Il y a un siècle exactement, paraissait le Manifeste du Surréalisme d’André Breton. Une commémoration s’imposait pour remettre en lumière ce mouvement, l’un des plus importants du siècle dernier. Le Centre Pompidou se montre à la hauteur du défi en nous proposant une exposition fleuve qui réunit tous les grands noms du surréalisme, peintres, photographes, auteurs comme poètes. Un mouvement qui se voulait une libération totale des esprits. La grande exposition de la rentrée.
Exposition Surréalisme au Centre Pompidou Paris jusqu’au 13 janvier 2025
Vue in-situ d’une salle. Au centre : Hans Bellmer, La Poupée, 1935-1936 (Centre Pompidou). Au mur à gauche : Salvador Dali, Visage du grand masturbateur, 1929 (Museo Reina Sofia). À droite : Francis Picabia, Les Amoureux (après la pluie), vers 1924-1925 (musée d’Art moderne de Paris) © Adagp, Paris 2024 / Ph.: D.R.
Surréalisme ! Le mot est souvent galvaudé et l’adjectif surréaliste est devenu banal, il a même pris une étrange élasticité, balayant large et rameutant sous ce « label » tout ce qui, de près ou de (très même) loin se veut un peu hors du champ habituel de l’acceptation courante. Quant au mouvement, dont il est le nom, il est, lui encore, relativement et étonnement peu connu, un siècle après sa création. Peu connu dans toute sa diversité et son rayonnement et souvent réduit aux seuls noms de Breton, Dali et Magritte, la partie immergée de ce mouvement qui essaima dans le monde entier ! Et bien souvent on occulte sa dimension littéraire, poétique voire politique. D’où l’intérêt de cette exposition fleuve (500 œuvres environ !) que nous présente le Centre Pompidou – après celle de 2002 – en prenant comme juste prétexte la commémoration de la parution, en octobre 1924, du Manifeste du Surréalisme d’André Breton, le pape du mouvement.
Avant sa fermeture pour quelques années, et considérant l’attrait de plus en plus important pour ce mouvement, le Centre Pompidou nous propose cette évidente exposition. Renforcé, de plus, par l’attrait (artistique comme financier) pour les œuvres et les artistes qui s’en réfèrent.
Max Ernst, L’ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme), 1937 © Coll. part. / Ph.: Vincent Everarts Photographie / Adagp, Paris, 2024
Si le vocable surréalisme semble bien rentré dans notre langue, en est-il de même pour le mouvement dont il est le nom ? Et que sait-on vraiment – qui l’a lu ? – du manifeste qui l’a porté sur les fonts baptismaux. Peu, nous dit d’entrée Didier Ottinger, directeur adjoint du musée national d’art moderne, qui partage le commissariat de l’exposition avec Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes du Centre Pompidou, qui le met en parallèle avec celui du Futurisme, l’autre grand mouvement d’idées de cette première moitié du XXe siècle.
Car si on associe d’évidence le surréalisme aux arts plastiques (peinture, sculpture, photographie) qui en font l’acmé, on laisse souvent de côté son aspect « intellectuel », ce brassage d’idées fait à coups d’oukases, de déclarations, de papillons proclamant des utopies, d’écrits et de poésies. Un mouvement qui pourtant « n’a rien à voir avec la littérature » comme le proclamait une déclaration de Breton du 27 janvier 1925.
Et pourtant ! Le surréalisme abreuvera les librairies d’une littérature et de poésie des plus fournies due à Breton et à ses « disciples » comme Aragon, Éluard, Tzara, Péret, Artaud, Crevel, Jacob, Daumal et tant d’autres. Si l’exposition du Centre Pompidou lève un coin de voile sur cette version littéraire et politique du surréalisme avec des manuscrits, livres, affiches et autres pamphlets ou revues, elle laisse, musée d’art moderne oblige, la part belle à sa dimension plastique.
Au centre de l’exposition : le Manifeste de Breton
Dans une scénographie en spirale, imitée de celles utilisées par Marcel Duchamp qui mit en scène les expositions surréalistes historiques, on entre ici par une « porte de l’enfer », reproduction de cette bouche grande ouverte, armée de deux crocs, qui était l’entrée d’un cabaret du boulevard de Clichy, aujourd’hui disparu, et dont le photographe Doisneau nous a laissé un cliché. Passé cette « porte », un couloir sombre conduit tout droit, telle une allée conduisant à un naos, dans une rotonde où trône l’édition originale du Manifeste entourée du manuscrit original avec, pour guide, la voix de Breton (rebidouillée par l’IA … paradoxal quand on sait que Breton, à contrario des futuristes, détestait tout ce qui touchait aux technologies !) ânonnant des passages dudit Manifeste.
René Magritte, Les valeurs personnelles, 1952 © San Francisco Museum of Modern Art / Ph.: Katherine Du Tiel / Adagp, Paris, 2024
Et de là un système d’ouverture nous permet, de salle en salle, de rayonner dans l’exposition. Celle-ci est divisée en 13 chapitres reprenant des thèmes emblématiques du surréalisme, à savoir l’onirisme, les chimères, Mélusine, les médiums, les monstres, le cosmos et naturellement Éros et d’autres. Tous ces thèmes chers aux surréalistes, charpentèrent le mouvement, de sa genèse en 1924, puis lors de sa « reprise » après-guerre et du retour de Breton et de quelques surréalistes des États-Unis.
