Trois espaces d’importance sont unis en cette rentrée pour nous présenter un beau panorama du travail de Jean Dubuffet, un artiste majeur du siècle dernier. La Fondation Dubuffet naturellement avec pour sujet la ville ; la galerie Lelong avec une série des années 70 et la galerie Jeanne Bucher Jeager, galerie historique du peintre, avec un regard sur son œuvre. Un artiste hors de son temps à l’art singulier, attachant et un brin ironique.
Exposition « Jean Dubuffet. Marionnettes de la ville » à la Fondation Dubuffet, jusqu’au 6 janvier 2023
Exposition « Jean Dubuffet. Paysages et lieux de promenade » à la galerie Lelong, jusqu’au 22 octobre 2022
Exposition « Jean Dubuffet. Le cours des choses » à la galerie Jeanne Bucher Jaeger, jusqu’au 17 décembre 2022
Posté le 23 septembre 2022
L’air de la ville souffle à la Fondation Dubuffet qui nous présente la vision citadine de Dubuffet, observateur attentif comme ironique du brouhaha urbain © Fondation Dubuffet / Adagp Paris 2022 / Ph.: D.R.
En cette rentrée, s’il est un artiste à l’honneur, c’est bien Jean Dubuffet (1901-1985) puisque trois lieux à Paris nous présentent une sélection de ses œuvres (plus deux autres en province à Vence et Clermont-Ferrand). Trois lieux et pas des moindres, puisqu’en plus de la Fondation Dubuffet, se sont mises au diapason la galerie Lelong et la galerie Jeanne Bucher Jaeger. Chacune nous accroche trois expositions d’importance qui revisitent donc l’art si personnel, curieux, innovant et drôle souvent, de celui qui, par ailleurs, se fit le chantre de l’art brut et inventa une grammaire en dehors de tous les « ismes » de son temps.
Fondation Dubuffet. Marionnettes de la ville
À tout seigneur, tout honneur, commençons par faire un tour du côté du métro Duroc, dans cette arrière-cour qui abrite la Fondation Dubuffet. Dans ce décor qui respire bon « l’air de la campagne », au bout d’une allée envahie par une végétation un peu folle, se dresse un magnifique atelier d’artiste qui abrite la fondation. Une fondation que Dubuffet lui-même créa afin « d’assurer le respect de son œuvre, mais aussi pour maintenir groupé et accessible au public un ensemble significatif de ses travaux ». Une fondation forte de plus de 500 tableaux et de quelques milliers de dessins et autres artefacts. La dernière exposition en ce lieu, lors de la réouverture de la Fondation en 2019, présentait des travaux ayant pour fil rouge la campagne, cette campagne que pourtant, il disait abhorrer. Cette exposition avait comme titre « lair dla campane » en référence à l’ouvrage, farce éponyme, rédigé en phonétique par ses soins, et qui fit beaucoup pour sa renommée d’auteur.
Dubuffet. Rue des Petits-Champs, Bombance, 1962 © Fondation Dubuffet / Adagp Paris 2022
Dubuffet. À pied en voiture, 1979 © Fondation Dubuffet / Adagp Paris 2022
En cette rentrée 2022, l’exposition présentée aurait pu s’intituler « laire dla ville » si tant est qu’il exista un ouvrage sur ce titre. On l’a compris, il s’agit ici de nous offrir un pendant à l’exposition de 2019, tant on sait que Dubuffet fut un véritable citadin comme le prouve ici les 90 œuvres présentées.
La ville, il y jette son dévolu artistique en 1942 parallèlement à d‘autres thèmes. C’est en regardant les habitants de son quartier de l’Estrapade, une place à deux pas de son atelier de la rue Lhomond dans ce quartier du Panthéon, qu’il commence à croquer le monde qui l’entoure. Vue de Paris (1943) nous montre une place avec des passants alignés comme dans un théâtre de marionnettes, Pisseur au mur (1945) relate une habitude courante alors. Les œuvres de ces années-là nous révèlent une vision triste, maronnasse de la capitale pendant et au sortir de la guerre. Seules ses vues de l’intérieur du métro, ces années-là, semblent échapper à cette sinistrose avec leurs couleurs vives.
Une partie de cette série fut exposée dans la mythique galerie Drouin, place Vendôme. A la vue de ces premières œuvres exposées, « beaucoup de personnes éprouveront d’abord, au vu de ces tableaux, un sentiment d’effroi et d’aversion… » écrit un critique. Le cahier des signatures de la galerie en est couvert d’injures et de grossièretés et la galerie dû mettre un policier pour veiller sur les tableaux ! Il n’en est pas de même à New York où Dubuffet est exposé à la galerie Matisse – fondée par le fils du peintre – où il rencontre un accueil des plus favorables même dans les colonnes du grand New Yorker. On y lit : « Son
œuvre témoigne d’une intelligence artistique épanouie ! » écrit l’écrivain et critique Robert M. Coates.
Cet hommage à la ville se fit en deux temps, commencé en 1942 sont les prémices de la série des rues encombrées et bariolées de Paris Circus. Cette première partie s’étire jusqu’à son départ pour Vence en 1955 sur préconisation médicale pour sa femme malade. De retour dans la capitale en 1961, il y retrouve la ville moderne, en pleine effervescence dans ce début des Trente Glorieuses dont il va, à sa manière, rendre compte. Tout y passe : le métro et ses passagers serrés comme des sardines, les places avec des chiens, les salles de restaurant bondées, les voitures naturellement présentées aplaties comme après un accident ou comme dans une boîte d’entomologiste, la rue et ses enseignes bien définies qui mangent la vue, les graffitis, les grands magasins et les premiers débordements de la société de consommation, les embouteillages et même les pisseurs qui, à l’époque, sévissaient avec vergogne (mais sans scrupule) contre les murs et que Dubuffet représente tenant bien en main le corps de leur soulagement !
