Avec ses Hommes qui marchent et ses portraits de Diego et d’Annette, ces œuvres les plus connues ont gommé la période surréaliste d’Alberto Giacometti, l’un des artistes parmi les plus importants du XXème siècle. C’est sur cette période surréaliste, moins connue de l’œuvre du grand sculpteur, que se penche la Fondation Giacometti, qui nous dévoile aussi les rapports qu’il entretenait avec le pape du mouvement : André Breton.
Exposition Alberto Giacometti – André Breton, amitiés surréalistes, à l’Institut Giacometti, jusqu’au 10 avril 2022.
Posté le 4 février 2022
Vue in-situ de l’exposition. Au premier plan : Alberto Giacometti Boule suspendue, 1931. Sur le mur du fond des œuvres de Pablo Picasso, Joan Miro, Meret Oppenheim, André Masson, Salvatore Dali, Hans Arp, Leonora Carrington, Max Ernst et Yves Tanguy, ses amitiés surréalistes © Œuvre de Giacometti : Centre Pompidou, MNAM-CCI / Adagp, Paris 2022 / Ph.: D.R.
Le titre, qui renferme le qualificatif « amitiés » sous entendrait que ces deux figures importantes du mouvement des arts et des idées, dans la première moitié du siècle passé, Alberto Giacometti (1901-1966) et André Breton (1896-1966), s’entendaient comme larron en foire. Il s’agit surtout d’une amitié toute intellectuelle, brassant des idées qui façonnèrent ce mouvement – le surréalisme – auxquels quelques esprits éclairés d’alors, peintres, littérateurs et poètes, adhérèrent (puis furent souvent virés) par le pape du mouvement André Breton. En ce qui concerne les rapports Breton/Giacometti il s’agissait surtout d’une valse-hésitation, dans l’esprit « je t’aime… moi non plus ».
La renommée de ses Hommes qui marchent ou ses portraits de Diego et d’Annette entre autres ont peu à peu gommé sa période surréaliste – de 1930 à 1935 – et sa proximité intellectuelle et sa relation au chef de file du mouvement André Breton. C’est André Masson, rencontré en 1929, qui introduit Giacometti dans le cercle surréaliste. Et en 1932, il est invité à exposer ses œuvres à la galerie Pierre Colle, galerie emblématique du mouvement. Il est alors considéré comme le sculpteur du groupe, et son œuvre est, effectivement, de la plus belle eau surréaliste.
Pablo Picasso. Femme à la montre, 1936 © Musée national Picasso – Paris / Photo RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau / Succession Picasso 2022
Victor Brauner. Portrait d’André Breton,1934 © Musée d’Art Moderne, Paris / Adagp, Paris 2022
Salvador Dalí. Guillaume Tell, 1930 © Centre Pompidou / Ph.: MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / J.-C. Planchet / Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí / Adagp, Paris 2022
L’adhésion de Giacometti au mouvement est le fait de Breton et à son bon vouloir. Un magnifique autant qu’étrange portrait de ce dernier par Brauner ouvre l’accrochage comme pour en rappeler sa position de « commandeur ». On connaît de Breton le caractère un brin orageux, voir tatillon lorsque les écrits ou les paroles n’abondaient pas complètement dans son sens, en une sorte de main mise, voire d’autocratie sur ce mouvement. Un mouvement sur lequel il régnait adoubant certains ou chassant d’autres.
Et naturellement, entre ces deux caractères s’il y eu une véritable amitié, que relate certains de leurs échanges épistolaires, il y a eu aussi des divergences et des chamailleries comme le montre, par exemple, cette lettre écrite par Giacometti suite à sa lecture de Misère de la poésie de Breton « j’ai lu ta brochure et je regrette de devoir te dire que je ne l’approuve sur aucun point. Je ne vois pas son but, je ne trouve pas qu’elle soit dialectique ni dirigée par une idée révolutionnaire. » et quelques allers et retours sur ce texte controversé finira par une réconciliation… avant un nouvel orage.
