Le Petit Palais nous propose une rétrospective du peintre Théodore Rousseau, un artiste qui fut l’un des acteurs importants de l’École de Barbizon. Chantre de la nature, activiste en son temps pour la sauvegarde de la forêt, il nous a laissé de ses déambulations sylvestres de très touchantes œuvres de cette forêt qu’il chérissait par-dessus tout et dont il prend conscience de sa fragilité. Le premier des écologistes ?
Exposition Théodore Rousseau, la voix de la forêt au Petit Palais jusqu’au 7 juillet 2024
La Mare au chêne, 1860-1865 © Musée Thomas-Henry, dépôt du musée d’Orsay, Cherbourg-en-Cotentin / Ph.: Alexis Morin
L’Abreuvoir, s. d. © Musée des Beaux-arts de Reims / Ph. : Corentin Le Goff.
L’Allée de châtaigniers,1825-1850 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Clairière dans la Haute Futaie, forêt de Fontainebleau, avant 1866 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
Sortie de forêt à Fontainebleau, soleil couchant, 1848-1850 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot.
Le Chêne de Roche, 1860 © Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.
Un Arbre dans la forêt de Fontainebleau, 1840-1849 © Victoria and Albert Museum, London
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On aime bien situer dans l’Histoire comme dans l’art, les repères, bornes et cases où ranger les uns et les autres, afin de bien en mesurer leur apport et leur importance dans la continuité de la grande histoire. Il faut donc rattacher quelque part, le peu connu du public, Théodore Rousseau (1812-1867), auquel le Petit Palais nous offre une belle rétrospective forte d’une centaine d’œuvres, dessins, photos et autres documents. De par son temps d’activité, mais aussi et surtout sa manière et ses pairs, Théodore Rousseau est donc un « barbizonnien » néologisme appliqué à cette école qui alla chercher ses motifs autour de cette localité de Seine-et-Marne en bordure de la forêt de Fontainebleau. Sorte de Pont-Aven de grande banlieue qui avait son phalanstère, l’Auberge Ganne, qui abrite aujourd’hui le musée des Peintres de Barbizon.
Dans ce XIXe siècle qui vit tant de mouvements éclore et qui prépara les grandes mutations du siècle à venir, ce XIXe siècle du romantisme, symbolisme, naturalisme, pré-impressionnisme, impressionnisme post-impressionnisme, divisionnisme, etc… Cette École de Barbizon préfigure l’impressionnisme de par le choix de ses peintres d’œuvrer sur le motif et par leur thème de prédilection : la nature.
Cette école, émanation post-romantique, sera active de 1820 à 1870. Ses adeptes sont Corot en chef de file, accompagné de Daubigny, Millet, Coignet, Dupré, Diaz de la Peña et… Théodore Rousseau, qui décéda là en décembre 1867. Leur crédo : la nature et ceux qui y vivent et en vivent. Forêt, champs, rochers et vaches, moutons, bergers et fermiers. Une penture gentille et… « aimablement barbante » pour reprendre la formule de Philippe Dagen (Le Monde, août 2002) lors d’une exposition de ses peintres. Et pourtant, ce mouvement est d’importance dans la mesure où beaucoup veulent y voir l’approche du mouvement impressionniste qui serait né, sur ses décombres, au milieu des années 70, apportant fraîcheur et lumière là où les peintres de Barbizon cultivaient une fin de romantisme un peu bourbeux.
