Depuis les rares marchands de matériels pour peintres qui, dans la première moitié du XIXe siècle, accrochaient timidement, dans leurs boutiques, quelques toiles – souvent données par les artistes eux-mêmes en paiements de leurs fournitures, jusqu’aux galeries actuelles dont celles qui sont devenues des acteurs majeurs, concentrant les plus grands artistes, et qui ont essaimé dans les grandes métropoles du monde, il y avait là toute une histoire à découvrir. C’est le sujet de cette somme due à cinq autrices, historiennes, historiennes de l’art et économistes, qui nous racontent et décortiquent par le menu comment s’est développé, installé et structuré ce monde des galeries qui, pour beaucoup, reste assez opaque.
Un travail en profondeur étayé par de très nombreuses recherches et truffé de citations, notes, documents, photos et autres reproductions.
Alors, doit-on considérer le commerce de l’art comme n’importe quel autre commerce ? Assurément non. Déjà, par ce que les galeries façonnent l’art de leur temps – on parle là de galeries du premier marché – qui agissent comme des découvreurs d’artistes avec une propension souvent à devancer le goût de leur temps pour imposer ceux qui, quelques années, voire décennies plus tard, seront une évidence. Évidence avalisée par les collectionneurs puis par les musées.
Que seraient les impressionnistes sans un Durand-Ruel qui les porta sur les fonts baptismaux ? Un Modigliani sans Berthe Weill et Paul Guillaume, Soutine sans Leopold Zborowski ? Miro sans Pierre Loeb, Mondrian sans Denise René, Picasso sans Vollard et Kahnweiler, César sans Lucien Durand, Nicolas de Staël sans Jeanne Bucher et Soulages qui trouve chez Lydia Conti sa première exposition personnelle ? Cet aspect est primordial dans cette course à l’échalote que se livrent, encore de nos jours, les galeries pour dénicher les stars de demain. L’autre aspect est, naturellement, commercial. Pour promouvoir, imposer, faire du lobbying auprès des riches collectionneurs, et là, (presque) tout est permis.
L’ouvrage trace aussi en filigrane, une histoire de l’art, du milieu du XIXe siècle à nos jours, tant l’essor des galeries est lié de façon étroite au développement des avant-gardes, qu’elles sont, pour leur survie et leur implantation et leur existence, forcées d’un travail des défricheurs, de traque, d’observations d’une histoire en proie au goût et aux changements de la société et à ses sursauts. Le déclin des salons dans les années d’entre deux guerres a favorisé l’essor des galeries, puisque l’on en compte plus de 200, rien qu’à Paris, en 1931, Lié à l’engouement d’une certaine bourgeoisie pour les avant-garde qu’elle regardait avec des dédain quelques années auparavant. Mais aussi à l’attraction spéculative des jeunes artistes comme l’écrivait Paul Rosenberg à Picasso, en 1925 : « Les tableaux sont devenus comme des titres de bourse ».
Cette somme forte de près de 600 pages nous raconte pas à pas cette histoire. Elle nous est contée, non dans une langue à destination des observateurs et acteurs de ce monde, mais comme une histoire, dans le sens premier du mot, dans un continuum chronologique avec de nombreux apartés, anecdotes, analyses éclairant un marchand, un salon, un artiste ou un collectionneur et leur implication dans cette grande saga qui est, ici, pour la première racontée en profondeur. Un ouvrage qui se lit presque comme un roman avec ses héros, ses luttes, les relations entre marchands et toute l’économie de ce secteur qui, pour beaucoup, reste opaque. Un ouvrage qui, sur le sujet, fera date.
Histoire des galeries d’art en France. Du XIXᵉ au XXIᵉ siècle
Par Alice Ensabella, Nathalie Moureau, Agnès Penot, Léa Saint-Raymond et Julie Verlaine
Éditions Flammarion. 576 pages. 38 €