La fondation Louis Vuitton nous entraîne dans le monde pop, doucereux et un brin kitsch de Tom Wesselmann dont les œuvres reflètent l’American way of life, dans une époque, l’Amérique des années 60 et 70, où le monde découvrait la consommation à outrance. A ses côtés, des stars du mouvement mais aussi ceux, contemporains, qui perpétuent cet esprit.
Exposition Pop forever. Tom Wesselmann et Cie à la fondation Louis Vuitton jusqu’au 24 février 2025
Tom Wesselmann. Still Life #60, 1973 © The Estate of Tom Wesselmann, New York / ADAGP, Paris, 2024 / Ph. : Robert McKeever, Courtesy Gagosian Gallery
Tom Wesselmann, Bathtub Collage #1, 1963 © Museum für Moderne Kunst, Francfort / Adagp, Paris, 2024 / Ph.: Axel Schneider
Tom Wesselmann, Mouth #14 (Marilyn), 1967 © Mugrabi Collection / Adagp, Paris, 2024 / Ph. : Jeffrey Sturges
Tom Wesselmann, Still Life with Blue Jar and Smoking Cigarette, 1981 © Robert McKeever;Courtesy Gagosian Gallery / Adagp, Paris, 2024
Tom Wesselmann, Great American Nude #34, 1962 © Mugrabi Collection / Adagp, Paris, 2024 / Ph. : D.R.
Tom Wesselmann, Sunset Nude with Big Palm Tree, 2004 © Fukutake Found., Naoshima / Adagp, Paris, 2024 / Ph. : Jeffrey Sturges
Tom Wesselmann, Screen Star, 1999-2003 © The Estate of Tom Wesselmann, New York / Adagp, Paris, 2024 / Ph. : Jeffrey Sturges
Cliquez sur les vignettes pour les agrandir
Pop ! Enfin, une exposition allait célébrer ce mouvement si cher au cœur des « boomers », cette génération nourrie au lait de l’émergence de la société de consommation. Une époque qui, en nos temps troublés, parle aussi à leur descendance pour qui elle sonne comme des années joyeuses et libertaires. Attendue forcément depuis celle de 2001 au Centre Pompidou ! Un quart de siècle ! Et puis l’affiche est des plus alléchantes avec ses couleurs… pop et cette ribambelle de noms ! Ils sont venus, ils seront tous là ! Même ceux venus du fin fond des sixties !
« Pop forever » – forever ? On peut douter de la pérennité d’un mouvement qui signe, comme souvent, seulement une époque, mais ici on va tenter de nous démontrer que l’esprit pop n’est pas à enterrer. Donc, on s’attendait à une rétrospective de ce mouvement… mais le nom en gros (et gras), en dessous du titre et le code couleurs de l’affiche, nous renseignent plus avant sur le propos de l’exposition. Il s’agit surtout et avant tout d’un survol de l’œuvre de Tom Wesselmann (1931-2004) dont les œuvres squattent plus des deux tiers de la présentation.
Roy Lichtenstein. Thinking of Him, 1963 © Estate of Roy Lichtenstein New York / Yale University Art Gallery / Adagp, Paris, 2024
Andy Warhol, Shot Sage Blue Marilyn, 1964 © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / ADAGP, Paris 2024
Borné par le collage de Richard Hamilton (absent ici), daté de 1956 (Just what is it that makes your’s today home so different, so appealing) considéré comme l’œuvre emblématique des débuts du mouvement pop art apparu dans cette société de consommation et d’abondance suite aux restrictions de la guerre, la galaxie pop a squatté les musées et les salles de ventes avec un uccès jamais démenti. Une sorte de bouffée d’air frais et joyeux venue d’un temps que les moins de… (air connu). Témoin de son temps, ce mouvement va en définir une approche réaliste en présentant une sorte de signature identitaire de cette société qui découvrait les « joies » consuméristes d’alors… Souvent, paradoxalement, en jetant sur elle un regard acerbe. Pour reprendre les mots d’Alfred Pacquement en préface du catalogue de l’exposition Les Années pop au Centre Pompidou en 2001, le pop art « abat la barrière, jusque-là infranchissable, entre les beaux-arts et le monde de la rue. »
Réalisme, le mot alors, fera florès avec les Nouveaux réalistes, les Néo-réalistes et autres Hyperréalistes comme il le fut dans le passé pour désigner un art bien dans son temps et l’affichant ou le dénonçant, comme ici dans une époque sise dans une dualité : acceptation et dénonciation. Alfred Pacquement toujours : « Critique, cruel parfois, à l’égard de la société qu’il reflète, l’artiste se montre aussi résolument optimiste. ». Parfaite définition de l’art de Tom Wesselmann.
