Le Centre Pompidou nous offre la première rétrospective en France du géant Baselitz. L’un des grands noms de l’art contemporain qui a façonné son œuvre en prenant pour sujet les remous du monde et se nourrissant des grands noms du passé en un néo-expressionisme tout en force et puissance. Il a, avec quelques autres, posé les bases du renouveau de l’art allemand d’après-guerre.
Rétrospective Baselitz au Centre Pompidou jusqu’au 7 mars 2022.
Posté le 4 janvier 2022
Vue in-situ de l’exposition au Centre Pompidou © Georg Baselitz 2021 /Centre Pompidou. Ph.: Bertrand Prévost
B.j.M.C. Bonjour Monsieur Courbet. 1965 © Georg Baselitz 2021 / Coll. Thaddaeus Ropac / Ph.: Ulrich Ghezzi

B für Larry (B pour Larry) 1967 © Georg Baselitz 2021 / Coll. Part. / Ph.: J. Etter

Fingermalerei – Adler (Peinture au doigt – Aigle) 1972 © Georg Baselitz 2021 / Pinakothek der Moderne, Munich / Ph. : BPK, Berlin, Dist. RMN-GP

Weg vom Fenster (S’éloigner de la fenêtre) 1982 © Georg Baselitz 2021 / Fondation Beyeler, Riehen / Basel / Ph. : Robert Bayer

Dresdner Frauen – Die Elbe (Femmes de Dresde – L’Elbe) 1990 © Georg Baselitz 2021 / Collection Thaddaeus Ropac / Ph. : J. Littkemann, Berlin

In der Tasse gelesen, das heitere Gelb (Lu dans la tasse, le jaune enjoué) 2010 © Georg Baselitz 2021 / Coll. Part., Hong Kong / Ph. : J. Littkemann

