Reconnu, adulé, maître incontesté du portrait et chroniqueur de son temps, Louis-Léopold Boilly est retombé dans l’oubli face aux avancées des avant-gardes du milieu du XIXème siècle. Ce peintre injustement méconnu du public est pourtant à reconsidérer comme l’un des artistes les plus intéressants de son époque. Le musée Cognacq-Jay nous présente ses chroniques parisiennes, des œuvres qui mettent en scène le peuple et la bourgeoisie dans des scènes de genre et des portraits qui associent à son regard précis, satire et humour en une observation minutieuse comme malicieuse de la vie parisienne.
Exposition Boilly, chroniques parisiennes au Musée Cognacq-Jay, jusqu’au 26 juin 2022.
Posté le 21 février 2022.
L’Entrée du théâtre de l’Ambigu-Comique à une représentation gratis, 1819 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Philippe Fuzeau
Autoportrait en sans-culotte, vers 1793 © Collection particulière / Guillaume Benoît

Distribution de vin et de comestibles aux Champs-Élysées, à l’occasion de la fête du roi, 1822 © Paris, musée Carnavalet – Histoire de ParisI

Distribution de vin et de comestibles aux Champs-Élysées, à l’occasion de la fête du roi, 1822 (détail) © Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris

La Marche incroyable, vers 1797 © Collection particulière

Le Doux Réveil, vers 1789-1793 © Paris, musée Cognacq-Jay

Scène du carnaval, 1832 © Ramsbury, The Rams

Cliquez sur les vignettes pour les agrandir
Une œuvre présentée dans l’exposition résume parfaitement, à elle seule, tout l’art de Louis-Léopold Boilly (1761-1845) : L’Entrée du théâtre de l’Ambigu-Comique à une représentation gratis datée 1819. On y voit une savoureuse tranche de vie sociale – et intemporelle dans laquelle une foule s’écharpe pour pénétrer dans le théâtre. Si l’on se rapproche de l’œuvre, on voit que cette foule est bien une somme d’individus entassés et que le peintre, dans une démarche autant sociale que malicieuse, a pris chaque personnage à part pour les portraiturer avec une implication qui donne transparaître leur caractère propre ! On sent sous son pinceau une délectation à figer cette scène avec une précision des plus satiriques. Et l’on peut renouveler l’exercice devant ce tout aussi savoureux Distribution de vin et de comestibles aux Champs Élysées, à l’occasion de la fête du roi (1822) dans lequel, pinard aidant, l’affrontement est plus musclé ! Bienvenue dans l’art de Boilly, sûrement le plus doué des portraitistes de son temps, un temps qui va de la Révolution à la Restauration. Il y a de la malice dans son pinceau !
Jean qui rit, vers 1808-1810 © Collection particulière / Guillaume Benoît
Jean qui pleure (portrait du père de l’artiste), vers 1808-1810 © Collection particulière
Louis-Léopold Boilly, chroniqueur efficace de la société parisienne de son temps, ne s’intéresse pas aux grands hommes ni à leurs hauts faits ou aux grands événements, une source qui alimente la peinture d’histoire. Non, lui descend au niveau de la rue, se mêle au peuple – même s’il n’est pas toujours tendre – et en décrit parfaitement ses traits avec humanité, sans être, pour autant, dupe de sa grandeur comme de ses petitesses. Et pour cela il traîne partout, de fêtes en cafés et théâtres, flâne sur les Grands boulevards, entre dans la cour de prisons. Il pêche partout ses trognes de pauvres, de riches, de snobs (les fameux Inc’oyables) comme celle d’ouvriers, de bourgeois et d’hommes du peuple.
Et même jusqu’aux gloires de son temps qu’il nous présente en un tableau générique dans lequel il imagine une réunion de peintres, comédiens ou hommes de lettres dans sa Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey (1798) qu’il présente au Salon et qui remporte un vif succès. Une nouvelle manière qui fera école en une rupture dans la représentation d’un atelier et que l’on retrouvera plus tard, et à plusieurs reprises, sous le pinceau de Fantin-Latour (Hommage à Delacroix 1864, Un atelier en Batignolles. 1870 et Coin de Table 1872) et jusqu’à Maurice Denis et son Hommage à Cézanne (1900).
Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey, vers 1798 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean
Des portraits à la chaîne !
Né le 5 juillet 1761 à La Bassée, petit village situé à une vingtaine de kilomètres de Lille, il est le fils d’une famille modeste et rien ne le prédispose à devenir artiste. Il fait ses humanités auprès d’un peintre local à Arras avant de prendre le chemin de la capitale et de se faire portraitiste pour gagner sa vie. Ses premières œuvres nous offrent des portraits d’un certain classicisme mâtiné de son admiration pour la précision des maîtres de l‘âge d’or hollandais. Il retiendra la leçon de leur précision. Il traversera tous les remous de son temps d’une révolution à une autre, épousant les idées de son époque, exposant dans différents salons, reconnu et collectionné de son temps et doté d’une belle et nombreuse clientèle… Mais une réputation qui n’est pas vraiment arrivée jusqu’à nous, son art étant peu à peu tombé en désuétude, et son nom presque oublié, à l’image de sa misérable sépulture au cimetière du Père-Lachaise à Paris dont on peine à lire son patronyme sur la pierre ! Il n’était plus « à la mode », poussé hors champ avec l’arrivée des avant-gardes au milieu du XIXème siècle comme l’Impressionnisme.