Première expo… Premier succès !
Qui était Tom Wesselmann ? Né le 23 février 1931 à Cincinnati (Ohio), il étudie d’abord la psychologie à l’université de son état, puis, commence à dessiner pendant sa période militaire à la suite de laquelle il s’inscrit à l’Art Academy de Cincinnati. Il poursuit ses humanités à la Cooper Union de New York où il travaille de nombreuses disciplines comme le dessin, la peinture et même la bande dessinée. Là, il découvre au MoMa, l’abstraction des de Kooning, Motherwell et Pollock. Voulant s’en extraire, il s’oriente vers la figuration, la nature morte, le nu, et crée alors sa propre grammaire qui le fait associer au pop art.
Jasper Johns, Flag, 1958 © Jasper Johns / Adagp, Paris, 2024
Tom Wesselmann, Sunset Nude with Matisse Apples on Pink Tablecloth, 2003 © Adagp, Paris, 2024 / Ph.: Jeffrey Sturges
Très vite, dès 1961, il est exposé d’abord, et avec succès (un mot qui, aux États-Unis signifie que tout fut vendu), à la Tanager Gallery, puis, fort de cette première reconnaissance, il intègre la Green Gallery avec ses « grand nus américain », et aussi une série sur des collages à base de photos découpées dans des magazines, ou encore avec des assemblages mêlant à des décors peints, des objets du quotidien. Et enfin, après la fermeture de la Green Gallery, on le retrouve chez Sidney Janis, la mythique galerie de l’expressionnisme abstrait et aussi des « News realists » Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg et Andy Warhol.
En 1963 le MoMa l’achète, une consécration qui l’installe parmi les artistes les plus en vue de son temps. Mais son aura s’essouffle et il faudra attendre 2012 – soit huit ans après sa disparition ! – pour qu’une rétrospective lui soit consacrée en Amérique du Nord… Et encore au Canada !
De Dada à la scène contemporaine
Tom Wesselmann est donc au centre de cette exposition qui efface rapidement, dans ses premières salles, une histoire en raccourci du mouvement. Pour ancrer le mouvement, sont appelées d’entrée les stars pop que sont Lichtenstein, Hamilton, Rosenquist, (Jasper) Johns, Oldenburg, Rauschenberg et naturellement le pape Warhol avec une de ses mythiques Marilyn, qui trône seule sur un panneau comme une Joconde des temps modernes.
Sont aussi (et étonnement) conviés, pour inscrire le pop art dans le temps, Koons, Kusama, Ai Weiwei, Raysse, Kaws… Et même quelques vétérans comme Duchamp, Höch ou Schwitters voulant accréditer d’une descendance du côté de Dada. 35 œuvres sont ainsi présentées des années 20 aux radicelles les plus contemporaines du mouvement qui tendent à prouver que, venu de Dada, l’esprit pop continue d’irriguer une certaine scène contemporaine. « Des artistes de générations et nationalités différentes qui partagent une sensibilité Pop » justifient les commissaires.
Tom Wesselmann, Great American Nude #48, 1963 © Fondation Louis Vuitton, Louis Bourjac / ADAGP, Paris, 2024
Tom Wesselmann. Monica with Tulips, 1989 © The Estate of Tom Wesselmann, New York / Ph.: D.R.
Ensuite, les salles déroulent 150 sucreries de Wesselmann, agrémentées d’archives. Le pop art, celui de Wesselmann, appuiera la dimension sociétale du mouvement d’une manière différente de celle de ses pairs. Si, jusqu’à lors, le réalisme, au travers des siècles, avait pour vecteur la peinture de chevalet, Wesselmann, lui, va apporter une touche nouvelle en associant dans ses œuvres des collages d’images puisées dans des magazines. Mais aussi des compositions un peu faciles et téléphonées qui assemblent, en collage, un steack, une bouteille de Four Roses, le drapeau étoilé et un portrait de Washington… dénonciation (ou sublimation ?) des poncifs américains (Still Life #15, 1962).
L’American way of life
Il renforce encore plus son réalisme en associant à des décors peints, des matériaux et objets courants achetés en magasin, ancrant encore plus ses œuvres dans la quotidienneté. On retrouve ainsi toutes sortes de produits ménagers, des emballages, des serviettes, jusqu’à un radiateur, une chaise et sa table (Great American Nude #54, 1964), posés tels, comme dans un catalogue de supermarché. Il nous fait pénétrer dans l’intimité d’une salle de bain avec serviette, abattant de WC et rouleau de papier toilette (Bathtub Collage #1, 1963 ou Bathtub Collage #4, 1964).
