C’est une figure majeure de la photographie mexicaine que nous présente la Fondation Cartier. Assistante de Manuel Àlvarez Bravo, elle a ensuite développé une œuvre autour des peuples de son pays dans un but autant humaniste que documentaire portant au monde un autre regard sur le Mexique. Reconnue, exposée et récompensée dans le monde entier, elle trouve ici sa première grande rétrospective en France.
Exposition « Graciela Iturbide. Heliotropo 37 » à la Fondation Cartier, jusqu’au 29 mai 2022
Posté le 21 février 2022
Autorretrato, Desierto de Sonora, México, 1979 © Graciela Iturbide
Mujer zapoteca, Tonalá, Oaxaca, 1974 © Graciela Iturbide
Torito, Coyoacán, México © Graciela Iturbide 1983

Velo negro para el viento, Juchitán, Oaxaca, 1988 © Graciela Iturbide

Pájaros en el poste de luz © Graciela Iturbide Carretera a Guanajuato, México, 1990

Benarés, India, 2000 © Graciela Iturbide

Desierto de Sonora, México, 1979 © Graciela Iturbide

Cholas, White Fence, East L.A, 1986 © Graciela Iturbide

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Avec Manuel Àlvarez Bravo, Juan Rulfo, Juan Guzmàn ou Flor Garduño et de nombreux autres, Graciela Iturbide (née en 1942 à Mexico) est le fer de lance de la photographie mexicaine contemporaine, une photographie largement méconnue en Europe et pourtant très active. Avec cette exposition, la Fondation Cartier lui consacre sa première grande rétrospective en France – elle avait déjà exposé une vingtaine de clichés à Beaubourg en 1982 – couvrant son travail des années 70 à nos jours. Avec, de plus, une série inédite et en couleurs – spécialement faite pour cette exposition – pour laquelle elle s’est rendue à Tecali, un village près de Puebla où l’on extrait et taille l’albâtre. On l’a compris, son œuvre se développe au plus près du terrain entre une approche documentaire, teintée d’une certaine poésie et d’un bel humanisme. « J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde ».
C’est en suivant les cours de Manuel Àlvarez Bravo, puis en devenant son assistante qu’elle pousse les murs, sort du Mexico de ses débuts en photo pour aller au-devant du monde très marginalisé et tragique des indigènes dont la situation la fascine autant qu’elle l’émeuve.
Le décès, à 6 ans, de sa fille Claudia est un déclic. Elle quitte son mari avec lequel elle s’était mariée à 20 ans et part à la rencontre des enfants, les « angelitos », c’est ainsi que l’on nomme ces enfants mexicains décédés prématurément qui vont, selon la croyance populaire, « droit au ciel », car ils sont morts avant de pécher. Elle découvre alors un autre monde, celui des communautés, souvent méconnues, qui peuplent son pays.
Dès lors, elle va documenter son pays dans ce qu’il a de plus vernaculaire. Nombreux voyages dans des villages mexicains reculés : Ocumichu, Espinazo, San Agustín Etla, Cuetzalan, etc. partage la vie du peuple Seri du désert de Sonora, au nord du Mexique, à la frontière avec l’Arizona. Plongeant au plus près de leur vie « Avec les Indiens Seris du désert de Sonora, la plupart de mes travaux étaient des portraits car leur vie quotidienne est très réduite. Les hommes vont à la pêche, ils font des sculptures ; les femmes ramassent des coquillages et confectionnent des colliers, leur vie est très austère. »
Desierto de Sonora, México, 1979 © Graciela Iturbide
Carnaval, Tlaxcala, México, 1974 © Graciela Iturbide
En 1996, elle est invitée par l’artiste Francisco Toledo à photographier les habitants de Juchitán, dans la région de Oaxaca, dont il est originaire. Il la sollicite car il souhaite réaliser une exposition sur cette communauté zapotèque. Elle s’y rend fréquemment pendant dix ans et, à son habitude, pour mieux s’imprégner de leur vie, leur quotidien, leur culture, et de partager leur vie au plus près. Se fondre dans le paysage.