Théodore Rousseau, né à Paris le 15 avril 1812, fut l’un des artistes les plus emblématiques des « barbizonniens », biberonné par sa mère au lait d’une famille qui, côté maternel, comportait quelques cousins artistes qui n’ont pas laissé une grande trace. Le père, lui, est tout à son métier de tailleur. C’est donc tout naturellement que le jeune Théodore intègre une classe de dessin du pensionnat où il effectue ses humanités. Cette classe est dirigée par un certain Pau de Saint-Martin, encore un cousin, qui le balade dans la forêt de Compiègne afin de crayonner « sur le motif » quelques études. Pas de doute, il semble doué. Si bien que la famille se plie à ce constat et voilà Théodore qui intègre Les Beaux-Arts de Paris dans la classe de Jean-Charles-Joseph Rémond, un peintre paysagiste, Grand Prix de Rome en 1821. Il s’y ennuie ferme, refuse la voie tracée et ce « grand tour » obligatoire pour tout rapin d’aller se frotter en Italie à l’antique. Non, ce qu’il préfère, c’est de prendre des bouffées d’oxygène lors d’escapades en forêt. Oublié l’enseignement trop académique des Beaux-Arts ! En 1830, à tout juste 18 ans, il entame son « Grand tour » à lui en un périple qui le mène en Auvergne, une première évasion suivie d’autres au travers de la France. Il en ramène bon nombre d’études, observe tout arbres, marais, rochers qui lui servent pour élaborer ses tableaux ensuite. Ce besoin de s’immerger dans la nature, de la peindre sans recul, sans perspective, mais en faisant corps avec elle est, et restera, son credo. Au Louvre où, comme tant d’autres, il s’exerce à la copie, il admire Claude Lorrain, les paysagistes hollandais et anglais. La nature toujours…
Il renonce aux salons !
C’est Ary Scheffer, peintre, mais aussi critique, qui entend parler de lui. Il le présente à un groupe de peintre en réaction à l’art officiel. Il fait la connaissance de Diaz de la Peña et de Jules Dupré qui partagent les mêmes idées. Son art évolue tant que s’il avait pu présenter des œuvres aux salons de 1831 à 1834, il se voit refuser ses œuvres au Salon de 1836. Sa radicalité, présentant la nature de façon brute, sans perspective, rebute la critique. Dès lors, il sera systématiquement refusé aux salons et ira, après plusieurs échecs, jusqu’à renoncer à y faire candidature !
Paradoxalement, ce rejet qui lui vaut le surnom de « grand refusé », lui permet d’acquérir une notoriété et un véritable succès critique et commercial en France comme à l’étranger. Si les officiels le boudent, les académiciens le fustigent, une
Une Avenue, forêt de l’Isle Adam, 1849 © Musée d’Orsay, Paris / Ph.: RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski.
certaine presse, bien que muselée dans ses articles politiques, trouve dans les pages culture une certaine liberté. De grandes plumes viennent au secours de son art jusqu’à proclamer sous la plume de Paul Mantz, historien de l’art et journaliste, qui sera aussi le défenseur de Delacroix, que Rousseau « est le premier paysagiste d’Europe, et du même coup le paysage, qui était autrefois réputé pour un genre secondaire, est placé au même rang que la peinture d’histoire. ». Mais il y reviendra triomphalement au Salon, en 1849, avec Une Avenue, forêt de l’Isle-Adam (1849), une œuvre qui lui aura demandé deux ans de labeur ! Le temps et les regards ont changés.
Son installation à Barbizon en 1847 le met au milieu d’une assemblée qui va, sinon révolutionner l’art, changer le regard d’autant que là, dans ce village tranquille, doté d’une seule rue, est aussi installée une kyrielle de peintres partageant les mêmes idées mais aussi Eugène Cuvelier et Gustave Le Gray entre autres, adeptes de cette technique nouvelle : la photographie qui va bouleverser les codes.
Son combat, c’est dans la forêt qu’il le trouve, dans ses paysages, ses « portraits » d’arbres (Un Arbre dans la forêt de Fontainebleau, 1840-1849) en un précurseur des combats écologiques qui mettront plus d’un siècle et demi pour être pris en considération. Prenant fait et cause pour les « coupes sombres » d’arbres séculaires et vernaculaires, afin d’être remplacés par d’autres espèces qui faisaient perdre à nos forêts leur « vieux type gaulois ».