Et jusqu’au cycle de l‘Hourloupe, qui signe les années 70 et s’invite aussi en ville en des constructions en volumes représentant des rues et des immeubles dans cette manière si particulière comme issus de dessins semi-automatiques. Dubuffet nous offre là des « éléments d’architecture contorsionniste », des éléments qu’il combine pour en faire rues, places et immeubles qu’il peuple de silencieuses silhouettes, le tout ayant des allures de décor de théâtre.
Fondation Dubuffet. 137, rue de Sèvres (7e)
À voir jusqu’au 6 janvier 2023
Ouvert du lundi au vendredi de 14h à 18h
Accès
Métro : lignes 10 et 13 station Duroc
Bus : lignes 70, 82, 89 et 92
Site de l’exposition : ici
La Galerie Lelong nous accroche une série rarement vue de paysages captés sur la route qui serpente entre Paris et la Seine-et-Marne. Paysages furtifs à la limite de l’abstraction © Fondation Dubuffet / Adagp Paris 2022 / Ph.: D.R.
Galerie Lelong. Paysages et lieux de promenade
À la galerie Lelong, dans ce bel espace de la rue de Téhéran, un accord avec la Fondation nous permet d’avoir accès à une série très peu vue et d’une grande cohérence, puisque peinte en quelques jours à la fin du mois d’août 1975, et présentée ici sous le titre Paysages et lieux de promenade. On se retrouve donc… la campagne. Enfin, plus exactement celle de la Seine-et-Marne, département qu’il traverse en voiture lorsqu’il se rend de Paris à « sa » campagne à Périgny. Des impressions de voyage vues au travers du pare-brise de sa voiture.
Cette série se situe, dans le continuum des travaux de Dubuffet, après la période de l’Hourloupe et dans les alentours des Sites et mires, dont ces paysages reprennent certaines caractéristiques picturales et chromatiques. Un inextricable fouillis de lignes et de circonvolutions, avec, pour certains, des personnages comme ceux qui peuplent les Sites et les Psycho-sites, des maisons aussi, déformées par cette impression de vitesse. Un cafouillage que l’on peut ressentir lorsque le paysage défile et que le conducteur, absorbé par la route, ne perçoit qu’intuitivement un amalgame indéfini. Les couleurs, elles, sont celles qui, alors semblaient avoir pris possession de sa palette : rouge, rose, jaune mâtinées de quelques touches bleues. On ne peut que saluer cette présentation (non-commerciale) qui nous donne à voir un autre « air de la campagne ».
Galerie Lelong. 13, rue de Téhéran (8e)
À voir jusqu’au 22 octobre 2022
Ouvert du mardi au vendredi de 10h30 à 18h et le samedi des 14h à 18h30
Métro
Lignes 9 et 13 station Miromesnil
Bus
Ligne 84 arrêt Ruysdaël-Parc Monceau
Ligne 22, 43 et 84 arrêt Haussmann-Miromesnil
Site de l’exposition : ici
La Galerie Jeanne Bucher Jaeger, galerie historique de Dubuffet, nous convie à un regard sur son œuvres des années 50 à 1985. Un plongée dans une œuvre des plus marquantes du siècle dernier. © Courtesy Galerie Jeanne Bycher Jaerger / Fondation Dubuffet / Adagp Paris 2022
Galerie Jeanne Bucher Jaeger. Le Cours des choses
La galerie Jeanne Bucher Jaeger, elle, peut déjà s’enorgueillir d’avoir été l’une des galeries historiques de Dubuffet (après René Drouin et Daniel Cordier) et qui lui offrit, dans son espace rue de Seine, sa première exposition en 1964. Dès lors, s’est développée entre le peintre et Jean-François Jaeger (disparu en décembre 2021) une véritable amitié. Cet accrochage, qui saupoudre quelques périodes de l’œuvre de Dubuffet, fut retardé par le décès du galeriste et nous permet donc une vue d’ensemble de peintures, sculptures et œuvres sur papier qui s’étalent des années 50 à 1985. Un Homme-menhir de 1950 que l’on rapproche de la série des Corps de dames et des Matériologies de la même époque nous accueillent pour cette mini rétrospective dans laquelle quelques Sites et Psycho-sites, ainsi que, naturellement, des œuvres de la série de l’Horloupe donnent une belle vision en raccourci de l’œuvre et sont une excellente porte d’entrée dans le monde d’un des artistes les plus importants et touchants du XXe siècle.
Galerie Jeanne Bucher Jeager. 5, rue de Saintonge (3e)
À voir jusqu’au 17 décembre 2022
Ouvert Du mardi au vendredi de 10 h à 19 h. Le samedi de 11 h à 19 h
Métro
Ligne 8 station Saint Sébastien-Froissart
Ligne 1 stations Saint Paul ou Hôtel de Ville
Bus
Ligne 96 arrêt Bretagne
Ligne 29 arrêt Rue Vieille du Temple
Site de l’exposition : ici