Le château de Versailles nous expose une rétrospective du peintre Horace Vernet qui traversa le XIXe siècle au service des politiques de son temps. Ce « militaire qui fait de la peinture » comme le décrivit Baudelaire, nous a laissé d’immenses toiles représentant les faits d’armes d’une France conquérante, mais aussi des portraits mondains comme des scènes de genre orientalistes, lui qui aimait ce Maghreb où il fit de nombreux voyages. Un peintre rare, pas vue en rétrospective depuis plus de 40 ans.
Rétrospective Horace Vernet, au château de Versailles jusqu’au 17 mars 2024
Vue d’une salle de l’exposition avec, en son centre, Horace Vernet prenant des croquis sur le champ de bataille d’Isly, par Arthur Le Duc, 1913 © RMN-GP (Château de Versailles) / Sébastien Giles
L’Atelier de M. Horace Vernet, 1820 © Coll. part. / C. Fouin
L’Éruption du Vésuve, 1822, Salon de 1824 © Collection Jacques Grange / C.Fouin
Philippe-Auguste à la bataille de Bouvines, 27 juillet 1214. Salon de 1827 © RMN-GP (Château de Versailles)
Portrait de la marquise Cunegonda Misciatelli, 1830 © University of Arizona Museum of Art, Tucson
Le départ pour la Chasse dans les marais Pontins, 1831 © Washington, National Gallery of Art
La Chasse au lion au Sahara, 1836 © Wallace Collection, London, UK / Bridgeman Images
L’ennemi repoussé des hauteurs de Coudiat-Ati, 10 octobre 1837. 1838-1839 © RMN-GP (Château de Versailles)
Napoléon passe la garde en revue à la bataille d'Iéna, 1836 © RMN-GP (Château de Versailles)
Prise du fort Saint-Jean-d’Ulloa, 27 novembre 1838. 1841 © RMN-GP (Château de Versailles)
Barricade dans la rue Soufflot, 1848 © Berlin, Deutsches Historisches Museum / RMN-Grand Palais / I. Desnica
La prise de la tour de Malakoff, 1858 © Autun musée Rolin / Ph. : D.R.
Alexis Witkofsky. Portrait d’Horace Vernet en habit d’académicien. Salon de 1864 © Château de Versailles / RMN / C. Fouin
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Né en 1789, à une époque charnière, Horace Vernet (1789-1863) va traverser les bouleversements de ce siècle qui passe de la Révolution aux contreforts de la IIIe République et, ce, tant d’un point de vue politique qu’artistique. Il faut dire qu’il a de qui tenir. Dans la famille Vernet on se passe le pinceau, comme un témoin, d’une génération l’autre. Le grand-père, Claude Joseph Vernet, suivit les règnes de Louis XV et Louis XVI pour disparaître l’année de la naissance de son petit-fils. Son fils, Carle Vernet, passionné par les chevaux, sera peintre militaire, dont Napoléon Ier appréciait le talent jusqu’à l’emmener sur certains champs de bataille. Horace, enfin, avait donc de qui tenir et mit ses pas dans ceux de son père en recevant de celui-ci ses premières leçons, qu’il affina ensuite à l’École des Beaux-Arts, où il fut reçu en mai 1807.
Comme son père, apprécié de Napoléon Ier, il honore une première commande officielle en 1811, en brossant le Portrait équestre de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Et enfin, pour s’être vaillamment illustré en mars 1814 lors de la défense de la barrière de Clichy (il évoquera cet épisode dans une œuvre en 1820) Horace Vernet sera fait chevalier de la Légion d’honneur par l’Empereur (il sera fait Grand officier sur son lit de mort par Napoléon III). Sur ce fait d’arme, se clôture la période napoléonienne du peintre.
Reconnu pour ses tableaux militaires, Horace Vernet devient le peintre favori du duc d’Orléans, le futur Louis-Philippe, qui le choisira, entre d’autres, pour représenter « l’Histoire de France en images » dans ce projet grandiose qu’il avait pour Versailles : créer dans le château de ses ancêtres un musée dédié à « toutes les gloires de la France ». Projet non sans arrière-pensée politique. Il continuera sur sa lancée sous Napoléon III, dont il exécutera plusieurs portraits, maîtrisant, en plus de la peinture d’Histoire, tous les genres.
Il voue une grande admiration à Théodore Géricault, un ami de son père, qui insufflera un air de romantisme à sa peinture. Ensemble, ils voyageront en mars 1819 en Angleterre, associant, pour l’histoire de son art, son nom à celui de son aîné qui, comme lui, voue une passion à la race chevaline.
Cédant à l’aura autant romantique qu’exotique d’alors pour certains pays qui bordent la Méditerranée, il va partir, pour trois mois début 1820, dans les pas de ce « grand tour »
La Barrière de Clichy, 1820 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / M. Urtado
en Italie, le voyage obligé de tout peintre qui vient dans la ville éternelle se frotter au berceau des arts. Bien qu’il acquière vite une certaine renommée, il voit ses toiles refusées au Salon de 1822 ! Il décide de passer outre et organise, dans son atelier, sa propre exposition qui remporte un franc succès.
Un militaire qui fait de la peinture !