Quoi qu’il en soit, il fait partie du groupe et est reconnu par ses pairs au vu de ses audaces stylistiques tout à fait dans l’air de ce temps. Il conservera, même après cette période, de forts liens avec de nombreux artistes du groupe comme Louis Aragon, Hans Arp, Victor Brauner, Claude Cahun, René Crevel, Salvador Dalí, Paul Éluard, Max Ernst, Georges Hugnet, Jacqueline Lamba (épouse de Breton dont Giacometti est son témoin de mariage), André Masson, Joan Miró ou Pablo Picasso entre autres. La plupart de ceux-ci sont présents ici au travers de quelques-unes de leurs œuvres.
Il faut dire qu’à cette époque l’œuvre du suisse allait bien dans le sens des théories prônées par Breton : ambiguïté, onirisme, irrationnel, fantastique et symbolique et pour certaines frappées d’une belle charge érotique. Tous ces critères qui se prêtaient facilement à toutes les interprétations. Tout ce qui fallait pour titiller André Breton qui, il est vrai, interprétait tout en le pliant à son discours pour ramener au sein de son mouvement des artistes dont les préoccupations pouvaient asseoir ses idées.
Et que confirme bien cette maxime surréaliste « le surréalisme est à la portée de tous les inconscients » et même s’il faut interpréter cette sentence d’un point de vue psychanalytique, elle est aussi à mettre au service de ces artistes qui, bien souvent, ne portait pas aussi loin que Breton leur réflexion. Ce qui donna souvent du reste des échanges houleux aussi entre Breton et les « membres » du mouvement. Des polémiques alimentées aussi par des dissensions politiques, encore plus peut-être chez Giacometti, qui ne cacha jamais ses amitiés communistes et adhèrera même, à la fin des années 30, à une association proche du PC.
Un surréaliste d’importance
Les œuvres de Giacometti exposées ici donnent bien à voir ce que le surréalisme de Giacometti a d’évidence plu à Breton. À prendre pour exemple cette Boule suspendue qui trône dès la première salle. Une œuvre qui fut inclue parmi les « objets à fonctionnement symbolique » lors d’une exposition de groupe dans les années 30, représente une boule suspendue au bout d’une ficelle et qui, animée d’un mouvement caresse l’arête d’une figure en croissant, le tout dans une cage ! Une symbolique évidente et éminemment sexuelle « suggérant la pulsion scopique ou une forme d’érotisme impossible ». Œuvre dont on retrouve une version perdue dans le fatras du bureau de Breton (reconstitué à Beaubourg) et qu’il conservera toute sa vie.
Alberto Giacometti. L’Objet invisible, 1934 © Fondation Giacometti / Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022
D’autres objets, animés ou non, procèdent de la même intention fantastique ou onirique comme cette grande statue d’une femme L’Objet invisible, « représente une femme semi-assise sur une sorte de trône, tenant entre ses mains un objet invisible. Son visage est travaillé comme un polyèdre aux yeux hypnotiques. Giacometti lui donne aussi le titre de « Mains tenant le vide », jeu de mots avec « Maintenant le vide » et elle sera reproduite dans L’Amour fou d’André Breton en 1937. » Une œuvre emblématique de la production surréaliste du suisse mais qui surtout annonce le retour de Giacometti au réalisme. Suivent dans l’exposition de nombreux allers et retours entre les deux hommes : illustrations pour des livres écrits de Breton, courriers, dessins et esquisses d’œuvres, carnets, photos etc. qui illustrent parfaitement leur amitié comme leurs différences.
En 1935, la messe est dite, Giacometti s’éloigne du mouvement. Il refusera même de figurer, après-guerre, dans cette l’exposition que Breton monte dans la galerie Maeght : Le Surréalisme en 1947. Dès lors, il recentre sa création sur la représentation de la réalité tant en peinture (de nombreux portraits) que sur la sculpture avec ces bustes et ces figures filiformes qui sont aujourd’hui ce qui le signent au mieux et font de lui l’un des artistes les plus prisés… et les chers aussi.
Fondation Giacometti, 5, Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
À voir jusqu’au 10 avril 2022
Du mardi au dimanche : 10h – 18h Fermé le lundi
Accès :
Métro ligne 4 et 6 : Raspail ou Denfert-Rochereau
RER B : Denfert-Rochereau
Bus ligne : 38, 59, 64, 68 ou 88
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Catalogue co-édité par la Fondation Giacometti, Paris et FAGE édition
192 pages. 28 €