« La photographie n’est pas la vérité »
Elle dit d’avoir appris de Manuel Àlvarez Bravo de ne pas bouleverser un moment pour une bonne photo : « Dans de nombreux endroits, je voyais qu’il y avait une photographie intéressante à faire mais je ne la prenais pas car je préférais continuer à parler avec ces femmes. Cela dépendait de ce qui était le plus important à ce moment-là. J’ai peut-être manqué quelques bonnes photos, mais c’était tellement essentiel d’être vraiment avec la femme qui était à côté de moi… Je ne me souviens pas des images que j’ai pu sacrifier, mais je me souviens parfaitement des situations que j’ai laissées passer »
Et à ceux qui voudrait, comme souvent, avancer que la photo c’est simplement la réalité, son analyse rejoint avec lucidité celle d’autres de ses pairs. « La photographie n’est pas la vérité. Le photographe interprète la réalité, il construit sa propre réalité en fonction de ses connaissances et de ses émotions. C’est parfois compliqué car c’est un phénomène légèrement schizophrène. Sans l’appareil, vous voyez le monde d’une façon, et avec, d’une autre ; à travers cette petite fenêtre, vous composez, vous rêvez la réalité ».
Elle touche là à l’essence de son art, de la photo, que l’on sait militante appuyant un discours, voire se prêtant à l’interprétation qu’en donne à voir le photographe. Et son œuvre, son travail, est à la croisée de plupart chemins. Elle sait être humaniste quand elle approche la communauté des femmes zapotèques ou celles de Juchitán et en Inde les eunuques travestis, des lutteurs et des prostituées. Voire documentariste pour nous présenter les paysages de la Louisiane et du Texas par exemple, ou artiste et graphiste quand certaines de ses images privilégient les formes, jouent de la lumière. Son œuvre est aussi pleine de spiritualité, de cette spiritualité qui irrigue les peuples mexicain et caribéen.
Une reconnaissance internationale
Reconnue non seulement dans son pays au travers de nombreuses publications et expositions, elle l’est aussi pour son implication associative dans la défense du patrimoine naturel comme environnemental et ses travaux sur la mosaïque des peuples de son pays. Beaucoup de prix et de reconnaissances ont salué son travail. Elle est lauréate en 1982 du prestigieux prix W. Eugene Smith, remporte l’année suivante le Grand Prix du Mois de la Photo à Paris. La même année, elle reçoit la bourse Guggenheim pour ses photographies de processions funéraires et de rituels liés à la mort à Chalma, une petite ville au sud de Mexico. En 1991 on lui octroie le Prix des Rencontres internationales de la photographie à Arles. Le San Francisco Museum of Modern Art lui organise sa première exposition aux États-Unis : External Encounters, Internal Imaginings : Photographs by Graciela Iturbide. Et en 1998 Son travail est présenté dans une grande rétrospective intitulée Images of the Spirit au Philadelphia Museum of Art, en Pennsylvanie. Et la liste ne s’arrête pas là ! On le voit, Graciela Iturbide est une figure importante de la photographie contemporaine à laquelle la Fondation Cartier prête ses cimaises. Une occasion rare à ne pas manquer.
Fondation Cartier. 261 Bd Raspail (14e)
Graciela Iturbide. Heliotropo 37
À voir jusqu’au 29 mai 2022
Du mardi au dimanche de 11h00 à 20h.
Nocturne le mardi jusqu’à 22h. Fermé le lundi.
Accès :
Métro : Lignes 4 ou 6 Station Raspail ou Denfert-Rochereau
Bus : Lignes 38, 68, 88 ou 91
RER Station Denfert-Rochereau
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris
Versions française et anglaise
304 pages. 250 ph. 45 €