propre art n’aurait peut-être pas été de même pour chacun… Et pourtant, si Josef est très connu, connaissance surtout portée par ses études sur le carré au détriment du reste de son œuvre, il n’en est pas de même d’Anni. Et donc reconnaissons au Musée d’Art moderne de Paris de les avoir réunis ici dans cette première exposition dédiée, non à l’un ou l’autre, mais au couple. Doit-on aussi y voir un signe du temps ?
En quoi les Albers qui, reconnaissons-le sont peu connus du grand public, sont importants ? Laissons les commissaires répondent : « Ils ont non seulement produit une œuvre considérée aujourd’hui comme la base du modernisme, mais ont aussi imprégné toute une nouvelle génération d’artistes de leurs valeurs éducatives. ». Le modernisme, voilà le mot est lancé et qualifie bien cet entre-deux que furent les années entre 1920 et la Seconde Guerre mondiale. Une période qui a remis en cause beaucoup des perceptions d’alors avec le cubisme et le surréalisme en peinture (et l’écrit en ce qui concerne la bande de Breton), la photographie avec les travaux des Krull, Rodtchenko, Cahun et beaucoup d’autres travaillant dans la queue de comète du Bauhaus dont les Albers sont les représentants les plus emblématiques.
Au sein du Bauhaus
Ce couple, qui tels des inséparables, a travaillé ensemble quasiment toute leur vie, il était donc tout naturel de les exposer ensemble, d’autant – il ne faut pas se cacher – sans Josef, Anni n’aurait sûrement pas eu les honneurs d’un grand musée et qu’au compteur, il y a eu plus d’expositions de lui que d‘elle. Et pourtant à regarder leurs deux parcours, alors que lui s’enferrait dans sa représentation de ces trois carrés imbriqués sous la dénomination générique de Homage to the square, elle, au travers de ses tissages, offre une palette plus étendue d’expérimentations même si les deux travaillent dans le même sens, l’ADN du Bauhaus : la géométrie et la couleur.
Lui expérimentant au travers de ses « carrés », l’effet de résonnance des couleurs entre elles, s’essayant à les harmoniser comme à en juxtaposer de manière dissonante. Une recherche que l’on pourrait rapprocher des travaux du
Anni Albers. Red and Blue Layers, 1954 © 2021 The Josef and Anni AlbersFoundation/Artists Rights Society (ARS),New York/ADAGP, Paris 2021
professeur Chevreul et son travail sur la juxtaposition des couleurs et leur perception (De la loi du contraste simultané des couleurs, et de l’assortiment des objets colorés, 1839) qui, au XIXe siècle mena au développement du pointillisme.
Elle, née à Berlin en 1899, est issue d’une famille de la moyenne bourgeoisie – son père est chef d’une entreprise de fabrication de meubles – et reçoit tôt des cours de peinture, fréquente les musées et les galeries. Lui, Josef, fils d’un père artisan peintre et menuisier, commence par être instituteur avant de suivre les cours de l’Académie royale des arts de Berlin de 1913 à 1915, avant de se retrouver de nouveau instituteur de 1916 à 1918 dans le but d’économiser afin de se payer de nouvelles études d’art. Et en 1920, il prend le chemin de Weimar et s’inscrit à une nouvelle école – Das Bauhaus – qui vient de s’ouvrir et dans laquelle on y dispense un enseignement des plus modernistes.
