En commémoration du centenaire de la disparition de l’auteur du monument qu’est À la recherche du temps perdu, le musée Carnavalet nous propose une longue balade dans le Paris du temps de Marcel Proust à la rencontre des lieux dans lesquels il a vécu et qu’hantent ses personnages, mais aussi dans ce Paris au tournant du siècle avec sa faune, des aristocrates aux domestiques. Une magnifique évocation.
Exposition « Marcel Proust, un roman parisien » au Musée Carnavalet jusqu’au 10 avril 2022
Posté le 19 janvier 2022
Jean Béraud, Une soirée, 1878 © Paris, musée d’Orsay / Ph.: D.R.
Anonyme, Marcel Proust et ses amis au tennis du boulevard Bineau (au centre tenant une raquette), 1892 © Bibliothèque nationale de France, Paris

René-Xavier Prinet, Le Balcon, 1905-190 © Caen, musée des Beaux-Arts / Patricia Touzard

Otto Wegener, Portrait de Marcel Proust, 1895 © Jean-Louis Losi / Adagp, Paris 2021

Henri Gervex, Une soirée au Pré-Catelan, 1909 © Collection du musée Carnavalet - Histoire de Paris CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

Camille Pissarro, L’avenue de l’Opéra, 1898 © Reims, Musée des Beaux-Arts / Christian Devleeschauwer

Man Ray, Marcel Proust sur son lit de mort, 20 novembre 1922 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021 / RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / H. Lewandowski