Le Massacre des Innocents
Il ose écrire, au duc de Morny, le demi-frère du futur Napoléon III, au sujet de sa chère forêt de Fontainebleau, à une époque où la nature n’était en rien le souci des politiques et des dirigeants : « Monseigneur, permettez-moi de venir au nom de l’art vous demander justice contre des faits qui depuis trente ans attristent les artistes. Je veux parler des dévastations qui se commettent par l’administration elle-même dans la forêt de Fontainebleau. ».
L’une de ses œuvres montrant des arbres abattus est même titré Le Massacre des Innocents ! La forêt… pas touche ! Il mènera campagne contre les coupes prévues, se battra contre la création des tout premiers sentiers pédestres balisés au monde. En 1852, avec l’historien d’art Alfred Sensier, et au nom « de tous les artistes qui peignent la
Le Massacre des Innocents, 1847 © Collection Mesdag, La Haye.
forêt », les deux demandent à l’administrateur que « les lieux soient mis hors d’atteinte de l’administration forestière qui les gère mal, et de l’homme absurde qui les exploite ». Il sera entendu et l’administration décidera de créer, dix ans plus tard, une réserve naturelle de plus de 1000 hectares ! La première du monde !
La forêt menacée
Car la forêt, pour lui, n’est en rien le fond de toile d’une œuvre servant d’écrin à une scène de genre ou de mythologie. La forêt a une identité, des habitants (les arbres) et ses tableaux ne sont pas de simples vues, mais de véritables « portraits » ayant souvent pour titre un motif bien défini, un endroit spécifique : Le Vieux Dormoir du Bas-Bréau, Clairière dans la Haute Futaie, Étang de Franchard, Groupe de chênes Apremont, Les Gorges d’Apremont ou Le Pavé de Chailly comme pour rendre à chacune de ses compositions leur identité propre. D’ici à imaginer qu’il prenait les arbres dans ses bras, il n’y a qu’un pas !
Sa palette est souvent sombre, charbonneuse, comme cette Allée de Châtaigniers (1825-1850), renforçant le mystère, donnant à ses compositions des airs ténébreux à l’image des dessins d’un Victor Hugo. Mais aussi quelques autres œuvres souffrent de son emploi du bitume de Judée qui, d’un beau roux, dans le temps, devient noir. Cette noirceur participe aussi à souligner le mystère des lieux et les nimbe d’un romantisme presque nostalgique, d’une nature brute, touffue qu’il nous restitue en spectateur comme s’il ne voulait pas déranger ce que la nature a façonné.
Des représentations frontales qui, dans certaines œuvres, offrent des trouées vers la lumière offrant une perspective soudaine (Sortie de forêt à Fontainebleau, soleil couchant, 1848-1850 ou Une Avenue, forêt de l’Isle Adam, 1849), comme une sortie honorable de cette nature qu’il semble vouloir laisser telle, alors qu’il la sait menacée. Une nature rarement pastorale avec quelquefois des animaux perdus dans la composition voire d’un gardien de troupeau (L’Abreuvoir, s.d. ou La Mare au chêne, 1860-1865). La nature dans ce qu’elle a de plus simple et de plus majestueux. Sa grande ambition est de peindre « la manifestation de la vie », de faire « qu’un arbre puisse réellement végéter ». Théodore Rousseau, le premier des écolos ?
Musée des Beaux-Arts / Petit Palais, avenue Winston Churchill (8e).
À voir jusqu’au 7 juillet 2024
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h.
Nocturnes le vendredi et le samedi jusqu’à 20h.
Accès :
Métro : lignes 1 et 13, station Champs-Elysées Clemenceau ; ligne 9, station Franklin-Roosevelt
RER : ligne C, station Invalides
Bus : 28, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Théodore Rousseau, la voix de la forêt
Sous la direction de Servane Dargnies-de Vitry, commissaire scientifique de l’exposition.
Éditions Paris Musées. 208 pages, 139 illustrations, 35 €