Le musée Carnavalet nous convie à découvrir la Régence, cette période qui suit la mort de Louis XIV pour s’achever à la majorité de Louis XV. Cette présentation est aussi un prétexte pour découvrir l’artisan de cette période : Philippe d’Orléans, le régent, neveu du roi défunt, qui va orchestrer cette période de transition. Peu connu, réputé jouisseur, libertin, féru des arts et des lettres, il nous apparaît aussi sous les traits d’un personnage qui sut bien orchestrer ces années de transition qui, sous l’égide des Lumières, vit une certaine libéralisation de la société française.
Exposition La Régence à Paris au Musée Carnavalet jusqu’au 25 février 2024
Pierre-Denis Martin, Vue de Paris, prise du quai de la Rapée sur la Salpêtrière, l’île Saint-Louis et l’île de la Cité, 1716 © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris
Pierre-Denis Martin, Louis XV, âgé de 5 ans, sortant du lit de Justice, le 12 septembre 1715, vers 171 © Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Louis de Boullogne, Louis XV octroyant des lettres de noblesse au Corps de la Ville de Paris, juin 1716. © Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Jean-Baptiste Santerre, Philippe, duc d’Orléans, régent de France (1674-1723) et Minerve, 1717-1718 © Châteaux de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Ph. : G. Blot
Jean Raoux, Offrande à Priape, 1720 © Musée Fabre de Montpellier / Ph. : Frédéric Jaulmes
Rosalba Carriera, Le Printemps, 1721 © Musée des Beaux-Arts de Dijon / Ph. : François Jay
Nicolas de Largillierre, Portrait de Voltaire, entre 1718 et 1724 © Musée Carnavalet - Histoire de Paris
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À en croire Voltaire, pendant la régence, cet entre-deux de la continuité dynastique, qui va de la mort de Louis XIV en septembre 1715 à la majorité de son arrière-petit-fils, le roi Louis XV, 7 ans plus tard, on ne s’embêtait pas à Paris. Dans La Pucelle d’Orléans, Voltaire écrit :
« Voici le temps de l’aimable Régence,
Temps fortuné marqué par la licence,
Où la Folie agitant son grelot
D’un pied léger parcourt toute la France,
Où nul mortel ne daigne être dévot,
Où l’on fait tout excepté pénitence.
Le bon Régent de son Palais-Royal
Des voluptés donnent à tous le signal. »
Un temps permissif donc, qui succède à la disparition de Louis XIV le 1er septembre 1715 laissant le trône en attente de la majorité du jeune Louis XV qui n’a alors que cinq ans. La Régence va donc s’imposer.
Il faut dire aussi que ce siècle, commençant, voit une hécatombe pleuvoir sur la famille royale. Le jeune Louis XV est un rescapé dynastique qui verra, pendant tout son jeune âge, les deuils se succéder à Versailles. Son grand-père, déjà, fils de Louis XIV, dit le Grand Dauphin, va disparaître en 1711, son père, dit le Petit Dauphin, mourra, lui, en 1712. L’hécatombe ne s’arrête pas là puisque ses deux frères aînés disparaissent à leur tour : l’un en 1705 et le second en 1712 ! Il se retrouve donc seul à pouvoir porter la couronne. D’une santé fragile dans son très jeune âge, la cour frémit de le perdre à son tour, mais il recouvre la santé et la France a donc un dauphin qui accède au titre de roi à la mort de Louis XIV. Il lui faut toutefois attendre sa majorité à 13 ans, pour prendre complètement le pouvoir. Il sera couronné à Reims le 25 octobre 1722.
Un régent n’est pas un roi !
Cet espace entre ces deux règnes est placé, le 2 septembre 1715, en régence sous la houlette du duc Philippe d’Orléans (1674-1723), neveu du défunt Louis XIV. Un intérim qu’il assumera pendant sept ans, une condition au pouvoir limité toutefois. Un régent n’est pas un roi ! Qu’importe, Philippe d’Orléans n’a pas de velléité de pouvoir et sa loyauté envers le tout jeune Louis XV est entière. Il a d’autres préoccupations et, entre autres, celle de donner libre cours à ses passions. Un grand changement toutefois : toute la cour et les administrations se réinstallent à Paris qui devient, pour ces quelques années, le centre du pouvoir.
José de Los Llanos, commissaire de l’exposition, dresse un portrait de Philippe d’Orléans, personnage peu connu, l’Histoire n’aimant retenir que la succession des rois : « Philippe d’Orléans est un prince curieux de tout et doué pour tout, les sciences, la musique, la peinture… Dérogeant aux règles de la cour, il aime la ville, Paris, plutôt que Versailles. Il n’aime pas la chasse et lui préfère l’opéra. Il est aussi libre penseur, libertin et volontiers impie : l’anecdote rapportée par Saint-Simon, qui le montre lisant Rabelais et éclatant de rire pendant la messe, est célèbre. Ces derniers traits de caractère, qui nous le rendent aujourd’hui attachant et humain, n’ont pas servi sa réputation à son époque. Loin s’en faut ! Ils lui ont valu sa mise à l’écart par Louis XIV pendant quelques années et ont nourri la légende noire d’une régence futile et libertine. ». Dans ce portrait, on
Augustin Justinat, Louis XV, roi de France, 1717 © Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Dist. RMN-Grand Palais / Photo : Christophe Fouin
reconnaît l’incarnation qu’en avait fait Philippe Noiret en régent, dans le film de Bertrand Tavernier : Que la fête commence…
L’importance des Lumières
Quelle rupture donc apporte cette régence hormis le fait de déplacer, pendant son temps, le centre du pouvoir de Versailles à Paris ? En ce début du Siècle des Lumières qui voit le jour à Paris, la société semble soudainement se décorseter et remettre en cause tous ses fondements, libéralisant les esprits… D’une certaine société du moins, le peuple lui ne voyant pas vraiment sa condition changer.