Poussant même l’exercice à son paroxysme en présentant, sur une étagère réelle, un bouquet de fleurs, un poste de radio et une bouteille de soda sous une horloge et sur fond de carrelage (Still Life #38, 1964). Avec Wesellmann, on est convié à visiter toutes les pièces d’une maison de l’American way of life : living-room, cuisine, salle de bain et chambre, accessoirisés comme il se doit (Bedroom Blonde with T.V. 1984-1993)
Vue d’une salle de l’exposition. Au centre : Yayoi Kusama, Self Obliteration, 1966-1974 © Yayoi Kusama, 2024. Aux murs, de gauche à droite : Kiki Kogelnik, Self Portrait, 1964 © Kiki Kogelnik Foundation 2024. All rights reserved. Marisol, John Wayne, 1963 © Estate of Marisol / ADAGP, Paris, 2024 / Colorado Springs Fine Arts Center at Colorado College. Marjorie Strider, Triptych II (Beach Girl), 1963 © Marjorie Strider Foundation / Courtesy Galerie Gmurzynska / Stephen Schwartz / Ph.: D.R.
Avec ses Standing still , Wesellmann pousse l’envahissement à son paroxysme certaines de ses œuvres par leur surdimensionnalité renforçant leur irréalité. Téléphone et cigarette (Still Life #56, 1967-1969) sur près de 3 mètres de haut ou cette toile de plus de 8 mètres, assemblage d’un tube de rouge à lèvres, de bijoux et lunettes (Still Life #60, 1973) !
Des nus, des nus, des nus…
Une série supplante nettement les autres, c’est celle des « Great American Nude », et qui est sûrement ce que l’on connaît le mieux de son travail. Une série qui signe une époque de libéralisation des mœurs qui permet à une certaine presse (Playboy, Penthouse, Hustler…) de voir le jour et d’exposer, sans censure, le corps des femmes. Des publications qui se seraient attirées les foudres de la censure une décennie auparavant et qui deviennent, en ces années-là, des institutions pour certains. Wesselmann s’empare de ces représentations, les insère dans des décors, très « matissiens », de fleurs et de fruits pour en faire des éléments moins transgressifs, avec une distance et une stylisation très pop qui en atténuent le sujet, loin du propos premier des magazines. Aux féministes qui montent au créneau devant cette exploitation du corps des femmes, il rétorque libération, jouissance, hédonisme.
S’il reste l’un des artistes les plus emblématiques du pop art, et son art un art muséal par excellence, un art inscrit dans le temps qui semble ne pas vraiment convenir aux collectionneurs… Œuvres trop grandes, trop provocatrices, trop kitsch ? Pour preuve, ses prix, comparés aux prix stratosphériques d’un Warhol ou d’un Lichtenstein, sont 20 fois moins élevés que ceux des stars du pop art ! De plus, lui-même semblait afficher un rien de mépris par rapport à ce marché et déclarait en 1964 abandonner le pop art (ce qu’il ne fit pas vraiment) au prétexte « qu’il avait été envahi par le sens du commerce ». Ce qui ne l’a nullement empêché de continuer sur sa lancée, découpant ses « nanas » dans du bois, de la tôle.
Dans les dernières années de sa vie, il s’était, étonnement, tourné vers l’abstraction dans « un mélange entre les peintures émotionnellement intenses qui l’avaient inspiré dans les années 1950 et les connaissances technologiques qu’il avait accumulées, fusionnant le fait machine et le fait main pour créer un type de peinture adapté à son époque. » conclut Jeffrey Sturges qui dirige « l’estate » de Wesellamnn… Comme pour clore définitivement la grande époque du pop art …
POP FOREVER
Fondation Louis Vuitton 8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris (16e).
À voir jusqu’au 24 février 2025
Accès
Métro : ligne 1 station Les Sablons (950 m)
Bus : Ligne 73 arrêt La Garenne-Colombes – Charlebourg
Navette : 44 avenue de Friedland (8e)
Ouvert les lundi, mercredi et jeudi de 11h à 20h
Le vendredi de 11h à 21h, nocturne le 1er vendredi du mois jusqu’à 23h
Les samedi et dimanche de 10h à 21h. Fermeture le mardi
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Pop Forever. Tom Wesselmann…
Éditions Gallimard
384 pages. 45 €