Il est lancé et c’est le début d’une carrière prolifique autant que reconnue et célébrée. Célébrité qui le voit nommé, en août 1828, directeur de l’Académie de France à Rome, poste qu’il occupera jusqu’en 1835, date à laquelle il est remplacé par Ingres. Là, à Rome, il développe des « sociabilités mondaines », portraiture la bonne société (Portrait de la marquise Cunegonda Misciatelli, 1830), s’aventure aussi à faire une peinture de genre, nourrissant son art d’anecdotes ou de faits visant à illustrer certains traits « pittoresques » de cette Italie décrite par Stendhal dans son Voyage en Italie. Scènes de brigandage (La Confession d’un brigand, 1830 ou Combat entre les dragons du pape et les brigands, 1831) alternent avec une peinture de paysage (La Chasse dans les marais Pontins, 1831), un art qui reprend les poncifs les plus réalistes mâtinés d’un certain romantisme…
Combat en les dragons du pape te les brigands, 1831 © Baltimore, Walters Art Museum
S’il est un peintre des portraits mondains, on n’oublie pas pour autant le peintre d’histoire – le genre le plus prisé alors dans la hiérarchie des genres – qu’il fut sous l’Empire. À la demande de Louis-Philippe, il part en mai 1833 en Algérie, que la France vient de conquérir, afin de peindre la prise de Bône. Puis, la commande royale le charge de représenter certains faits d’arme de la conquête de l’Algérie, des œuvres à destination des salles d’Afrique du château de Versailles, comme Le combat de la forêt de l’Habra, 1840 ; Le Siège de Constantine, 1838 ou Prise de la Smala d’Abdel-Kader par le duc d’Aumale à Taguin le 16 mai 1843, une immense fresque de près de 22 mètres de long ! Baudelaire le décrit alors comme un « militaire qui fait de la peinture » !
Ces commandes royales, qui ont pour but premier de soutenir et illustrer la politique gouvernementale, lui permettent même d’entretenir des liens d’amitié avec certains officiers qui nourrissent, par leurs récits, son travail. Ses œuvres correspondent bien à rendre toute l’emphase de nos troupes, en une peinture laudatrice qui non seulement donne à voir la vaillance de nos soldats conquérants en gommant les côtés sombres et souvent dévastateurs sur les populations locales. Nos vaillants soldats et leurs chefs fiers combattent sous de belles bannières tricolores claquant au vent. Un réalisme assumé qui frôle, par certains côtés, l’art pompier d’un Jean-Léon Gérôme.
Cette approche d’une certaine vision de l’Histoire de France, sous l’égide et la volonté d’abord de Napoléon puis de Louis-Philippe, donna naissance à une trentaine de tableaux monumentaux représentant les grandes batailles qui ont marqué l’Histoire nationale, depuis Clovis jusqu’à Napoléon. On peut les admirer au château dans la Galerie des Batailles. Horace Vernet fut naturellement sollicité et mis à contribution. Il brossa un Philippe-Auguste avant la bataille de Bouvines ; La Bataille de Friedland ; La Bataille de Wagram ainsi que La Bataille de Fontenoy.
Le dernier grand classique
Il devint dès lors l’un des artistes les plus reconnus et sollicités de son temps, voyageant dans toute l’Europe, membre d’une trentaine d’académies, faisant deux longs séjours à la cour du tsar Nicolas Ier ! C’est le temps des grandes commandes pour cet artiste complet qui a su se faufiler dans les arcanes politiques de Napoléon Ier à Napoléon III et continué à rendre compte des batailles du Second Empire comme en Crimée (La Prise de Malakoff, 1854). Sous le Second Empire, il voit sa carrière saluée par une rétrospective de son œuvre à l’Exposition universelle de 1855.
Aller à la rencontre de ce peintre du « juste milieu », qui s’est illustré dans tous les genres, c’est effectuer une plongée dans ce XIXe siècle avec ce « grand reporter des tumultes ». Si ses œuvres furent souvent accrochées dans des expositions thématiques, il n’avait pas bénéficié d’une rétrospective depuis 1980, c’est dire tout l’intérêt de cette présentation, de près de 200 œuvres, au château de Versailles, dans ce lieu qui vit éclore sa reconnaissance avec, en plus des œuvres conservées au château, de nombreux prêts issus de collections privées. Quant à l’indispensable catalogue, le seul ouvrage disponible le concernant, il nous entraîne dans le sillage de la vie et l’œuvre de ce dernier grand classique, mais aussi dans les arcanes politiques et artistiques de son temps.
Château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles
À voir jusqu’au 17 mars 2024
Exposition : Galerie de l’Histoire du Château, Galerie des Batailles, Salle des Croisades et Salles d’Afrique et de Crimée
Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9h à 17h30 (fermeture des caisses à 17h50).
Accès
RER C gare de Versailles Château Rive Gauche, 10 minutes à pied pour se rendre au Château.
Train depuis la gare de Paris Montparnasse, gare de Versailles Chantiers, 18 minutes à pied du Château.
Train depuis la gare de Paris Saint Lazare, gare de Versailles Rive Droite, 17 minutes à pied du Château.
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Horace Vernet sous la direction de Valérie Bajou
Co-édition Éditions Faton / Château de Versailles
448 pages, 350 ill., 54 €