Si Louis XIV ne se privait pas de s’afficher avec ses maîtresses, les installant même à la cour, l’étiquette rigide, les normes imposées rejaillissaient, elles, sur le comportement social. La Régence, de par la conduite de Philippe d’Orléans entre autres, est une époque de la montée en puissance du libertinage, de la remise en question du pouvoir religieux, une époque de grande vitalité qui commence à remettre en cause le pouvoir royal, l’Église et l’arbitraire. Mais, créditons Philippe d’Orléans d’avoir politiquement deux préoccupations : assurer la France d’une paix durable après les guerres perpétrées par Louis XIV ; et économiquement, de rétablir les finances mises à mal par ces incessantes guerres de son oncle.
Jean-Baptiste Oudry, Comédiens italiens dans un parc, vers 1719 © Collection privée / Stéphane Briolant
Cette exposition forte de 200 œuvres (peintures, sculptures, œuvres graphiques, éléments de décors, pièces de mobilier et autres objets) s’inscrit bien dans le cadre d’un renouveau de l’intérêt porté, de plus en plus de nos jours, pour ce XVIIIe siècle de transition, entre un pouvoir royal absolu et non contesté et une ouverture vers une certaine prise de conscience qui va mener à la Révolution. Cette Régence, ici déclinée dans presque tous ses aspects, voit Paris se transformer, de nouveaux quartiers désengorgeant le centre étouffant, comme les faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré, la Place Vendôme ainsi que la construction de nombreux hôtels particuliers et fontaines publiques qui modèlent un nouveau visage de la capitale qui, déjà, était sans conteste la capitale la plus prestigieuse d’Europe, pour devenir cette « nouvelle Rome » appelée de ses vœux par Louis XIV.
En ce qui concerne la culture, cette période jouit d’une effervescence dans la foulée des Lumières. Marivaux, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Casanova, Beaumarchais donnent le ton des discussions dans les théâtres, chez les libraires comme dans les salons littéraires à l’image de celui fort couru de Madame Lambert. Ces écrivains, dont les écrits analysent et critiquent la société, ne le font pas sans risque. Le jeune Voltaire sera, par exemple, embastillé en 1717 pour
avoir colporté des rumeurs contre le régent. C’est l’époque où non seulement les esprits se libèrent, mais il est aussi celui des innovations comme avec la création de la monnaie-papier et du système boursier sous l’égide du banquier franco-écossais John Law. Quant à l’art, les peintres comme Boucher, Watteau, Fragonard ou la Vénitienne Rosalba Carriera font entrer la légèreté et la comédie dans les arts.
Retour à Versailles
Le choix d’une évocation thématique de la Régence permet de bien se rendre compte de la mutation de la société pendant ces années de transition qui firent beaucoup pour transformer les esprits et renforcer l’aura de Paris comme une capitale politique et culturelle de premier plan.
Une capitale que le jeune Louis XV va quitter en juin 1722 pour retourner au Versailles de son enfance, lui qui fut le seul roi né et décédé dans le château de son bisaïeul. L’année d’après voit officialiser sa majorité, c’est la fin de la Régence. Philippe d’Orléans a terminé et bien tenu son rôle. Il n’y survivra pas beaucoup puisqu’il décède le 3 décembre 1723, laissant un pays en paix, des finances restaurées et une monarchie consolidée. L’histoire, un peu ingrate, laisse de lui l’image d’un libertin, libre, jouissant des plaisirs et des arts. Et pourtant, il fut plus que cela, un vrai gouvernant. Cette exposition lui redonne – enfin ! – sa véritable dimension en un bilan positif de son court « règne ».
Musée Carnavalet. 23, rue de Sévigné Paris (3e)
À voir jusqu’au 25 février 2024
Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 18h.
Fermeture des caisses à 17h30.
Accès :
Métro
Ligne 1 stations : Saint-Paul ou Hôtel de Ville
Bus
Ligne 29 station : Tournelles-Saint Gilles ou Payenne
Ligne 75 stations : Archives-Haudriettes
Ligne 96 station : Saint-Claude
Site de l’exposition : ici
Catalogue
La Régence à Paris (1715-1723)
L’aube des Lumières
Sous la direction de José de Los Llanos et Ulysse Jardat
Éditions Paris Musées
256 pages, 220 illustrations, 39 €