Prendre l’air avec Giacometti ! C’est la promesse estivale de la Fondation Giacometti qui nous propose une balade avec le sculpteur dans les montagnes des Grisons de son enfance. On y découvre un artiste que l’on a trop vu comme seulement urbain et qui, tout au long de sa vie, garda toujours un œil sur les décors alpestres de son enfance. Illustrent le propos croquis, dessins et naturellement ses figures hiératiques droites et vivantes comme les arbres qui les ont inspirés.
Exposition « Alberto Giacometti. Un arbre comme une femme, une pierre comme une tête » à l’Institut Giacometti, jusqu’au 19 septembre 2022
Posté le 27 juillet 2022
Vue de l’exposition. Au premier plan : Grande femme II, 1960. À ses côtés : Grande tête, 1960. En arrière-plan : Grande tête, 1958. Sur le mur à droite : Paysage à Stampa, vers 1961. Mur du fond : Alberto Giacometti, dans la forêt de Stampa, 1961 © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022 / Ph. : Suki Yanaihara / Permission granted through Misuzu Shobo, Ltd. Tokyo.
Pouvait-on imaginer que dans son petit atelier d’à peine 24m2 rue Hippolyte Maindron (reconstitué à la Fondation), Alberto Giacometti, perçu comme urbain, rêvait sans cesse à la montagne et aux forêts de son enfance ? Pouvait-on retrouver trace de ce passé alpestre dans ses sculptures qui avaient réduit leur champ à la figure humaine ? Et pourtant cet ancrage va guider tout son art ! C’est ce que nous propose cet été la Fondation Giacometti qui nous entraîne à sa suite dans cette filiation entre son art et la nature, à la découverte de ce rapport qu’il entretint toute sa vie.
Suisse, il resta, toute sa vie, attaché à ces Alpes qui virent sa naissance le 10 octobre 1901 à Borgonovo petite localité, près de Stampa, dans le canton des Grisons. De nombreuses photos, comme un album de famille, nous le montre dans ce qui fut le décor de fond de cette famille dont le père est un peintre dans le goût postimpressionniste. Le couple a quatre enfants dont deux épouseront des carrières artistiques et un deviendra architecte. C’est le père qui initie Alberto à la peinture. La maison familiale dans le petit village de Stampa est encaissée dans la vallée, loin du soleil hivernal, mais à la belle saison la famille migre dans un chalet à Maloja sur le lac de Sils et qui deviendra, pour Alberto, le terrain de nombreux dessins et aquarelles.
Ci-dessus : Arbres et montagne, vers 1920 © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022
Ci-contre : Annette et Alberto Giacometti dessinant dans le jardin à Stampa, 1961 © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022 / Photo : Isaku Yanaihara/ © Suki Yanaihara/Permission granted through Misuzu Shobo, Ltd. Tokyo
Dans le style paternel, Alberto peint des portraits et surtout la nature qui l’environne, lacs, montagnes, routes serpentant dans la nature, arbres… des arbres, le chalet en est entouré. Il n’est pas encore question de sculpture mais de cette peinture qu’il va parfaire à l’École des Beaux-Arts de Genève en classe de… sculpture !
Passée une très remarquée période surréaliste, il entame son œuvre, du moins cette manière qui va le rendre célèbre, réminiscence de son enfance passée entre arbres et montagne. Aujourd’hui, ici, on est appelé à faire un parallèle entre la verticalité des arbres de son enfance et ses figures hiératiques, ces corps faussement stylisés, debout, droits comme faisant corps avec le sol, ancré par d’invisibles racines. Et lorsque réunis sur une base, ils donnent à penser à une clairière parsemée d’arbres à l’image des yose-ue japonais. Et pour lever toute ambiguïté, le titre même de Forêt ou de Clairière participe à l’identification et vient souligner la source de son propos. Renforce cette perception, cette immense et magnifique photo qui nous accueille et nous montre le sculpteur dans une forêt face à ces arbres qu’il semble regarder comme on regarde des œuvres d’art.
