Pour la troisième fois, la Fondation Cartier nous présente le travail de ce sculpteur australien qui stupéfait ses visiteurs à chaque exposition. Mélangé à des pièces anciennes, quelques rares nouveautés montrent que cet artiste, salué dans le monde entier, semble prendre un nouveau chemin. Au milieu de trois pièces emblématiques de son travail, jouant toujours sur les échelles et un fascinant hyperréalisme, trois autres ouvrent un nouveau champ exploratoire. Mueck, misant toujours sur une confrontation tant visuelle qu’intrigante, nous pousse encore à nous interroger sur les sentiments et réflexions générés face à ses nouvelles propositions.
Exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier jusqu’au 5 novembre 2023
Ron Mueck, Mass (2017). Vue de l’exposition Ron Mueck à la Fondation Cartier © National Gallery of Victoria, Melbourne, Felton Bequest, 2018 / Ph.: Marc Domage
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Ron Mueck. Dead Weight (2021) © Courtesy Thaddaeus Ropac / Ph.: D.R.
Ron Mueck, A Girl (2006) © Scottish National Gallery of Modern Art, Edimbourg / Ph. : Marc Domage
Ron Mueck, The Man in the boat (2002) © Courtesy Thaddaeus Ropac / Ph.: Michel Slomka
Ron Mueck, au premier plan : This Little Piggy (2023). Courtesy Thaddaeus Ropac. Sur le mur du fond : Baby (2000). ZAMU, Amsterdam. Ph. : Marc Domage
Ron Mueck, Baby (2000) © ZAMU, Amsterdam / Ph.: Marc Domage
Ron Mueck, En Garde (Three Dogs) (2023) © Courtesy Thaddaeus Ropac : Ph. : D.R.
Chaque rencontre avec l’œuvre de l’artiste australien Ron Mueck est un choc. L’exposition actuelle à la Fondation Cartier ne déroge en rien aux précédentes rencontres. Le premier choc Mueck, nous l’avions vécu devant ce « père mort », le sien (Dead Dad, 1996-97), petite sculpture elle d’à peine 1m, présenté dans la mythique exposition Sensation présentant les « young british artists » à Londres en 1997. Exposition duquel sont sortis les figures majeures de Damien Hirst, des frères Chapman et Tracey Emin entre autres. Ce qui avait alors stupéfié son monde, c’était ce luxe de détails d’un tel réalisme que les spectateurs s’y arrêtaient comme ils l’auraient fait devant un défunt réel. Une révélation. Mais on apprendra, qu’une année avant, le célèbre publiciste et grand collectionneur Charles Saatchi, avait été électrisé par son Pinocchio et que trois œuvres de Mueck étaient rentrées alors dans sa collection. Sensation étant la présentation d’une partie de cette collection. Puis on avait de nouveau reçu un choc lors de la Biennale de Venise en 2001 avec son « boy » de plusieurs mètres de haut dénonçant l’exploitation des enfants. Un gamin accroupi au regard empreint d‘une tristesse aussi énorme que la sculpture elle-même, qui se voulait dénoncer l’exploitation des enfants.
À Paris, par deux fois, en 2005 puis en 2013, la Fondation Cartier nous révéla d’autres œuvres de Ron Mueck. Des œuvres devenues cultes comme cette mère angoissée dans son lit, une sculpture de grande taille (In bed, 2005) emblématique de l’art de Ron Mueck que de provoquer plus que l’attention, l’émotion, avec un travail sur les tailles, qu’elles soient gigantesques ou au contraire réduites, à l’image de cette femme portant un fagot de bois (Woman with Sticks, 2009) qui, là encore électrisa, les visiteurs. Ces deux expositions ici connurent un immense succès.
Dans cette troisième présentation ici aujourd’hui, on retrouve les composantes de son œuvre – son jeu sur les échelles – avec toutefois un changement comme s’il prenait ses distances avec l’hyperréalisme qui était (et reste comme le confirme certaines pièces « anciennes » ici exposées) sa signature. À l’image de cette pièce girl (2006), un bébé à peine sorti du ventre maternel au cordon ombilical encore visible et au regard gentiment chiffonné des premiers moments de la vie. Ou encore, ce Man in the Boat (2002) et déjà présenté ici en 2013, reste l’une de ses œuvres les plus emblématiques. Et enfin, Baby, une œuvre de 2000, nous dévoile un petit garçon, d’à peine 25 cm, qui vient de naître, accroché au mur comme le serait une icône religieuse.
Trois nouvelles œuvres
La nouveauté de cette présentation réside en deux pièces et une troisième
Ron Mueck, A Girl (2006), détail © Scottish National Gallery of Modern Art, Edimbourg / Ph.: Marc Domage
« en chantier ». Ce qui surprend en premier lieu, dès l’arrivée, c’est cet amalgame de crânes, une œuvre titrée Mass (2017) qui occupe toute la verrière du rez-de-chaussée. Un autre crâne, en fonte et monumental lui (Dead Weight), d’un poids de 1,7 tonne, placé dans le jardin, accueille le visiteur. L’idée lui en serait venue en visitant les catacombes parisiennes. Cet endroit où sont entassés – et bien rangés – des milliers de crânes et d’ossements, placés là suite au démembrement de certains cimetières parisiens dont celui des Innocents. Contrairement aux alignements des catacombes, Mueck a choisi lui l’empilement, l’entassement en une montagne surprenante. Faite de cent crânes à la blancheur immaculée, d’environ 1 m chaque, installés avec un souci qui tient autant de l’impact visuel que de l’attention à ce que cette « montagne » ne s’écroule pas sur les visiteurs.
Pour ce faire, des sacs de sables et autres renforts (invisibles) assurent la stabilité de l’ensemble. Cent cranes, moulés en fibre de verre et identiques… Pas tout à fait car chaque est unique se différenciant par le nombre de dents ou leur absence, par des fissures ou des bris comme provoqué par un choc. Autre pièce maîtresse trois énormes chiens (Three Dogs 2023) sa dernière production qui détonne déjà par la grandeur de la pièce, des chiens de plus de 2m de haut. Pour cette pièce, Ron Mueck n’a pas joué complètement la carte de l’hyperréalisme en perfectionnant les détails, mais a peint en noir ces trois inquiétants chiens dont la grandeur et le mystère qui les enveloppe, sont renforcés par la pénombre dans laquelle ils sont installés, provoquant un sentiment confus dans lequel la peur se mêle à la fascination. Et enfin, une œuvre en « chantier » présentant une scène rurale dans laquelle cinq hommes tentent de tenir un animal avant son abattage (This Little Piggy, 2023). Une pièce qui demandera, sûrement, encore de longs mois de finition quand on sait le temps que prend son travail, lui qui n’a « produit » qu’un peu moins de 50 pièces en 26 ans de carrière !
Ron Mueck, En Garde (Three Dogs 2023) © Courtesy Thaddaeus Ropac /Ph.: Marc Domage
Fondation Cartier. 261 Bd Raspail (14e)
À voir jusqu’au 5 novembre 2023
Du mardi au dimanche de 11h00 à 20h.
Nocturne le mardi jusqu’à 22h. Fermé le lundi.
Accès :
Métro : Lignes 4 ou 6 Station Raspail ou Denfert-Rochereau
Bus : Lignes 38, 68, 88 ou 91
RER Station Denfert-Rochereau
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Ron Mueck
Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris
Avec des notes inédites de Ron Mueck et des de Justin Paton, Robert Rosenblum et Robert Storr et Peter Sloterdijk.
Version bilingue anglais / français
312 pages, 220 reproductions couleur. 58 €