Georg Baselitz est un géant. Dans tous les sens du mot. Physiquement, une belle stature, longtemps il eut le cheveu ras, la barbe et une allure de bûcheron. Aujourd’hui, à 83 ans, la stature est toujours là, le regard aussi. Un géant dans son art aussi. Il est, avec Soulages et Hockney, le dernier monstre sacré vivant de cette génération qui forgèrent l’art de leur temps. Le Centre Pompidou l’accueille aujourd’hui pour sa première (eh oui !) rétrospective en France après que le Musée d’Art moderne de Paris lui ouvrit ses espaces pour exposer son travail sur la sculpture en 2011.
Alors que beaucoup de peintres, au siècle passé, cédèrent à la mode et prennent le courant du pop art ou de l’abstraction, lui reste, tels certains de ses confrères comme Penck ou Lüpertz, fidèle à un art qui en fait d’évidence les dignes enfants des expressionnistes – des néo-expressionnistes – du milieu du XXe siècle, les Beckmann, Kirchner et autre Schmidt-Rottluff. Ne lui a-t-on pas reproché « de faire une peinture épaisse, sauvage » tirant vers la vision d’un Grosz ou d’un Dix ? Tout à son image de force et de puissance, son art est certes fait d’énergie, mais aussi à rapprocher d’évidence des peintres lyriques pour lesquels, souvent, le geste prime, ou accompagne dans son cas, la pensée, les Hartung, Schneider ici ou les De Kooning ou Kline là-bas.
« Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre ; j’avais vu assez de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être « naif », de repartir de zéro. Je n’ai ni la sensibilité ni la culture ni la philosophie des maniéristes italiens, mais je suis maniériste au sens où je déforme les choses. Je suis brutal, naïf et gothique. » confiait-il au critique américain Donald Kuspit in G. Baselitz, Danse gothique. Écrits et entretiens, 1961-2019 (Édition L’Atelier contemporain 2020), ouvrage dans lequel il confesse aisément l’origine autobiographique et le caractère intime de sa peinture ce qui n’est en rien étonnant – même si cette confession est tardive – au vu de son parcours… Et bien qu’il se défende de mettre son art au service d’une quelconque d’une réflexion politique.
De l’Est à l’Ouest, vers la liberté
La vie de Baselitz est une vie ballotée, commencée sous les bombardements alliés de la fin de la Seconde Guerre, suivi dans le purgatoire d’une Allemagne coupée en deux – lui du côté Est – et cantonnée sous le joug communiste. Il sentit tôt qu’il avait besoin de passer à l’Ouest pour pouvoir exercer son art en toute liberté. Né Hans-Georg Kern en janvier 1938 à Deutschbaselitz, un village de Saxe situé en RDA après-guerre, dont il prendra le nom comme pseudonyme en 1961. Son père y est instituteur et la famille vit au-dessus de l’école.
Son appétence pour l’art se développe lorsque ses parents déménagent à Kamenz, le jeune Hans-Georg découvre la peinture et s’essaie, dès 15 ans, au portrait et aux natures
Die große Nacht im Eimer (La Grande Nuit foutue) 1962-1963 © Georg Baselitz 2021 / Museum Ludwig, Cologne / Ph. : J. Littkemann
mortes. À 17 ans, il rate son entrée à l’Académie des beaux-arts de Dresde mais, en revanche, est admis à la Hochschule für bildende und angewandte Kunst (école des arts plastiques et des arts appliqués) située à Berlin-Est… de laquelle il est chassé après deux semestres pour… immaturité socio-politique ! Son professeur, un certain Walter Womacka, chantre du réalisme soviétique, n’appréciant guère le goût prononcé de son élève pour Picasso !
Qu’importe, il tente sa chance ailleurs et intègre en 1957 – à l’Ouest cette fois – la Hochschule der Künste (école des beaux-arts) de Charlottenburg, y rencontre sa future femme et l’art venu d’outre-Atlantique. En voyageant un peu partout en Europe il va découvrir cet art moderne et contemporain occidental dont l’Est est maintenu dans l’ignorance. À Paris, il se prend de passion pour l’art d’Eugène Leroy, ira même à lui trouver une galerie alors que personne n’expose l’œuvre du nordiste et organisera même, à Tourcoing en 2013, une exposition à quatre mains avec ses œuvres.
Première exposition, premier scandale !
Au début des années 60, il est prêt, il commence son œuvre. En 1963, lors de sa première exposition dans une galerie berlinoise, deux de ses œuvres provoquent l’ire des autorités et sont saisies ! Des tableaux très crus qui firent scandale, La Grande Nuit foutue (Die grosse Nacht im Eimer) et L’Homme nu (Der nackte Mann). « C’était une provocation dans la peinture, mais pas dans la société. » affirmant encore aujourd’hui que la provocation reste nécessaire à tout art. Il faut reconnaître que, dans cette Allemagne de l’après-guerre, certains thèmes font vite scandale mais, par contrecoup, sont remarqués et l’inscrivent dans le renouveau de la peinture allemande débarrassée alors (enfin ?) des canons qui avaient présidés à sa destinée les décennies précédentes. Il représente les tabous d’une société qui veut effacer de sa mémoire bon nombre d’images : militaires, sexuelles, corps déchiquetés, masturbation… une peinture du déchirement, du morcellement aussi qui cimentent son art mâtiné souvent d’un certain primitivisme, une peinture naturaliste aussi qui s’affronte à l’humain dans sa détresse, son humanité profonde et dérangeante. Une peinture aussi prégnante en cet après-guerre que durant la République de Weimar.
Die Mädchen von Olmo II (Les Filles d’Olmo II) 1981 © Georg Baselitz 2021 / Musée national d’art moderne, Centre Pompidou / Ph. : Bertrand Prévost / Dist. RMN-GP
Un renouveau de l’art allemand
Son art s’affronte aux courants de son temps dans une vision dictée par les remous qui secouent son pays et son temps à l’image d’un Anselm Kieffer, d’un Penck ou d’un Polke dans un autre registre. N’a-t-il pas décroché en 1977 ses œuvres au prétexte que la Documenta, cette année-là, exposait aussi des œuvres de peintres de l’Est inféodés au régime communiste ?
Dans le milieu des années 60, il tente de renouveler l’art de son pays et de son temps avec une série titrée Un Type nouveau dont l’œuvre de grand format Les grands amis (Die großen Freunde) est emblématique de cette nouvelle vision dans laquelle, sur un champ de ruines, un drapeau rouge rapiécé gisant à leurs pieds, ce couple de survivants blessés incapables de se prendre par la main symbolise la division tragique de l’Allemagne d’après-guerre. Il revient sur le tragique lors de la chute du mur de Berlin en 1989. Un événement qu’il raccroche aux ruines de la ville de Dresde bombardée en 1945 dans une série de sculptures titrée Femmes de Dresde (Dresdner Frauen) et une autre de peintures monumentales Tableau-sur-un-autre (Bildübereins) en réminiscence des femmes qui ont déblayé les
villes pierre par pierre et activement participé à sa reconstruction. Puis intervient, en 1969, cette identité picturale qui le signe au mieux aujourd’hui : ses portraits au motif retourné qui deviennent comme un chaînon manquant entre figuration et abstraction. Il s’en expliquait dans un entretien avec Heinz Peter Schwerfel dans l’ouvrage Danse gothique (opus cité) : « Quand on veut cesser de passer son temps à inventer de nouveaux motifs et continuer malgré tout de peindre des tableaux, le retournement du motif est la solution la plus plausible. Cette hiérarchie dans laquelle le ciel se trouve en haut et la terre en bas n’est de toute façon qu’une convention à laquelle on est certes habitué, mais qu’on n’est pas du tout tenu de croire. ». Son œuvre va se dérouler, jusqu’à nos jours, en étant nourrie de références au passé avec cette relecture du réalisme soviétique de sa jeunesse ou des hommages à ses prédécesseurs – Duchamp, Kahlo, Rousseau, les expressionnistes allemands entre autres – jusqu’à ces grands autoportraits, en 2014, une série appelée Avignon, une référence non dissimulée à l’œuvre tardive de Picasso dont le dernier autoportrait halluciné l’a si profondément marqué.
Reconnu internationalement, il est l’un des artistes majeurs de notre temps, multi récompensé, récipiendaire de nombreux prix (le prix Kaiserring, le prix international Julio González et le Praemium Imperiale du Japon). Chez nous, il est nommé, en 2002, Commandeur des arts et des lettres et est élu en octobre 2019, membre étranger à l’Académie des beaux-arts. Exposé partout dans le monde, invité des biennales, présent dans tous les musées comme dans les collections et les fondations les plus prestigieuses. Oui, un géant !
Baselitz. La rétrospective
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
À voir jusqu’au 7 mars 2022
Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d’exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)
Accès :
Métro : Rambuteau (ligne 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11), Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14)
RER : Châtelet Les Halles (lignes A, B, D)
Bus : 29, 38, 47, 75
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Baselitz. La rétrospective
Sous la direction de Bernard Blistène
Éditions du Centre Pompidou 304 pages. 45 €
Pour aller plus loin
Danse gothique : écrits et entretiens, 1961-2019
Édition établie par Detlev Gretenkort. Préface de Frédérique Goerig-Hergott.
Éditions L’Atelier contemporain 424 pages. 25 €