En décembre 1950, il écrit à Pierre Matisse (fils du peintre qui a ouvert une galerie à New York et le représente là-bas) : « La composition aux neuf figures me semblait réaliser l’impression éprouvée à l’automne précédent à la vue d’une clairière… La composition 7 figures – tête me rappela un coin de forêt vu pendant de nombreuses années dans mon enfance dont les arbres… me semblaient toujours être des personnages immobilisés dans leur marche et qui se parlaient »
Cette vision de la nature se retrouve dans la communion que beaucoup ont avec l’arbre dont souvent la mise à bas est considéré comme un sacrilège et, il n’est pas à douter, que Giacometti participait à cette réflexion en andromorphisant les arbres de son enfance comme les compagnons de ses balades. Ces arbres qui semblent avoir été, tout au long de sa vie, ses « madeleines ». Ce paysage fascinant qu’il observait depuis la fenêtre de son atelier de Stampa et dont il disait pouvoir « passer toutes les journées devant le même jardin, les mêmes arbres et le même fond… tous les beaux paysages à faire sans changer de place, le paysage le plus quelconque, le plus anonyme, le plus banal et le plus beau qu’on puisse voir. »
Vue de l’exposition. La Clairière, 1950 © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022
Vue de l’exposition. La Forêt, 1950 © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2022
Les arbres et la montagne
Dans cette nature alpestre, les espaces sylvestres sont parsemés dans ces montagnes de parties minérales, des rochers, des pierres pour former un ensemble quasiment parfait d’équilibre entre le vivant et le minéral. Des roches dont les matières anguleuses se retrouvent dans la glaise qu’il sculpte de ses doigts façonnant, d’une matière souple, des figures comme au sortir d’un burin. Beaucoup de ses sculptures présentent ce double aspect tout à la fois anguleux, rocailleux, à la surface presque chaotique, comme une lave pétrifiée et d’autre part d’un extrême modelé, trait d’union entre la montagne et l’atelier. Entre le souvenir et sa transcription.
Certains, comme Sartre ou Francis Ponge iront même jusqu’à faire un parallèle entre l’aspect même du sculpteur et la montagne de son enfance ! Ponge écrit : « dans le quartier du café de Flore, se promène ce rocher, large et hirsute figure grise ». Et souvent même ces têtes semblent s’extraire d’un bloc comme d’une gangue dont on aurait débarrassé le superflu et qui renfermait en son sein ces figures « ni complètement humain, ni tout à fait rocher » comme les décrit Romain Perrin, commissaire de l’exposition et qui signe un très éclairant texte dans le catalogue.
L’exposition a comme intérêt premier d’éclairer ce trait d’union entre l’artiste arrivé et l’adolescent qui n’est jamais loin de ses montagnes et nous convie à regarder autrement ses sculptures, à les rapprocher de ce corpus formateur que furent ses paysages des Grisons de son enfance. L’autre intérêt majeur de cette présentation réside dans cette salle consacrée à ses dessins et aquarelles qui nous révèlent un aspect rarement exploité de ce géant qu’on imagine, carnet, pinceau et crayon en main, s’extasiant à chaque pas devant cette nature des plus inspirantes. On n’a pas encore, semble-t-il, exploré toutes les facettes de cet artiste majeur, délicat et fascinant.
Fondation Giacometti, 5, Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
À voir jusqu’au 19 septembre 2022
Accès :
Métro ligne 4 et 6 : Raspail ou Denfert-Rochereau
RER B : Denfert-Rochereau
Bus line : 38, 59, 64, 68 ou 88
Du mardi au dimanche : 10h – 18h Fermé le lundi
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Alberto Giacometti. Un arbre comme une femme, une pierre comme une tête
Contributions de Niklaus Manuel Güdel, Anne Lemonnier, Romain Perrin
Éditions Fage, Lyon, Fondation Giacometti, Paris 2022. 160 pages. 24 €