Ce mois-ci, et en plusieurs ventes, Christie’s va disperser la mythique collection de Sam Josefowitz consacrée, entre autres, au groupe de Pont-Aven. Une bande de rapins qui, à la fin du XIXe siècle, se regroupa dans cette petite bourgade bretonne pour laisser libre cours à leur créativité. Paul Gauguin, Émile Bernard, Paul Sérusier, Maurice Denis, Émile Bernard, Henri Moret ou Maxime Maufra, ainsi que de nombreux autres moins en lumière, fondèrent là un art que Sam Josefowitz collectionna avec passion.
Félix Valloton. Cinq heures, 1898 (est. 3,5 / 5 500 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Paul Sérusier. Bretonnes au Pouldu, 1892 (Est. 220 / 280 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Maurice Denis. Sancta Martha, 1893 (est. 700 / 1 000 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Henri van De Velde, Verger avec paysanne, 1898 (Est. 200 / 300 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Paul Gauguin. Clovis endormi, 1884 (Est. 3 600 000 / 5 800 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Armand Seguin. Femme au corsage rouge sur un canapé, 1895-96 (Est. 350 / 550 000 €) © Courtesy Christie’s Images
Sam Josefowitz, vers 1990 © Courtesy Christie’s Imagesafter the magazine was bought by the Josefowitz family in the early 1990s
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Il y a plusieurs critères qui font une grande collection. Le premier est assurément sa cohérence. Certains « collectionneurs » sont avant tout des acheteurs réagissant au coup par coup, au coup de cœur, et acquiert des œuvres selon leur rencontre avec celles-ci, directement chez un artiste, en vente publique ou en galerie. Ils forment ainsi un ensemble éclectique sans ligne directrice et accrochent, sur leurs murs, un ensemble souvent disparate, répondant à des envies qui ne forment pas un tout cohérent. Mais est-ce une collection ? D’autres, ceux qui ont une véritable réflexion, agissent aussi par coup de cœur, mais souvent pour un peintre, un mouvement, une période, une école ou en suivant les choix d’une galerie qui, elle-même bien souvent, a une proposition commerciale et artistique cohérentes.
Les grandes collections sont ainsi faites et celle que nous présente aujourd’hui la maison de vente Christie’s est, en cela, exceptionnelle autant qu’emblématique. Il s’agit d’un ensemble constitué par Josef Josefowitz qu’il a voué à célébrer les peintres d’une école, celle de Pont-Aven. Une école constituée aux alentours des années 1880 dans ce petit bourg breton, un bourg fort alors d’un gros millier d’âmes et qui vit, dans ces années-là, se développer un « tourisme » artistique dont la bourgade compris vite tout l’intérêt. Ce sont d’abord des artistes américains et britanniques qui s’y installèrent.
Flairant l’aubaine, trois aubergistes du cru firent des facilités à ces nouveaux arrivants : Julia Guillou, Angélique Marie Satre dite La Belle Angèle (immortalisée par Gauguin) et la plus connue Marie-Jeanne Le Glouannec, surnommée « la mère Gloanec » ouvrirent leur commerce vers les années 1860. Ces auberges attirèrent vite de nombreux artistes séduits par des prix attractifs, des logements peu couteux, des motifs prompts à séduire leur palette et une communauté d’esprit.
Une école au sens large
L’École de Pont-Aven, étonnement, regroupe sous ce terme, non une manière bien définie, une école au sens habituel du terme, mais désigne un regroupement dans un lieu sur quelques décennies. C’est ainsi que cette « école » rassemble autant des nabis que des adeptes du synthétisme, du symbolisme, des néo-impressionnismes, et même, pour certains, un art allant jusqu’aux contreforts du fauvisme et de l’abstraction.
L’intérêt de la collection Josefowitz est justement de bien cerner cette « école » en regroupant autant des grands noms comme Paul Gauguin, Paul Sérusier, Maurice Denis, Émile Bernard, Félix Vallotton ou Maxime Maufra, ainsi que de nombreux autres moins en lumière comme Henri Delavallée, Henry van de Velde, Paul Elie Ranson, Roderick O’Connor, Mogens Ballin, Henri Moret ou Georges Lacombe. Mais la collection Josefowitz, dans sa cohérence, va ratisser plus large que le bourg breton pour y inclure des compagnons de route, des amis d’amis, des peintres dont l’esprit est proche les uns des autres. C’est ainsi que sont inclus, Aristide Maillol, Edouard Vuillard, Edgar Degas, Gustave Caillebotte, et même Fernand Léger dans une représentation d’un bord
Émile Bernard. Baigneuses aux nénuphars, 1889 (est. 600 / 900 000 €) © Courtesy Christie’s Images
de plage que n’auraient pas renié les nabis (Gamins au soleil 1907). L’ensemble demeurant toutefois d’une grande cohérence.
À 15 ans son premier achat !
Sam Josefowitz est né lituanien à Anykščiai en 1921 dans une fratrie de 5 enfants. Une famille de la classe moyenne qui déménage, tout d’abord à Berlin en 1923, puis à Lausanne 7 ans plus tard. C’est là que le jeune Sam commence ses études. En 1938, devant les bouleversements qui secouent l’Europe alors, la famille décide d’émigrer aux États Unis. Sam va intégrer une université polytechnique dont il sortira ingénieur chimiste et travaillera dans plusieurs sociétés avant de se lancer dans la fabrication et la commercialisation, en vente par correspondance, de disques vinyles LP (long playing). Il fait fortune et retourne s’installer en Suisse en 1965.
Collectionneur « compulsif » il aurait acquis sa première œuvre – une gravure de Picasso – à l’âge de 15 ans. S’ensuivirent des œuvres d’Émile Bernard, son entrée de collectionneur dans le groupe de Pont-Aven. « Toutefois, ce ne fut qu’en 1955 que j’acquis mes premières œuvres de l’École de Pont-Aven… Je ne me rendis pas compte à quel point ces œuvres et presque tous les artistes qui les créèrent étaient peu estimés ou même totalement oubliés. Même les œuvres bretonnes de Gauguin étaient considérées par beaucoup comme d’importance mineure ! » confiait-il dans ses souvenirs en 1989. Dès lors, il se met en « chasse », achetant ces œuvres dès qu’elles apparaissaient sur le marché. Il réussit à créer ainsi une magnifique collection, à tel point que, lorsque la Tate Gallery présentera une grande exposition consacrée à Gauguin, en 1966, Sam Josefowitz prêtera 38 œuvres sur les 300 exposées !
Une collection qui, comme beaucoup d’autres, fut « montée » en ventes publiques dans les grandes capitales comme dans de villes de moindre importance, en parcourant les galeries, les foires, les salons voire en entrant en contact avec les familles des artistes eux-mêmes. Il nous a quitté le 30 juillet 2015. La quête d’une vie est aujourd’hui dispersée…
La dispersion de la collection se déroulera en 4 ventes
Le 13 octobre à Londres à 19h
Les 20 et 21 octobre à Paris à 14h30
Du 12 au 25 octobre les dessins et gravures seront proposés online à Paris
Exposition publique :
Du 12 au 21 oct de 9h à 17h chez Christie’s 9 avenue Matignon (8e)
À Londres en décembre sera dispersé sa collection de gravures de Rembrandt
Site de la maison de vente : ici