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Les écrivains virent toujours dans la ville source à alimenter leurs romans. Microcosme social, sociétal, lieu d’intrigue dans lequel se côtoient toutes les classes de la société. Lieu de pouvoir aussi et d’intrigues politiques comme de mystères. On peut en citer quelques-uns du temps de Proust qui ont aussi fait de Paris la trame de fond sinon de leur œuvre entier, du moins de leurs romans souvent les plus significatifs.
Leur point commun, s’il fallait en trouver un, serait la chronique sociale comme sociétale. Bel-Ami de Maupassant dans lequel un écrivaillon à force d’intrigues s’élèvera au plus haut, L’Assommoir, L’Œuvre, Germinal ou encore Paris tout simplement, donnera une vision sociale chez Zola. De Stendhal du Rouge et le Noir, tout comme le héros des Illusions perdues de Balzac, des héros qui vont se brûler les ailes dans une société dont ils ne maîtrisent pas tous les codes. Et sans oublier naturellement le monument qu’est Les Misérables d’Hugo qui nous dévoile un Paris de la misère et de la révolte. Mais pour chacun la ville symbolise la cité dans ce qu’elle a de tentaculaire, dantesque, lieu de tous les excès, les permissions et les possibilités. Le Paris de Proust, lui, c’est celui de la bourgeoisie, des mondanités, des milieux artistiques comme financiers. Loin du Paris de Zola et d’Hugo.
Musée Carnavalet oblige, l’exposition se concentre essentiellement sur la ville plus que sur l’œuvre (qui sera le sujet de l’exposition Proust attendue à la BNF en fin d’année) et sert de prétexte à une plongée dans ce Paris du Second Empire jusqu’aux abords du XXème siècle. Ses personnages évoluent dans une société de luxe, d’une aristocratie régnante et d’une bourgeoisie au pinacle, à la tête de grandes fortunes nées souvent de la révolution industrielle.
Une société dans laquelle évolua l’auteur et qu’il sut si bien dépendre avec une précision et une rare sensibilité. Avec comme toile de fond des chassés-croisés amoureux et fruit de ses observations sur la faune des faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré (cf. Le Côté des Guermantes), de son aristocratie (cf. Sodome et Gomorrhe) mêlées de réflexion sur l’art, l’amour, l’homosexualité (il fut l’un des premiers à traiter de ce sujet dans ses romans) et ce, d’une plume autant précise que caustique parfois. Hormis toute la complexité tant narrative, philosophique, qu’esthétique, La Recherche est une sorte d’Amour, gloire et beauté dans le Paris huppé de ses années charnières entre ancien monde et ouverture à la modernité. C’est ce Paris qu’on nous expose ici.
La Recherche… son monument
Marcel Proust (1871-1922) est né dans une famille bourgeoise, d’un père médecin, ce qui nous permet d’avoir très tôt des
Jacques-Emile Blanche, Portrait de Marcel Proust, 1892 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
photos du petit Marcel (dont un portrait à 15 ans par Nadar), la photo en ses prémices n’étant vraiment accessible qu’à des familles aisées. Élève au lycée Condorcet puis à la Sorbonne, il en sort licencié en lettres en 1895. Sa rencontre avec Robert de Montesquiou (qui aurait servi de modèle pour le personnage du baron de Charlus), écrivain, poète et surtout dandy l’introduit, dès 1894, dans les salons de l’aristocratie, dans lesquels il va croiser artistes, aristocrates et artistes. Il puisera matière à son grand œuvre dans ces soirées mondaines.
Mondain, sans emploi et n’en recherchant aucun, il entame sa carrière d’écrivain, à l’âge de 25 ans. Il fait publier tout d’abord un recueil de poèmes – Les plaisirs et les jours – puis rédige un premier roman – Jean Santeuil – qui ne sera pas édité avant… 1952. En 1901, il écrit à un ami : « J’ai aujourd’hui trente ans et je n’ai rien fait ! ». En 1907, il s’y met et entame l’écriture de La Recherche et obtient le Goncourt en 1919 pour l’un des romans de sa saga (À l’ombre des jeunes filles en fleurs) et de roman en roman, il va construire l’un des panthéons littéraires de son temps.
Les personnages de son œuvre sont puisés là, dans ses nombreuses rencontres et ses laudateurs n’auront de cesse de tenter de percer les personnalités qui ont croisés son chemin dans les personnages de ses romans. Tout ce que ce monde a généré d’artistes, écrivains et personnes connues alors alimentèrent son œuvre, dont Robert de Montesquiou en tête, Anna de Noailles, la princesse Polignac, la comédienne Réjane, Colette, Cocteau, Morand, Daudet père et fils, de Heredia mais aussi chauffeurs, valet de chambres, gouvernantes…
Jean Béraud, La sortie du lycée Condorcet, vers 1903 © CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris
Un vivier qui rend des plus crédibles ses œuvres et tous ces personnages évoluant à la campagne dans châteaux et belles demeures mais aussi et surtout dans le Paris des hôtels particuliers, des cafés, restaurants comme Maxim’s et du Bois de Boulogne.
2022, l’année Proust
Cette exposition consacrée à Proust est le deuxième à Carnavalet après « Au temps de Marcel Proust » en 2001 qui consacrait l’entrée dans ses collections de la fameuse chambre qui est ici au centre de l’exposition. Une présentation qui s’ouvre avec une évocation de la vie de l’écrivain et qui se poursuit sur les traces de La Recherche avec une évocation des lieux, de la faune qui y réside ou y joue un rôle social comme frivole. Une vision est ainsi tracée au plus près de la réalité de ce monde hors du temps, que fréquenta le romancier et qui donna du grain à moudre à son œuvre. Concernant les expositions à venir en
cette année de commémoration du centenaire de sa disparition, on attendra aussi au Musée d’Art et d’histoire du Judaïsme « Proust du côté de sa mère » et fin 2022 « Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre » à la Bibliothèque nationale de France.
« Proust était fondamentalement un Parisien »
Raconter le Paris de Proust c’est raconter la vie mondaine et la société de la haute bourgeoisie de la IIIème République aux premières années du XXème siècle. On nous propose ici non une plongée dans l’œuvre de l’écrivain et de l’influence de la ville dans son ses romans, mais plutôt à nous décrire la société de son temps qui, naturellement, irrigue tous ses romans.
Raconter le Paris de Proust c’est se balader de la rue Fontaine à Auteuil où il est né jusqu’au au 44 rue de l’Amiral Hamelin où il s’installe en 1919 et y décède le 18 novembre 1922, en passant par les Champs Élysées de sa jeunesse, c’est faire escale dans le quartier de la chaussée d’Antin pour admirer la façade du lycée Condorcet, les faubourgs huppés des faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré qu’il fréquenta au gré de ses mondanités. Puis, c’est passer du 9 boulevard Malesherbes au 45 rue de Courcelles et au 102 du boulevard Haussmann ses différentes adresses parisiennes. Lui qui écrivit « J’avais toujours à portée de ma main un plan de Paris » aura surtout toujours comme boussole sa propre vie dans ce Paris mondain. « Proust était fondamentalement un Parisien », assure Jean-Yves Tadié, écrivain et vice-président de la Société des amis de Marcel Proust.
Sur cette base, l’expo nous balade dans ses romans comme dans la ville et nous présente une partie de la population du temps, des aristocrates aux domestiques en passant par les bourgeois, les agents de change, les artistes, et jusqu’au « fond du Paris populeux et nocturne ». « Il connaissait aussi les milieux populaires, à travers les domestiques qu’il employait », assure Jean-Yves Tadié… Zola et Vallès se retournent dans leur tombe !
Une évocation des plus réussies
Cette évocation l’est au travers d’une multitude (280 pièces !) de tableaux, photos, gravures, extraits de films et de documentaires et autres documents en tous genres. À noter de rares manuscrits, ce n’est pas ici le propos, et la BNF se les garde sûrement pour sa propre exposition à venir. On nous
La chambre de Proust reconstituée dans l’exposition © Musée Carnavalet / Ph.: Pierre Antoine
présente toutefois les placards de correction de À L’ombre des jeunes filles en fleurs, pièce maîtresse pour nous donner à voir son obsession du style tel un Flaubert.
Et enfin, l’exposition nous présente également sa chambre reconstituée, dont les éléments meublants sont ici réaménagés. Le tout mis en scène dans une scénographie sourde et feutrée qui rend parfaitement le propos de la présentation et donne furieusement l’envie – pour ceux qui n’ont pas encore sauter le pas – de s’atteler à la lecture de ce monument de la littérature, autant romanesque que sociétal, que sont les volumes de sa Recherche du temps perdu.
Musée Carnavalet. 23, rue de Sévigné Paris (3e)
À voir jusqu’au 10 avril 2022
Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 18h. Fermeture des caisses à 17h15.
Accès :
Métro : Ligne 1 stations : Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Bus : Ligne 29 station : Tournelles-Saint Gilles ou Payenne
Ligne 75 stations : Archives-Haudriettes
Ligne 96 station : Saint-Claude
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Proust, un roman parisien
Sous la direction d’Anne-Laure Sol
Édition Paris Musées
256 pages. 250 ill. 39,90
À lire aussi
Proust et la société de Jean-Yves Tadié (Gallimard coll. Blanche 18 €).
À la recherche du Paris de Marcel Proust (Parigramme 14,90 €)
Paris du temps perdu une évocation du Paris de l’époque eu travers des photos d’Eugène Atget (Hoëbeke 19,90 €).