Et, pourtant, il a tant peint ! On pense que son corpus serait fort de plus de 4500 œuvres dont seul un dixième nous est parvenu et recensé ! Après une première exposition à Lille en 2011, qui avait levé un coin du voile sur son travail, le voici exposé ici, au musée Cognacq-Jay, un lieu dont l’intimité et le décor se prête parfaitement à nous le présenter. Un accrochage qui permet de bien prendre le pouls de son œuvre, magistrale dans sa manière, mais qui surtout donne à voir son époque dans ce qu’elle a de quotidien et d’humaine.
Le maître du portrait de son temps
L’un des grands thèmes de son œuvre reste indubitablement le portrait. Il sait être caricatural avec son étonnante série des Grimaces, des lithographies qui s’exportèrent au-delà de nos frontières ou ces Trente-trois têtes d’expression (1820-1825), mais aussi simplement fidèle à ses modèles. Avec virtuosité, il n’a pas son pareil pour se payer la binette de ses contemporains. Choper parfaitement les ressemblances. Pour preuve, on nous présente ici un mur fait d’une quarantaine de ses « petits portraits », presque des miniatures, d’une exécution parfaite, qu’il proposait à une clientèle parisienne, en faisant la réclame dans le livret du Salon. Il se targuait, avec raison, d’une ressemblante parfaite en simplement deux heures de pose – ce qui prouve sa dextérité ! – et le résultat était vendu, encadré, pour un prix attractif. Le résultat fut à la hauteur de ses espérances, il en débita quelques centaines et ces « petits portraits » firent beaucoup pour sa réputation, et son aisance, pendant 35 ans !
Deux jeunes amies qui s’embrassent, vers 1789-1793 © The Ramsbury Manor Foundation
L’Indiscret, vers 1789-1793 © Paris, musée Cognacq-Jay
Boilly a exploré toutes les facettes de son art. L’observation et la satire de son temps avec des scènes et des caricatures des plus réalistes, mais aussi, dans ce siècle du libertinage feutré et caché (le musée Cognacq-Jay nous a présenté il y a quelques mois une magnifique exposition sur le genre). En 1788, Boilly se verra commander, par un certain Joseph Calvet de Lapalun, avocat avignonnais et amateur de « belles choses », une série de cinq tableaux aux sujets galants. Le pli pris, il continuera dans le genre avec des petites œuvres précieuses qui présentent, sans ambiguïté, des scènes de saphisme ou triolisme dans la grande tradition de la peinture dite de cabinet (Deux jeunes amies qui s’embrassent et L’Indiscret vers 1789-1793 ou cette Toilette intime non présentée ici), des œuvres non à déchiffrer à l’aide d’indices symboliques comme chez le Fragonard du Verrou, mais traite frontalement ces sujets à l’image des scènes galantes d’un certain répertoire théâtral.
Taxé d’atteinte aux bonnes mœurs
La Révolution et son cortège d’anathèmes verront d’un mauvais œil ses incursions dans les boudoirs. En 1794, lors de la Terreur, dénoncé à la Société républicaine des Arts par un certain Jean-Baptiste Wicar, peintre un tantinet puritain, il est poursuivi pour obscénité car « auteur d’œuvres à sujets galants, qui attentent aux mœurs » ! Pour se défaire de cette accusation, il propose aux membres de la société de venir dans son atelier et il s’en sortira en leur présentant des toiles à caractère patriotique dont un Triomphe de Marat ou son emblématique Chanteur Chenard en sans-culotte qu’il avait présenté lors d’un concours organisé par les instances révolutionnaires !
Novateur, et capable de tout avec un pinceau aussi précis, on lui doit aussi les premiers trompe-l’œil – il est l’auteur en 1800 du terme qui sera avalisé par l’Académie française – avec cette œuvre au titre surréaliste : Le Chat gourmand crevant une toile pour manger des harengs (vers 1800-1805) un exercice d’une grande virtuosité comme le réclame le genre. Cette œuvre remporte un tel succès qu’il fera aussi de ce genre l’une de ses spécialités. Très connu de son temps, il séduit non seulement les bourgeois qui se pressent dans son atelier mais aussi les princes et les nobles, et compte parmi ses « clients » le duc de Berry, fils de Charles X ou le duc d’Orléans, le futur Louis-Philippe et quelques gloires étrangères.
Toutes ces attentions et son succès le voit être décoré de la Légion d’Honneur et nommé à l’institut de France. Comblé d’honneurs, il s’éteindra à 83 ans, le 4 janvier 1845, laissant trois fils… tous peintres.
Musée Cognacq-Jay, 8, rue Elzévir (Paris 3e)
À voir jusqu’au 22 septembre
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Accès
Métro : ligne 8 (Chemin Vert), ligne 1 (Saint-Paul)
Bus lignes 29, 96, 91, 69, et 76
Site de l’exposition : ici
Catalogue :
Boilly. Chroniques parisiennes sous la direction d’Annick Lemoine et Sixtine de Saint-Léger
Édition ParisMusées / Musée Cognacq-Jay. 160 pages. 29,90 €
Autre publication
Boilly, le peintre de la société parisienne de Louis XVI à Louis-Philippe
Les Éditions Arthena consacre à Boilly une forte étude sous la direction d’Étienne Bréton et Pascal Zuber
Relié, deux volumes sous coffret. 1008 pages. 2781 illustrations. 250 €