Assistante et modèle d’Edward Weston, Tina Modotti devient photographe en ouvrant un studio au Mexique en 1923. Envoûtée par ce pays, elle prend vite fait et cause pour le peuple mexicain des déshérités et des classe laborieuses en devenant une militante engagée à leur cause. Un militantisme qu’elle traduit en images. Le Jeu de Paume lui consacre sa première exposition en France.
Exposition Tina Modotti au Jeu de Paume jusqu’au 12 mai 2024
Cartouchière, faucille et guitare, 1927 © Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico
Sans titre (Indiens transportant des chargements de feuilles de maïs) 1926-1929 © San Francisco Museum of Modern Art.
Mains tenant un manche de pelle vers 1926-1927 © Collection de la Fundaciòn Televisa, Mexico
Homme portant une poutre, 1926 © Collection de la Fundaciòn Televisa, Mexico
Femme de Tehuantepec portant un jicalpextle, 1929 © Galerie Throckmorton Fine Art, New York
Sans titre (Marche politique avec banderole), vers 1928-1929 © Galerie Throckmorton Fine Art, New York
Réservoir no 1, 1927 © Galerie Throckmorton Fine Art, New York
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En schématisant, on peut avancer que l’histoire de la photographie a, dès sa création, tourné autour de deux axes. La photographie artistique due à des photographes dont l’esthétique était la raison première de leur travail qui ira des points de vue les plus classiques des pictorialistes à la modernité la plus avancée allant jusqu’à l’abstraction la plus radicale.
L’autre pan est celui de la photo documentaire, visant avant tout à rendre compte du réel dans une optique sociétale, sociale, politique voire militante. Tina Modotti (1896-1942), photographe italienne, coche les deux cases, et même plus car, dans le Mexique post révolutionnaire, elle est une figure militante, une activiste engagée auprès des militants, n’hésitant pas à passer par la photographie pour appuyer son engagement jusqu’à faire passer la photographie au second plan pour prendre part aux causes qu’elle défend. Ce qui lui vaudra quelques désagréments. Elle reste malgré tout « une icône de la photographie », résume Quentin Bajac, le directeur du Jeu de Paume.
Peu connue du grand public, sa figure de passionaria a façonné une légende et des fantasmes auxquels se prête son engagement auprès des plus démunis, paysans et ouvriers. Mais qui était-elle vraiment ? La question se pose même à Isabel Tejeda, commissaire de cette première exposition consacrée à la photographe italienne au Jeu de paume à Paris : « Le problème, c’est que sa vie a été beaucoup trop romancée ». Il est vrai qu’en feuilletant livres et articles la concernant, on trouve un peu de tout : couturière, comédienne de théâtre, actrice pour quelques productions commerciales, second rôle dans quelques films, vendeuse, mannequin, modèle nu pour Weston voire même espionne à la solde du KGB !
La vérité est tout à la fois plus simple mais très romanesque. D’origine ouvrière, elle naît le 16 août 1896 à Udine, capitale de la province italienne du Frioul, dans une fratrie de sept enfants, d’un père mécanicien et d’une mère couturière. On peut voir dans ce début de vie son fait et cause pour la classe laborieuse qui sera le marqueur de sa vie de photographe. Deux ans après sa naissance, son père trouve un emploi dans une usine et la famille quitte Udine pour Klagenfurt, en Autriche avant de s’embarquer, en 1906, pour tenter sa chance aux États-Unis, et rejoindre l’un de ses frères établis en Pennsylvanie.
Un certain Edouard Weston
C’est à San Francisco qu’il s’établira ouvrant un atelier de réparations mécaniques. En
Hommes lisant El Machete, vers 1929 © Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico
1913 Tina et la famille le rejoignent. Tina trouve un emploi comme couturière dans un magasin de mode pour lequel, sa beauté aidant, elle est aussi employée comme mannequin. En 1917, elle se marie avec Roubaix de l’Abrie Richey (dit Robo), un poète, qui lui ouvre les portes de la bohème et des jeunes artistes du cru, dont un certain Edouard Weston, de dix ans son aîné qui va l’initier à la photographie.
Cette exposition – forte de 240 tirages – a demandé plusieurs années de recherches et préparation, et tente donc de remettre les faits à leur juste place. Son entrée en photographie date, on en est certain, de sa rencontre avec Edward Weston qui fut son mentor – et même un peu plus… – et qui signera avec elle de beaux nus. La photo, mais aussi le Mexique sont les deux marqueurs de leur relation puisqu’en 1923, ils s’y installent au Mexique et ouvrent leur studio. Fini les petits rôles, les photos et la course aux cachets, Tina Modotti devient photographe.
Femme au drapeau, 1927 © The Museum of Modern Art, New York
Seconde rencontre d’importance : celle des intellectuels, artistes et du Parti communiste mexicain dont elle épouse les idées donnant rapidement à ses clichés une dimension sociale. Dès lors elle se détache du formalisme de Weston pour affirmer sa propre démarche. Ses clichés mixent, à des recherches très graphiques aux constructions flirtant par moment avec l’abstraction, ses thèmes de prédilections signant son engagement politique qu’elle symbolise en 1927 par un cliché saisissant : Cartouchière, faucille et guitare… On ne peut guère faire plus concis !
Expulsée du Mexique !
Elle s’immerge complètement dans la culture de son nouveau pays. Voyageant dans tout le Mexique à la recherche de motifs architecturaux, de la culture populaire, elle se rapprochant de plus en plus du petit peuple dont elle laisse de touchants portraits tous empreints d’une grande humanité. Tina Modotti devient une photographe reconnue collaborant, dès lors, avec des revues mexicaines de premier plan. Au centre de son travail, son engagement social, voire politique, en donnant à voir la réalité des classes laborieuses. Son travail met l’accent sur les travaux épuisants et sans dignité, les inégalités et la misère des zones urbaines, et se penche aussi et surtout sur la condition des femmes, dans une société très fortement marquée par le patriarcat et le machisme.
Son engagement qui lui vaut d’être expulsée du Mexique en février 1930. On la retrouve en Union soviétique qui approfondit encore plus son militantisme, voire son activisme. Après un passage par Paris où elle est envoyée pour installer une tête de pont du SRI, cette organisation de secours aux réfugiés communistes. En 1936, le Parti communiste soviétique l’envoie en Espagne où la Guerre civile fait rage. Là, elle a la charge de la coordination du SRI : elle organise l’évacuation des enfants de la guerre, coordonne la gestion des hôpitaux militaires et mène à bien les missions relatives à la propagande. À la défaite des républicains, elle se retrouve aux côtés de nombreux exilés. Elle est refoulée en France, puis elle quitte l’Europe pour retrouver le Mexique où elle meurt, à Mexico, en 1942, à l’âge de 46 ans. Si durant ses dernières années la militante a éclipsé la photographe, elle n’en demeure pas moins l’une des plus importantes photographes de son temps.
Musée du Jeu de Paume. 1, Place de la Concorde (8e)
À voir jusqu’au 12 mai 2024
Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 19h.
Mardi nocturne jusqu’à 21h.
Accès :
Métro : lignes 1, 8 et 12 station Concorde. Ligne 14 station : Madeleine
Bus : lignes 42, 45, 72 et 84, arrêt Concorde
Site de l’exposition : ici