« Grâce Kim, je n’ai jamais cessé de travailler autour de la question du genre » confiait-elle dans la monumentale monographie que lui a consacré les Éditions Taschen en 2016. Une phrase qui semble banale aujourd’hui dans nos sociétés qui se sont réveillées et posées des questions autour de ce fait, alors qu’à une époque pas très éloignée, on ignorait – ou voulait ignorer – les questions de genre sur lesquelles Bettina Rheims n’a jamais cessé de s’interroger, portant sur cet entre-deux un regard plein d’humanité, de tendresse et de chaleur.
Kim Harlow, dont à l’époque « le désir de changement [qu’elle] ressentais sans le prononcer » commençait une longue démarche pour investir ce corps qui n’était pas celui de sa naissance. Dans ces années-là, pendant lesquelles une sorte d’androgynie commençait à se faire jour chez les modèles que Bettina – alors photographe reconnue de mode et de stars – photographiait, cherchant cette faille troublante. Sa rencontre avec Kim allait être comme un déclic qui lui permit de « poser un regard sur la transidentité ».
En vue de la préparation de son ouvrage et son exposition pour Paris Audiovisuel (l’ancêtre de la Maison Européenne de la Photographie) Modern Lovers, la photographe cherchait des personnes à l’allure androgyne. Pas encore tout à fait fille, mais plus vraiment garçon, Kim, pourtant, se présente et, raconte-t-elle, dans un texte racontant son parcours, « il s’est passé quelque chose ». Rendez-vous est pris au studio un dimanche matin pour une séance dont le résultat est « beau, sobre et androgyne… je n’ai pas eu à le regretter » conclut Kim. Cette séance donnera lieu à l’édition d’un premier ouvrage sobrement titré Kim en 1994.
Ce nouvel opus – catalogue d’une exposition qui vient de s’achever à l’Institut pour la Photographie de Lille – revient sur cette rencontre au travers des premiers clichés de Kim, agrémentés de planches contacts qui développent le travail de la photographe. Kim, ce « personnage de dérision à chaque fois qu’elle passait une douane, cette femme si belle qui s’appelait Alexandre… » écrit Bettina. « Elle attendait des papiers qui auraient assis sa nouvelle identité. Les papiers sont enfin arrivés… Le lendemain de sa mort à la Salpêtrière. Je lui avais promis que nous ferions un livre ». Ce livre aussi est arrivé trop tard… « Kim est partie un matin et ne l’a jamais vu ».
Bettina Rheims / Kim Harlow. Récits
Éd. Institut pour la photographie / Delpire & Co
Édition bilingue français/anglais
104 pages. 51 photos. 35 €
Kim dans le miroir de la salle de bain II, Paris, 1991 © Bettina Rheims / Courtesy Fonds de dotation de l’Institut pour la photographie.