Au Bauhaus, lui prof… elle élève
Après deux ans d’étude dans les classes de Walter Gropius et du contesté Johannes Itten, il est nommé compagnon en 1922, il devient à son tour professeur d’octobre 1923 à avril 1933 et continue son ascension jusqu’à en devenir le directeur officiel en 1928. Il est nommé chef de l’atelier de menuiserie de mai 1928 à avril 1929. Il est de plus peintre dans une abstraction géométrique qui cadre parfaitement avec les enseignements du Bauhaus. C’est là, dans cette école qui va poser les bases du modernisme dans tous les domaines, qu’il
Josef Albers. Central Warm Colors Surrounded by 2 Blues, 1948 © 2021 The Josef and Anni Albers Foundation/ArtistsRights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris 2021
rencontre Anni (née Annelise) Fleischmann, entrée au Bauhaus en 1922 dans la classe du peintre Paul Klee. Elle intègre ensuite, et à contre-cœur l’atelier de tissage, atelier vers lequel sont encouragées à fréquenter les élèves féminines ! « Une activité de mauviette » pensait-elle alors – comme elle le confiera en 1977 à Gene Baro dans un catalogue d’exposition au Brooklyn Museum – elle qui voulait se mesurer à des matériaux plus nobles : bois, fer, verre. Pourtant, elle se prend au jeu et expérimente tant dans la forme que dans les couleurs des tissages et se penche même sur la production industrielle du tissage, un aspect type des recherches effectuées dans ce laboratoire que fut cette école. Des recherches, faites conjointement avec
Josef, dans le but de faire beau et… utile ! La base du design à venir. Ils se marient en 1925 à Berlin.
Face à la montée du nazisme et à la fermeture par les nouvelles autorités du Bauhaus, le couple décide en 1933 de quitter l’Allemagne pour les États-Unis, invité à enseigner en Caroline du Nord dans un collège nouvellement créé. Josef est nommé directeur de la section arts visuels tandis qu’Anni y ouvre un atelier de tissage et y expérimente de nouvelles techniques de tissage. Elle crée aussi des bijoux et des ustensiles du quotidien. Ils sont naturalisés américains en 1939.
Les deux vont dès lors œuvrer de concert, mais chacun dans sa discipline propre. Il n’est pas question de travaux à quatre mains, chacun garde son pré-carré, son individualité et ses œuvres même s’ils ont en commun de toujours appliquer, chacun dans son domaine, les préceptes du Bauhaus.
Josef, lui, continue sur sa lancée, à savoir l’exploration de la peinture abstraite géométrique et optique entamée au Bauhaus et dès la fin des années 40, il se focalise sur les effets qu’ont les couleurs sur la perception optiques de celles-ci lorsqu’elles sont juxtaposées. Pour ce faire, il va utiliser une forme simple : le carré. Il va en en imbriquer trois ou quatre de différentes tailles et de couleurs différentes dans une exploration sérielle qui depuis le signe au mieux. Et il faut y voir non une recherche de l’absence comme chez Malevitch ou une démonstration de l’occupation d’un espace comme chez Mondrian, mais une véritable mise à plat de l’interaction des couleurs et pour ce faire, une figure aussi simple que le carré s’y prête aisément. « C’est alors que l’on constate l’importance des couleurs, l’effet sur la rétine et, par elle, sur l’esprit… C’est que les couleurs mises en présence de telles autres couleurs peuvent devenir des gageures – nous explique Michel Seuphor dans l’ouvrage consacré à Josef Albers (Éd. Dessain et Tolra 1972) – En vérité le carré est dépassé par la couleur et c’est bien la couleur qui s’affirme première ! ».
Et comme Josef Albers le déclarait lui-même : « Le carré est l’assiette et non la soupe ». Cette série, Homage to the square, forte de plus de 2000 œuvres a un peu laissé dans l’ombre les autres aspects de son travail. Dans le corpus de son œuvre, on trouve des mosaïques, de murs de briques, des vitraux, des fresques colorées et autres panneaux muraux toujours dans le même esprit hérité du Bauhaus naturellement.
Musée d’Art moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson (16e).
À voir jusqu’au 9 janvier 2022
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h pour les expositions temporaires seulement.
Fermeture des caisses à 17h15 ou 21h15.
Fermeture exceptionnelle à 17h les 24 et 31 décembre.
Accès :
Métro : ligne 9 – Arrêt Alma-Marceau ou Iéna
Bus : lignes 32 (Iéna), 42 (Alma-Marceau), 72 (Musée d’Art moderne), 80 (Alma-Marceau), 82 (Iéna) et 92 (Alma-Marceau)
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Josef et Anni Albers. L’art et la vie.
Sous la direction de Julia Garimorth
Éditions Paris Musées. 280 p. 42 €