Trois ouvrages viennent éclairer la vie et le travail de Berthe Weill, galeriste dès 1901 sans appui, infatigable défenseure des avant-gardes de son temps. Elle fut la première à présenter des jeunots ayant pour nom Picasso, Matisse, Dufy, Bonnard, Braque, Chagall et tant d’autres, pendant les près de 40 années de son activité. Raoul Dufy, qui l’avait surnommée « la petite Mère Weill », ne pouvait mieux décrire cette femme au caractère fort qui fit toujours plus pour ses artistes que pour elle-même, avec comme credo « Place aux jeunes ! »
Berthe Weill. Marchande et mécène de l’art Moderne
Marianne Le Morvan, biographe de la galeriste et par ailleurs commissaire de l’exposition qui se tient, jusqu’au 26 janvier à l’Orangerie, avait déjà défriché le terrain de la vie de Berthe Weill dans une première biographie sous-titrée avec justesse « La Petite galerie des grands artistes » (Éd L’Écarlate 2011). Elle nous revient avec cette nouvelle mouture qui a, comme qualité première, de mêler judicieusement la petite histoire à la grande. La petite histoire, c’est sa vie dans laquelle l’auteure nous donne à la suivre pas à pas avec sa détermination, son énergie, ses problèmes – la plupart du temps financiers ! – et ses prises de positions en s’appuyant sur le propre récit laissé par Berthe Weill elle-même sous le titre Pan !…… dans l’œil… Mais elle nous conte aussi la grande histoire, celle de l’émergence, au tournant du siècle, d’un nouvel art, dépatouillé des restes du XIXe siècle, de ces artistes qui vont inventer une nouvelle grammaire et à Berthe Weill de l’imposer.
On les suit, ces artistes, poussant la porte des différentes galeries de leur « marchande », elle qui changea souvent d’adresses au gré de ses revenus et de ses moyens ! L’ouvrage est truffé de photos et de reproductions qui sont comme des jalons de la vie de Berthe Weill. On sent chez la narratrice une vraie complicité mêlée d’une juste et méritée admiration pour ce petit « bout de femme » qui s’imposa en pionnière dans ce monde d’hommes et qui imposa aussi ses goûts. La postérité prouva qu’elle avait raison.
Berthe Weill. Marchande et mécène de l’art Moderne
Par Marianne Le Morvan
Éditions Musée de l’Orangerie / Flammarion. Collection Biographies
238 pages. 40 ill. 24 €

Berthe Weill. Galeriste de l’avant-garde parisienne
On complètera la biographie de Marianne Le Morvan par le catalogue de l’exposition dans lequel on la retrouve entourée de nombreux autres contributeurs. La vie et l’époque sont décortiquées et les grands noms qu’elle défendit trouvent, pour chacun, un texte les replaçant dans leur époque, celle où ils croisèrent le chemin de notre héroïne. L’ouvrage naturellement, est illustré par les œuvres que Berthe Weill accrocha dans ses galeries, des œuvres qui, à elles seules, rempliraient un extraordinaire musée à voir, à admirer plutôt, tous les chefs-d’œuvre qui sont passés par ses mains et que, souvent, elle dû imposer. Elle écrivit à un collectionneur qui semblait hésiter : « Des œuvres peu ordinaires, C’pendant sont à portée des bourses les plus légères ».
Cette amie et défenseure des artistes, qui fit plus pour eux que pour elle-même, terminera sa vie oubliée, dans la misère (quelques rares de ses artistes devenus célèbres lui permettront de survivre) et quasiment aveugle. « Elle n’a jamais eu comme objectif d’amasser une fortune considérable mais d’exercer son métier avec sincérité et intégrité. Toute l’élégance de son histoire réside dans l’apparente incongruité de ce désintéressement. » note Marianne Le Morvan. Elle méritait amplement l’hommage qui lui est ici rendu, bien oubliée de nos jours, alors que ses pairs, les Durand-Ruel, Vollard, Sagot et autre Kahnweiler sont aujourd’hui connus. Elle a toute sa place parmi eux. En plus des œuvres exposées, ce catalogue nous donne à voir de nombreuses photos et reproductions de documents.
Berthe Weill. Galeriste de l’avant-garde parisienne
Éditions Flammarion
208 pages. 130 ill. 39 €

Pan !.. dans l’œil… Ou trente ans dans les coulisses de la peinture contemporaine
Aujourd’hui introuvable, sinon dans son édition princeps et donc chère, l’ouvrage de mémoires qu’elle écrivit dans les années 30 est un condensé d’anecdotes, souvent, drôles et piquantes, sur la marche de sa galerie, mais aussi des portraits d’artistes, de collectionneurs ou de critiques. Cent historiettes, voire de petits potins sur la faune des artistes qu’elle côtoya, comme sa brouille avec Valadon, le scandale de son accrochage de nus de Modigliani qu’elle découvrit la première ou sa rencontre avec Picasso. C’est aussi un voile qui est levé sur cet étrange commerce au tournant du siècle. On plonge avec délice dans ces petites histoires qui façonnèrent la grande, on le suit pas à pas dans ses déboires, ses joies, ses espoirs, ses victoires. Par petites touches, elle nous parle aussi de ses amis, sa famille, ses voisines… De sa vie, de la vie. Un beau et touchant cadeau pour Noël.
Pan !.. dans l’œil… Ou trente ans dans les coulisses de la peinture contemporaine
Par Berthe Weill. Édition établie par Marianne le Morvan
Éditions Bartillat
302 pages. 20 €