Le surréalisme, mouvement qui fait suite au dadaïsme né après la Première Guerre mondiale –en reprend une partie de la doxa. Le surréalisme se veut une « libération totale des esprits… comme un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » comme il est défini dans son Manifeste. Et quelle meilleure définition que celle donnée par Toyen : « Dans la salle obscure de la vie, je regarde l’écran de mon cerveau ». En remontant plus loin, on peut aussi trouver ses racines dans le romantisme et le symbolisme qui chahutèrent les esprits à la fin du XIXe siècle, voire, en remontant plus loin encore, chez certains « proto-surréalistes » comme Bosch ou Arcimboldo. Le surréalisme se veut donc une révolte contre tous les tenants autoritaires de la société (religieux, moraux, économiques, militaires…) faisant suite aux désastres de la Première Guerre mondiale.
Tous les grands noms du mouvement
L’exposition est à la hauteur de son sujet, et ce, pour plusieurs raisons. On y trouve déjà tous les grands noms du mouvement et dans toutes les disciplines, avec des prêts prestigieux de grands musées et de collections privées du monde entier.
Dora Maar, Sans titre [Main-coquillage], 1934 © Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris Achat, 1991 / Ph.: Jacques Faujour/Dist. RMN-GP / Adagp, Paris, 2024
Parmi les œuvres les plus remarquables : Le Grand Masturbateur de Salvador Dalí (Musée Reina Sofía, Madrid), Les Valeurs personnelles de René Magritte (SFMoMA, San Francisco), Le Rêve de Salvador Dali (John L. Severance Fund Cleveland), Le Cerveau de l’enfant de Giorgio de Chirico (Moderna Museet, Stockholm), Chant d’amour (MoMA, New York) de Giorgio de Chirico, La Grande Forêt de Max Ernst (Kunstmuseum, Bâle), La Table d’Alberto Giacometti (Centre Pompidou, Paris), Magnétic Mountain de Kurt Seligman (The Art Institute of Chicago), La Toilette de la mariée de Max Ernest (Musée Peggy Guggenheim, Venise), Le Labyrinthe d’André Masson (Centre Pompidou, Paris) ou encore Chien aboyant à la lune de Joan Miró (Philadelphia Museum of Art). Sans oublier les photographes qui alimentèrent de leurs visions, et de leurs bidouillages en labo, la galaxie surréaliste comme Man Ray, André Kertész, Raoul Ubac, Erwin Blumenfeld, Hans Bellmer ou encore Brassaï, qui donnèrent un corps réaliste au mouvement.
Un mouvement international
Et naturellement, une place importante est donnée aux figures féminines du mouvement. Sont mises à l’honneur les peintres Leonora Carrington, Valentine Hugo, Unica Zürn, Suzanne Van Damme, Mimi Parent ou Dorothea Tanning, les photographes Dora Maar ou Claude Cahun et de nombreuses autres. Mouvement international aussi – l’un des rares à s’internationaliser dans un monde de l’après Première Guerre mondial souvent replié sur ses nationalismes – et l’exposition pousse les frontières pour traquer les branches extérieures du surréalisme et de ses abords avec Tatsuo Ikeda (Japon), Wolfgang Paalen (Autriche), Helen Lundeberg (États-Unis), Kay Sage (USA), Toyen (Tchécoslovaquie), André Delvaux (Belgique), Wilhelm Freddie (Danemark), Rufino Tamayo (Mexique), Victor Brauner (Roumanie). Avec l’imagination au (et à leur) pouvoir, tous ces artistes ont défriché de nouveaux territoires à l’art, là où l’esprit ne s’était guère aventuré avant. Ils furent suivis par d’autres qui continuèrent l’aventure dans les années suivantes comme Jorge Camacho, Joseph Cornell, Leonor Fini, Jean Benoît ou les cubains Agustín Cárdenas et Wilfredo Lam.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Le surréalisme n’est pas mort, mais d’évidence son âge d’or est terminé.
Le « Paris surréaliste » des galeries
Parallèlement à l’exposition, dans le cadre d’une collaboration inédite entre le Centre Pompidou, l’Association Atelier André Breton, et le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA), de nombreuses galeries parisiennes, ainsi que des librairies partenaires, consacrent
au surréalisme, historique ou « contemporain », expositions thématiques, monographies, hommages et événements spécifiques. Elles esquissent ainsi la carte d’un « Paris surréaliste » invitant à la déambulation dans la cité qu’affectionnaient les surréalistes.
Liste des galeries participantes à retrouver ici
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
À voir jusqu’au 13 janvier 2025
Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d’exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)
Accès :
Métro : Rambuteau (ligne 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11), Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14)
RER : Châtelet Les Halles (lignes A, B, D)
Bus : 29, 38, 47, 75
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Surréalisme
Sous la direction de Didier Ottinger et Marie Sarré
Éditions du Centre Pompidou
344 pages, plus de 600 ill., 49,90 €